Surchauffe immobilière en Belgique?
Le Conseil européen du risque systémique tape sur les doigts de la Belgique en matière de crédit hypothécaire. Pas question toutefois de mettre en place des mesures trop contraignantes. Pour le moment.
Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB), n’est pas réellement tombé des nues en entendant les propos de Mario Draghi lundi dernier. Après avoir émis un avertissement à l’adresse de la Belgique en 2016, le Conseil européen du risque systémique (ESRB) que préside l’Italien est passé à la vitesse supérieure avec des recommandations en bonne et due forme. Il s’agit cette fois de prendre des mesures contre une politique jugée un peu trop laxiste des banques en matière de prêts hypothécaires. Après la simple carte jaune, le carton rouge…
Les reproches européens sont-ils justifiés? Deux jours après la publication de ces recommandations, on apprenait que les chiffres des transactions immobilières à la côte belge avaient atteint de nouveaux records durant le premier semestre 2019, avec de nouvelles hausses de prix à la clé des appartements (+ 6%). Alors surchauffe? L’ESRB voit en tout cas des signes de surévaluation des prix de l’immobilier résidentiel en Belgique. Les prix des maisons sont au plus haut niveau depuis 18 ans et la surévaluation est estimée à 15%. Le Fonds monétaire international (FMI) voit nettement moins grand, en jugeant cette surévaluation à 8% alors que la Banque nationale se limite à un petit 6%. Pour cette dernière, une correction importante du marché immobilier ne fait pas partie du scénario de base.
Le succès du "buy to let"
Ce qui inquiète davantage, c’est la croissance chez nous du nombre de prêts destinés à acquérir une seconde (ou troisième) résidence. Ce sont les produits hypothécaires "buy to let" qui peuvent être perçus d’une certaine manière comme des investissements de spéculation. Les gens empruntent pour acheter un bien et le mettre en location. Et ils se financent à des taux très bas. C’est là un des effets collatéraux de la politique menée par Draghi, le même qui tape sur les doigts de la Belgique en matière de crédit. Difficile décidément de porter deux casquettes: une de décideur monétaire et l’autre de régulateur.
C’est vrai, jusqu’ici, les défauts de paiement sont restés limités et la Belgique n’a pas connu de crise immobilière. On peut s’en féliciter.
Il est évident que ce type de produit "buy to let" ne doit pas être mis dans les mains de n’importe qui, notamment des gens qui n’ont que peu de moyens financiers. S’ils sont incapables de mettre le bien en location ou s’ils perdent leur emploi, ce serait une catastrophe.
Plus globalement, les chiffres montrent que la dette des ménages belges ne cesse de croître. De la fin 2009 à la fin 2018, le taux d’endettement est passé de 52 à 61% du PIB, une tendance inverse à celle de la zone euro. Dans un contexte de forte concurrence hypothécaire entre banques, c’est aussi la part des montants empruntés par rapport à la valeur du bien (loan-to-value) qui est en progression. Les quotités supérieures à 90% représentaient 36% des nouveaux prêts en 2018, 6% dépassaient même les 100%, de quoi couvrir une partie des frais liés à l’achat.
Vous vous souvenez aussi de ces bons vieux conseils de prudence: les charges de crédit mensuelles ne doivent pas dépasser un tiers voire 40% du revenu mensuel net du ménage. Or, que constate-t-on aujourd’hui? Une proportion croissante de prêts au-delà de 50% du revenu. De quoi provoquer des vulnérabilités en cas de choc financier. Pas étonnant dès lors que les clignotants s’allument chez les régulateurs. C’est vrai, jusqu’ici, les défauts de paiement sont restés limités et la Belgique n’a pas connu de crise immobilière. On peut s’en féliciter. Mais d’autres pays pensaient aussi que leur marché était intouchable. Ils ont dû malheureusement déchanter.
Le Conseil européen du risque systémique est clair: il préfère la mise en place de mesures contraignantes en limitant les quotités de prêts à un certain pourcentage. C’est cela qui s’avère le plus efficace, dit-il. Mais en Belgique, on n’aime pas trop cela. La BNB négocie de manière discrète avec les banques afin de mettre en place des mesures qui rendent les banques plus responsables en matière de prêts à risques sans pour autant verser dans une trop grande rigidité. Une approche "soft" qui ne devrait pas avoir, en principe, trop d’impact sur la majorité des emprunteurs.
Bien entendu, si dans un an, la part des prêts à risques n’a pas bougé d’un iota, il sera peut-être nécessaire de revoir ces jugements.
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