Publicité

L'Europe se dote d'une stratégie pour son industrie de la défense

La stratégie, portée par le commissaire européen à l'Industrie de la Défense, Thierry Breton, sera appuyée par un budget de 1,5 milliard d'euros pour la période 2025-2027. ©EPA

L'UE a dévoilé sa stratégie pour développer une industrie européenne de la défense. Une première, poussée par la situation actuelle, mais avec un budget minimaliste.

Deux ans après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la Commission européenne a dévoilé, ce mardi, sa stratégie pour développer l'industrie européenne de la défense. L'objectif est de faciliter les achats conjoints d'équipements militaires entre les 27 États membres de l'UE, d'encourager l'innovation et de renouveler les stocks existants, tout en y associant l'Ukraine. Cette stratégie, portée par le commissaire européen à l'Industrie de la Défense, Thierry Breton, sera appuyée par un budget de 1,5 milliard d'euros pour la période 2025-2027.

Publicité

"Nous avons baissé la garde, nous avons réduit notre capacité à produire ce dont nous avions besoin pour nous défendre."

Thierry Breton
Commissaire européen à l'Industrie de la Défense

Ce plan ambitieux est une première dans l'histoire de l'UE, alors que la défense est une compétence jalousement gardée par les États membres.

Depuis deux ans et le retour de la guerre sur le continent, les États européens ont accru leurs dépenses de défense, mais en achetant la plupart du temps hors Europe. Ainsi, 68% des armes acquises par les Européens pour l'Ukraine l'ont été sur le marché américain.

"Nous avons baissé la garde, nous avons réduit notre capacité à produire ce dont nous avions besoin pour nous défendre. Cette période des dividendes de la paix est derrière nous", a déclaré Thierry Breton.

L'objectif est de remettre à niveau les capacités de production européennes et de rendre de la compétitivité aux entreprises européennes par rapport à leurs rivales américaines. Toutefois, les fonds alloués restent modestes au regard des besoins.

Publicité

Produire plus, plus vite et ensemble

Cette stratégie ne sort pas de nulle part. Quelques mois après l'invasion de l'Ukraine, l'UE a lancé un programme pour identifier les lacunes dans les investissements européens de défense. Le réveil fut brutal, la défense ayant été reléguée au second plan depuis plusieurs décennies.

"Si nous avions dépensé 2% de notre PIB pour la défense comme prévu depuis 2014, nous aurions investi 1.000 milliards d'euros supplémentaires en défense. Cela vous donne une idée de l'ampleur du retard", dit un haut fonctionnaire européen.

Dès 2023, l'exécutif européen a lancé un programme de soutien aux achats conjoints d'armes entre les États membres (Edirpa) et un autre visant à accroître la production de munitions (Asap), dotés de 800 millions d'euros. Depuis le début de la guerre, l'UE a également octroyé à l'Ukraine une aide militaire de 28 milliards d'euros dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix et se prépare à adopter une nouvelle aide de 21 milliards d'euros.

L'UE veut désormais élargir ces fonds à l'ensemble du périmètre de la défense. "Nous devons être prêts à produire plus vite, produire mieux et ensemble sur le territoire européen", a ajouté Thierry Breton.

Stratégie européenne de défense

"Nous ne sommes pas là pour acquérir, nous sommes là pour créer les conditions pour travailler ensemble."

Thierry Breton
Commissaire européen à l'Industrie de la Défense

Concrètement, la stratégie pour une industrie européenne de la défense (Edis) vise à agréger la demande d'armement entre les États membres et à travailler sur des acquisitions conjointes d'armes et de munitions lors des deux prochaines années.

La Commission européenne insiste: elle veut faciliter la coopération entre États pour les achats d'armes, mais elle ne propose pas d'acheter des armes pour l'Europe, une compétence que les traités ne lui confèrent pas. "Nous ne sommes pas là pour acquérir, nous sommes là pour créer les conditions pour travailler ensemble", précise Thierry Breton, "il ne s'agit nullement de définir ici les prérogatives des États membres en matière de défense". Cette politique serait également menée en coopération avec l'Otan.

Pour assurer le développement de cette stratégie, la Commission propose un programme pour l'industrie européenne de la défense (Edip), comportant une boîte à outils pour soutenir les acquisitions conjointes, des incitants financiers et un nouvel organe, le Conseil de préparation de l'industrie de la défense, visant à assurer la cohérence des achats.

Un "catalogue" d'armes et d'équipements européens serait constitué pour les États membres, ainsi que des réserves stratégiques. Un mécanisme d'alerte précoce permettrait d'identifier les goulets d'étranglement et les lacunes de la chaîne d'approvisionnement.

La Commission entend également associer l'Ukraine le plus loin possible dans ce programme. Le pays, candidat à l'adhésion à l'UE, bénéficiera d'achats conjoints et de soutiens à l'innovation. "Nous intégrons la base ukrainienne de défense, c'est un signal très fort", a poursuivi Breton.

Soutien à l'innovation

La stratégie vise aussi à rester à l'avant-garde de l'innovation, en prévoyant des soutiens spécifiques pour certains programmes, comme le développement de prototypes, et des incitants pour les PME. Par exemple, l'outil Fast facilitera l'accès aux prêts pour la production de drones. Des exemptions de TVA seront prévues pour faciliter les acquisitions.

Par ailleurs, un bureau pour l'innovation et la défense sera mis en place à Kiev, afin que l'Ukraine et l'Europe puissent échanger dans ce domaine.

Indicateurs

"La coopération est trop faible, seuls 18% de nos achats sont conjoints."

Josep Borrell
Haut représentant de l'UE aux Affaires étrangères

Pour stimuler la coopération entre les États membres, la Commission propose trois indicateurs, à atteindre d'ici à 2030, qui permettront de mesurer les progrès réalisés.

Le commerce de défense intraeuropéen devra représenter au moins 35% de la valeur du marché de la défense de l'UE. Les États membres devront acquérir au moins 40% des équipements de défense de manière collaborative. Enfin, la moitié du budget que les États membres consacrent aux marchés publics de défense devront être constitués d'achats intraeuropéens.

"La coopération est trop faible, seuls 18% de nos achats sont conjoints", a déploré Josep Borrell, le Haut représentant de l'UE aux affaires étrangères.

Financement

La Commission propose d'allouer une enveloppe de 1,5 milliard d'euros pour financer Edip. Ce n'est qu'un début, car la modernisation du complexe industriel européen nécessitera beaucoup plus d'argent.

Par ailleurs, l'exécutif européen invite la BEI à revoir sa politique de soutien aux investissements dans la défense, l'institution basée à Luxembourg refusant à ce jour de financer la production d'armes létales.

Selon Thierry Breton, dans le futur, des moyens supplémentaires pourraient être prélevés sur les avoirs russes gelés, 260 milliards d'euros, dont la plus grande partie se trouve sur les comptes d'Euroclear en Belgique. Mais la question divise les Vingt-Sept, qui ont convenu, pour l'instant, de séparer les profits de ces avoirs et de les placer sur un compte dans l'attente de définir leur usage.

Breton a également évoqué la mobilisation de 100 milliards d'euros supplémentaires par un nouvel emprunt européen. Mais les pays frugaux, en particulier l'Allemagne et les Pays-Bas, sont réticents.

Les dépenses militaires de l'Europe trois fois plus élevées que celles de la Russie

Le commissaire chargé de l’Industrie de la Défense, Thierry Breton, a rappelé mardi que les investissements des États membres de l’Union européenne (UE) en matière de défense s’élevaient à 240 milliards d'euros par an. C’est trois fois plus que les dépenses militaires de la Russie, évaluées à 84 milliards d'euros par an.

Les pays européens membres de l’Otan s’étant engagés à atteindre 2% du PIB en dépenses de défense, Thierry Breton estime que leurs dépenses militaires vont augmenter de 143 milliards par an. Au total, dans les années à venir, les pays européens devraient dépenser en achats d'armes et d'équipements pour 383 milliards d’euros par an. La Russie, quant à elle, s’est engagée à atteindre 100 milliards.

Selon la Commission européenne, il est d’autant plus urgent pour l’Europe de coordonner ses dépenses militaires que, jusqu’à présent, les pays européens ont acheté aux États-Unis 68% des armes et des équipements qu’ils ont fournis à l’Ukraine.

Publicité

Pour Thierry Breton, les États-Unis ont pu répondre à la demande européenne grâce à un fonds du Pentagone dédié à cette fin, le FMS ("Foreign Military Sales"), qui permet de stocker des réserves supplémentaires pour les besoins de leurs alliés. Le Français veut s’en inspirer pour l’Europe.

Dossier | Guerre en Ukraine

Dossier spécial sur la guerre en Ukraine, lancée le 24 février 2022 par Vladimir Poutine: toute l'actu et les dernières infos sur le conflit armé entre l'Ukraine et la Russie.

Publicité
En 2024, le gaz russe transitant par l'Ukraine représente encore 5% du total des importations de l'UE, contre 11% en 2021.
Le gaz russe donne un nouveau coup de chaud aux prix énergétiques européens
La fin d'un contrat permettant le transit de gaz russe par l'Ukraine rajoute une couche de pression sur les prix du gaz, déjà poussés vers le haut par la baisse des importations de GNL, l'utilisation des stocks et le froid.