Publicité
interview

Sergueï Jirnov (ex-agent du KGB): "La seule solution, c'est arrêter Poutine et le livrer à La Haye"

Sergueï Jirnov fut le premier espion russe à infiltrer l'ENA, en France. ©PHOTOPQR/LE DAUPHINE/MAXPPP

La guerre en Ukraine étant dans l'impasse, la meilleure solution pour l'armée russe serait d'arrêter Vladimir Poutine et de le livrer à la CPI, selon l'ancien espion du KGB Sergueï Jirnov.

Sergueï Jirnov, un officier du KGB passé à l'Ouest, est devenu une référence pour comprendre l'évolution de la Russie. Comme le président russe Vladimir Poutine, il est un ancien élève de l'Institut du drapeau rouge, une école secrète du KGB, qui forme l'élite des Renseignements. Envoyé en mission en France, il fut le premier espion russe à infiltrer l'ENA.

Depuis sa fuite de Russie en 2001, il décrypte, dans la presse et ses livres, l'évolution du régime russe et de son président. "L'Escalade", son prochain ouvrage prévu en mai, traite du risque nucléaire et de l'évolution de la guerre en Ukraine. Pourchassé par le FSB, l'héritier du KGB, il mène une opposition farouche à Vladimir Poutine.

Publicité

De passage à Bruxelles, l'ancien espion a accordé un entretien à L'Echo.

"Il faut que l'Ukraine gagne et que les Russes ne perdent pas trop. Sinon, il y a un risque que Poutine utilise l'arme nucléaire."

Sergueï Jirnov
Ex-officier du KGB

La guerre en Ukraine dans l'impasse

Pour Sergueï Jirnov, l'Ukraine a les capacités de remporter cette guerre, mais elle n'a pas les équipements suffisants pour y parvenir. "Si l'Occident fournit à l'Ukraine toutes les armes dont elle a besoin, elle pourra repousser l'armée russe au-delà de son territoire et même de la Crimée. Si l'Occident ne le fait pas, ou s'il tarde trop, les Russes tiendront encore des années", explique-t-il. "J'ai l'impression que tout le monde a peur que cette guerre se termine, et que c'est la raison pour laquelle on ne fournit pas toutes les armes nécessaires à l'Ukraine."

La guerre est dans une impasse. "Il faut que l'Ukraine gagne et que les Russes ne perdent pas trop. Sinon, il y a un risque que Poutine utilise l'arme nucléaire. Il n'acceptera jamais la défaite."

Publicité

"La Russie ne peut gagner la guerre conventionnelle. Son armée ne dispose que de 1,5 million d'hommes sous-entraînés et sous-équipés, elle est réduite à ressortir des vieux chars soviétiques T-54. Tout est factice."

Sergueï Jirnov

"Poutine est acculé comme un rat"

Paradoxalement, Sergueï Jirnov redoute une victoire de l'Ukraine, car cela pourrait pousser le président russe à une réaction extrême.

"Dans sa biographie, Vladimir Poutine raconte un épisode de son enfance où il était attaqué par un rat. Il avait réussi à le coincer et s'apprêtait à le battre avec une barre de fer, et c'est là que la bête l'a attaqué violemment", explique-t-il. "Aujourd'hui, il est exactement dans la même situation. Poutine est acculé comme un rat. Ce que je crains le plus, c'est qu'en cas de victoire de l'Ukraine, il appuie sur le bouton."

D'ascendance russe, polonaise et ukrainienne, Sergueï Jirnov espère bien sûr que l'Ukraine sorte de cette guerre et retrouve son territoire. Il ne voit pas de victoire russe possible. "La Russie ne peut gagner la guerre conventionnelle. Son armée ne dispose que de 1,5 million d'hommes sous-entraînés et sous-équipés, elle est réduite à ressortir des vieux chars soviétiques T-54. Tout est factice. Ils ont dépensé leur argent à fabriquer des missiles hypersoniques et des chars Armata, mais ils n'en ont que quelques exemplaires", lâche-t-il.

"Tout ce que Poutine a, c'est 6.000 ogives nucléaires dont 1.800 sont en service. Il aurait pu utiliser l'arme nucléaire le 24 février 2022, lors de l'attaque. Aujourd’hui, c'est trop tard. S'il utilise l'arme nucléaire contre Kiev, l'Otan est prête à pulvériser les 17 navires de la flotte russe en mer Noire et les 350.000 soldats sur le front de l'est."

"Ce n'est pas impossible, l'armée russe et le FSB ont les moyens de l'arrêter. Sa garde rapprochée peut aussi le faire."

Sergueï Jirnov

Dans l'entourage de Vladimir Poutine, des proches sont prêts à le pousser au pire. "Il y a une force pour l'empêcher de recourir à l'arme nucléaire, et une autre force, des nationalistes, qui le poussent à l'utiliser contre Kiev et (le président ukrainien) Zelensky", dit-il.

"Livrer Poutine à La Haye"

L'armée russe étant incapable de gagner et l'Ukraine ne disposant pas des armes suffisantes pour remporter une contre-attaque, Sergueï Jirnov voit une issue dans le mandat d'arrêt délivré récemment par la Cour pénale internationale de La Haye (CPI) contre Vladimir Poutine.

"La seule solution, c'est arrêter Poutine et le livrer à La Haye, comme ce fut le cas avec le président serbe Slobodan Milosevic", résume-t-il. "Poutine n'acceptera jamais la défaite. Il faudra bien faire la paix sans lui, après l'avoir envoyé en prison. C'est possible de l'arrêter. Les gens dans son entourage commencent à avoir peur de tout perdre. Cela commence à bouger. Une quinzaine de poids lourds ont quitté le régime ou fui la Russie."

Cette arrestation est une hypothèse improbable aux yeux de nombreux analystes, le maître du Kremlin étant protégé par une garde rapprochée comptant des centaines de soldats. "Ce n'est pas impossible, l'armée russe et le FSB ont les moyens de l'arrêter. Sa garde rapprochée peut aussi le faire. Poutine commence à faire peur, et les choses bougent. Ce que j'avance est basé sur des entretiens avec d'anciens membres du KGB", affirme-t-il.

"Prigojine va tomber du balcon. Il va trop loin. Il énerve tout le monde, l'armée, le système judiciaire parce qu'il recrute des prisonniers."

Sergueï Jirnov

Un allié dérangeant

L'ancien agent du KGB prédit la chute d'Evgueni Prigojine, un des alliés les plus proches du président russe. Le très médiatique patron de la milice privée Wagner commence à agacer sérieusement la hiérarchie de l'armée russe, c'est connu. Mais ses dernières ambitions vont jusqu'à jouer sur les nerfs du président Poutine.

Pour Sergueï Jirnov, il pourrait connaître le même sort que d'autres anciens alliés de Poutine. "Prigojine va tomber du balcon. Il va trop loin. Il énerve tout le monde, l'armée, le système judiciaire parce qu'il recrute des prisonniers. Il s'est mis à jouer dans le même registre de violence et de menace que Poutine, mais en mieux. Il est plus réaliste. En plus, il parle de se présenter à la présidentielle", dit-il.

Dossier | Guerre en Ukraine

Dossier spécial sur la guerre en Ukraine, lancée le 24 février 2022 par Vladimir Poutine: toute l'actu et les dernières infos sur le conflit armé entre l'Ukraine et la Russie.

Dans la tête de Vladimir Poutine

Formé à la même école du KGB que Vladimir Poutine, Sergueï Jirnov est bien placé pour analyser son profil. "Il n'a presque rien lu dans sa vie, sinon des contes de fées pour enfants lorsqu'il avait 6 ans, auxquels il se réfère encore souvent aujourd'hui", explique-t-il. "C'est un enfant de la rue, il a été battu, peut-être abusé. Il a appris des choses cruelles. Il n'avait aucune force physique, c'est pour cela qu'il a appris la ruse."

"Ce n'est que lorsqu'il est devenu le maître que le vrai Poutine est sorti. Il n'est pas populaire à 80%, mais il a un socle sur lequel s'appuyer."

Sergueï Jirnov

Vladimir Poutine est entré très jeune dans les services secrets. "Il a frappé à la porte du KGB à l'âge de 16 ans. Il adorait tout ce qui est secret, car c'est la meilleure façon de cacher ses faiblesses", dit-il. "Mais ils ont détecté un déséquilibre psychologique chez lui et ont refusé de l'envoyer comme agent à l'Ouest, ce qu'il a vécu comme un échec."

Après la chute du Mur de Berlin, Poutine a été engagé à la mairie de Saint-Pétersbourg. Dans l'ancienne capitale impériale, il s'est construit un cercle de fidèles, sur lequel il s'est appuyé pour arriver au pouvoir. "Ce n'est que lorsqu'il est devenu le maître que le vrai Poutine est sorti. Il n'est pas populaire à 80%, mais il a un socle sur lequel s'appuyer. Les Russes l'apprécient, parce qu'il a joué la carte de la normalité, celle d'un homme de 45 ans, intelligent, solide, arrivant après une liste de dirigeants soviétiques impotents ou peu populaires", poursuit-il.

Une fois au pouvoir, le président russe a utilisé l'argent des hydrocarbures pour relever l'économie russe et construire un État centraliste. "On a du mal à comprendre pourquoi quelqu'un qui reste au pouvoir durant des années, avec une économie qui marche, fait tout basculer du jour au lendemain en se lançant dans une guerre", dit Sergueï Jirnov.

Selon lui, l'explication tient dans l'évolution du personnage. "Après 23 ans de pouvoir, Poutine a commencé à se prendre pour un dieu. Son entourage lui disait ce qu'il voulait entendre et distillait de mauvaises informations", explique-t-il. "Il y a eu aussi le covid, qui a entraîné une peur physique. Et, surtout, l'angoisse de vieillir. Il veut devenir éternel, ce qui le pousse vers des choses mystiques. Il est parti en Sibérie, rencontrer des chamanes dont les visions l'ont persuadé de lancer une guerre", poursuit-il.

La Chine au taquet

L'invasion, qui ne devait durer que quelques jours, fut un échec cinglant reléguant à l'arrière-ban l'armée russe, censée être une des plus puissantes au monde. "L'erreur la plus grave du Kremlin fut de reconnaître les républiques indépendantes de Donetsk et Lougansk le 21 février", affirme-t-il. En faisant cela, il signait l'agression russe, alors que, jusque-là, il évoquait la protection des Ukrainiens russophones contre Kiev.

"Poutine est en train de tuer la Russie. C'est un sociopathe. Il n'a aucune empathie. Il n'est plus rationnel."

Sergueï Jirnov

La Russie, affaiblie par la guerre, devient une aubaine pour ses alliés. "Poutine est faible, il n'a plus que la Chine à ses côtés... et elle en profite à mort. Elle achète son gaz quatre fois moins cher que les Européens", ajoute-t-il.

Dépité, l'ex-espion ne reconnaît plus son pays. "J'ai toujours mon âme russe, mais ce n'est plus le pays que j'ai connu, ni son peuple. Le peuple russe m'effraye", dit-il. Jirnov décrit Poutine comme un sociopathe. "Je suis russe, et je dis que Poutine est en train de tuer la Russie. C'est un sociopathe. Il n'a aucune empathie. Il n'est plus rationnel."

Sergueï Jirnov était en visite à Bruxelles pour préparer sa participation à une conférence sur "La démocratie face à ses ennemis", qui aura lieu le 21 avril au Bastogne War Museum.

Les phrases-clés
  • "Poutine est acculé comme un rat. Ce que je crains le plus, c'est qu'en cas de victoire de l'Ukraine, il appuie sur le bouton."
  • "Poutine n'acceptera jamais la défaite. Il faudra bien faire la paix sans lui, après l'avoir envoyé en prison."
  • "Prigojine va tomber du balcon. Il va trop loin. Il énerve tout le monde, l'armée, le système judiciaire parce qu'il recrute des prisonniers."
  • "Je suis russe, et je dis que Poutine est en train de tuer la Russie. C'est un sociopathe. Il n'a aucune empathie. Il n'est plus rationnel."
Publicité