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La Russie prend d'assaut l'Ukraine et menace la paix en Europe

Une femme blessée après une frappe aérienne russe sur la ville de Chuhuiv, dans la région de Kharkiv (frontière est). ©Anadolu Agency via Getty Images

Les troupes russes resserraient leur étau autour de Kiev, jeudi soir, alors que des combats font rage dans toute l'Ukraine. La Russie soumet le pays à des tirs de missiles et des bombardements massifs. Une invasion anticipée depuis plusieurs mois.

Jeudi à l'aube, le président russe Vladimir Poutine a déclaré la guerre à l'Ukraine, choisissant l'option d'une attaque massive redoutée depuis des mois, au risque de plonger l'Europe dans son plus grand conflit depuis la Seconde Guerre mondiale.

Lors d'une première vague, une centaine de missiles étaient tirés depuis la Russie et la mer Noire contre la capitale, Kiev, et plusieurs grandes villes. Les bombardiers russes effectuaient plus d'une centaine de sorties.

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Au même moment, les troupes russes appuyées par des chars entraient dans la région de Kiev, depuis la Biélorussie et le "check-point" de Senkivka (nord-est). Des combats éclataient autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl, capturée en fin de journée après une défense acharnée de l'armée ukrainienne.

Des soldats russes débarquaient aussi au sud de l'Ukraine, dans les ports d'Odessa et Marioupol.

En début d'après-midi, l'armée russe affirmait avoir détruit 74 installations militaires, dont 11 aérodromes ukrainiens. Une deuxième vague de missiles était tirée. En fin de journée, la supériorité aérienne de la Russie était totale. La ville de Soumy, à l'est de Kiev, était tombée. Des combats extrêmement violents étaient signalés à 10 km de la capitale, désormais prise en étau par les Russes.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky annonçait la mobilisation militaire générale. Vers minuit, il avertissait dans une allocution que des "groupes de sabotage" russes étaient entrés dans Kiev.

Des dizaines de morts

Les forces ukrainiennes ont contre-attaqué toute la journée, un peu partout dans le pays. Selon les premières données du ministère ukrainien de la Santé, les combats et les bombardements ont fait 137 morts et 316 blessés. L'armée ukrainienne affirme avoir abattu une cinquantaine "d'occupants russes" dans l'est du pays.

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Les affrontements les plus violents ont lieu dans les régions de Soumy, Kharkiv, Kherson, Odessa et autour de Kiev. Sept avions russes et deux hélicoptères ont été abattus. Un peloton russe s'est rendu.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) craint un nombre massif de victimes. Par ailleurs, des milliers d'Ukrainiens ont cherché à fuir vers les pays voisins, dont la Pologne, la Hongrie et la Roumanie. L'agence des Nations Unies pour les réfugiés a estimé que 100 000 personnes avaient fui leur foyer.

Lors de son allocution Poutine a affirmé, dans une rhétorique guerrière et mensongère, qu'il voulait éviter un génocide contre les "russophones" du Donbass et qu'il allait "démilitariser et dénazifier l'Ukraine".

Un homme observant un débris non identifié, ce jeudi matin à Kiev.
Un homme observant un débris non identifié, ce jeudi matin à Kiev. ©EPA

Bombardements ciblés

"Poutine est entré dans une logique de guerre et d'invasion de l'Ukraine, en utilisant une stratégie de bombardements ciblés pour désarmer le pays", réagit Tanguy Struye, professeur en sciences politiques internationales à l'UCLouvain. "Deux questions se posent dès à présent. Jusqu'où ira la résistance ukrainienne? Et quels sont les objectifs de Poutine?"

"Le plus cynique, c'est que l'on voit que la milice privée Wagner est sur place, de même que des combattants tchétchènes et les forces biélorusses."

Tanguy Struye
Professeur en sciences politiques internationales à l'UCLouvain

Premier constat, Poutine n'a pas engagé que des militaires russes sur le terrain. "Le plus cynique, c'est que l'on voit que la milice privée Wagner est sur place, de même que des combattants tchétchènes et les forces biélorusses", poursuit-il.

Les suites d'une explosion dans les locaux d'une unité militaire à Kiev
Les suites d'une explosion dans les locaux d'une unité militaire à Kiev ©EPA

Une attaque bien planifiée

Deuxième constat, les signes de cette invasion s’accumulaient depuis des mois. Selon un document provenant d'une source bien informée, que L'Echo a pu consulter, la Russie a mis en place, ces dernières semaines, un dispositif anticipant des guerres urbaines et des combats provoquant un nombre important de victimes.

"La Russie planifie d'attaquer sous peu et fournira un prétexte destiné à donner une apparence légale à une invasion."

Extrait d'un document provenant d'une source bien informée

"Le Kremlin s'attend à des victimes massives, mais cela ne l'a pas empêché de provoquer une escalade. Au contraire, la Russie a déployé des hôpitaux de campagne à la frontière ukrainienne (...) et donné instruction de creuser des charniers pour les victimes", lit-on. "La Russie planifie d'attaquer sous peu et fournira un prétexte destiné à donner une apparence légale à une invasion."

Selon le gouvernement américain, la Russie prévoit de renverser le gouvernement de Kiev. "C'est notre évaluation que les forces russes ont toutes les intentions de tout simplement décapiter le gouvernement et installer leur propre méthode de gouvernance", a indiqué jeudi un haut diplomate de la défense américaine.

Quelle résistance ukrainienne?

Combien de temps l'Ukraine peut-elle résister? Son armée est aguerrie par 8 ans de conflit, mais elle ne possède pas les capacités aérospatiales, aériennes et balistiques de la Russie.

Moscou a massé 200.000 soldats aux frontières ukrainiennes et des tanks. Ces troupes disposent d'une force de frappe redoutable, les "Battalion Tactical Groups" (BTG), des unités de 800 hommes soutenues par des chars d'assaut T-72B3, une artillerie, des paracommandos et des frappes aériennes.

"C'est scandaleux et indécent. Le gouvernement belge s'est contenté d'annoncer l'envoi de gilets pare-balles et de jumelles d'approche, on peut réellement s'interroger sur sa crédibilité."

Tanguy Struye
Professeur en sciences politiques internationales à l'UCLouvain

L'Europe dépassée

L'Europe s'est réveillée, surprise par le bruit des bombes. Pourtant, cette attaque massive intervient après que les États-Unis ont averti durant plusieurs mois des risques d'invasion. Dans un premier temps, l'UE a tout misé sur la diplomatie. En début de semaine, après le discours alarmant de Poutine, elle a adopté une première vague de sanctions limitées, qui n'ont en rien ému Moscou.

Certains pays européens, comme l'Allemagne et la Belgique, ont refusé d'envoyer des armes à l'Ukraine. "C'est scandaleux et indécent. Le gouvernement belge s'est contenté d'annoncer l'envoi de gilets pare-balles et de jumelles d'approche, on peut réellement s'interroger sur sa crédibilité. La Belgique utilise une rhétorique forte, mais dès qu'il faut agir, on ne fait rien", déplore Tanguy Struye.

L'Otan active sa défense

L'Otan a activé dès jeudi matin ses défense à l'Est, et mis en état d'alerte une centaine d'avions. Les États-Unis ont commencé à envoyer 7.000 soldats en Allemagne.

"Un dérapage n'est jamais exclu, comme un missile frappant la Pologne ou la Roumanie voisines."

Tanguy Struye

L'Alliance, qui rassemble 30 pays, devrait mobiliser sa force de réaction rapide afin de sécuriser ses frontières. La Belgique pourrait déployer 500 militaires à l'Est.

L'Otan se dit "solidaire" de l'Ukraine, mais elle n'interviendra pas. Certains pays de l'Alliance pourraient choisir de mener individuellement des opérations plus offensives, comme le Royaume-Uni, qui annonce des cyberattaques.

L'extension du conflit aux pays voisins provoquerait une réaction immédiate de l'Otan. "En théorie, un tel scénario ne devrait pas arriver. Mais un dérapage n'est jamais exclu, comme un missile frappant la Pologne ou la Roumanie voisines", dit Tanguy Struye.

3 questions à Sven Biscop, expert à l'Institut Egmont

Comment interprétez-vous l'offensive russe?

Cela ressemble à une première vague, une offensive de grande envergure va suivre. Pour aller jusqu'où? C'est difficile à dire. Hier, le scénario d'une invasion totale me semblait improbable. C'est, aujourd'hui, ce vers quoi on semble aller. Tout dépendra de la résistance de l'armée ukrainienne.

L'Ukraine a-t-elle les capacités de bloquer une invasion?

Son armée est forte et déterminée, elle possède une longue culture de résistance stratégique. Elle a toujours résisté en cas de coup dur, que ce soit face aux bolcheviques ou aux nazis. Les Ukrainiens se battent contre la Russie depuis 2014, ils sont aguerris. J'ai donné des formations à des officiers ukrainiens, et j'ai pu sentir leur détermination.

Mais l'armée ukrainienne manque de moyens aériens, de missiles. Elle ne pourra arrêter l'attaque, mais les Russes vont le payer cher. Cette guerre sera sanglante des deux côtés.

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Comment vont évoluer les relations entre l'Europe et la Russie?

L'Union européenne ne reconnaîtra jamais les changements de frontières en Ukraine que la Russie veut imposer. La Russie s'est désormais profilée comme rivale, ce qui ne laisse plus d'espace pour des relations constructives. Nous allons donc vers des relations minimales.

L'Europe paraît aussi impuissante face à la Russie. Quand une grande puissance se décide à faire la guerre, il n'y a rien que l'on puisse faire. La réalité, c'est que nous sommes très limités. Nous ne pouvons intervenir, et les sanctions n'ont aucun effet dissuasif.

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