Plan Marshall européen: les Vingt-Sept s'échauffent en attendant l'arbitre
Les dirigeants européens se sont retrouvés ce jeudi pour leur quatrième visioconférence de crise, avec en ligne de mire le fonds de relance qui doit remettre l'économie européenne sur pieds. Mais vu les positions de départ, aucune négociation sérieuse n'est possible tant que la Commission - l'arbitre - n'aura pas proposé une base de travail charpentée. Elle travaille à un plan de relance qui pourrait totaliser 2.000 milliards.
Il était entendu que le Conseil européen ne répondrait pas ce jeudi à la question centrale qui se pose à lui: comment financer la relance de l’Europe? Emprunts communs, subsides, prêts, à qui, comment, pour combien de temps... Les Vingt-Sept sont divisés sur l’approche à adopter et leur quatrième réunion par visioconférence en six semaines devait avant tout servir à chercher le ton de la conciliation. Sous la pression d'un chiffre, donné en début de réunion par la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) Christine Lagarde: l'économie de la zone euro pourrait perdre 15% cette année.
"Il était clair pour tout le monde que nous avons besoin d'un fonds de relance (Recovery Fund)."
Lors d'une conférence de presse à l'issue du Conseil, son président Charles Michel a assuré sentir "une volonté politique très forte de travailler ensemble". La chancelière allemande Angela Merkel a estimé de son côté qu’"il était clair pour tout le monde que nous avons besoin d'un fonds de relance", alors que le président français Emmanuel Macron déplorait qu'il n'y avait "pas de consensus" sur la mise en place de subsides directs vers les zones et secteurs les plus touchés.
Contrairement à l’usage, ce Conseil, qui aura duré un peu plus de quatre heures, n'a pas donné lieu à des conclusions écrites. Son président Charles Michel devait envoyer en son nom propre une demande formelle à la Commission pour qu’elle présente une proposition sur la manière de financer la relance.
Un plan de [2.000] milliards
Ursula von der Leyen, qui n'avait pas à attendre cette demande pour se mettre au travail - elle dispose du droit d'initiative -, a estimé qu'un plan Marshall européen passe par l'augmentation de la "puissance de feu" du budget européen. Elle doit proposer une "proposition intégrée" pour la relance, qui combinerait une nouvelle épure du budget septennal (cadre financier pluriannuel 2021-2027 dit "CFP") et un plan de relance.
"Les réunions se poursuivent à un rythme soutenu, ça ne veut pas dire qu’il y aura une solution définitive dans deux semaines."
Un document de travail interne que nous avons pu lire avance, entre crochets, le montant total de 2.000 milliards d'euros, constitué pour une moitié environ de prêts et pour l'autre moitié de subsides. Outre le recalibrage d'instruments existants comme les subsides régionaux, l'esquisse envisage un fonds de reprise "temporaire et ciblé"; un autre instrument de relance construit sur base de l'embryon de budget de la zone euro (IBCC); et deux nouveaux fonds pour "protéger et renforcer le marché intérieur" en renflouant en capital les entreprises saines et en finançant l'autonomie stratégique de chaines d'approvisionnement vitales. Autant de pistes que la Commission devrait confirmer ou infirmer pour la première semaine de mai.
Cap sur juin
La proposition de la Commission européenne devra tenter de répondre aux clivages entre les États membres tant sur le degré de mise en commun de l'effort que sur choix entre le recours aux subsides ou aux prêts (et sur la durée de vie de ces derniers). "Il y a ceux qui ont une idée précise de ce qu’ils veulent, ceux qui ont une idée très précise de ce qu’ils ne veulent pas, et ceux qui regardent, évaluent les différents plans", observe un diplomate.
La Belgique se trouve dans ce dernier groupe. Même si elle fait partie des neuf pays qui ont plaidé pour une levée commune de fonds au bénéfice de tous les États membres. "La Belgique est ouverte sur le concept, mais les esprits ne sont pas mûrs", a reprécisé jeudi Sophie Wilmès devant le Parlement fédéral. La Première ministre a ajouté ne pas encore avoir "de position officielle" sur l'équilibre à trouver entre subsides et prêts.
Une fois déposée la proposition de la Commission, les Vingt-Sept pourront envisager entrer dans le vif d’une négociation sur la forme que prendrait une reprise à la fois acceptable pour les pays budgétairement "vertueux" et de nature à ne pas creuser les écarts au sein de la zone euro et de déstabiliser durablement le marché intérieur.
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Pour l'heure, les Vingt-Sept débattent des grandes lignes.
À quel horizon peut-on attendre un déblocage? "Le temps qu’on travaille dessus, on se retrouve au mois de juin, qui semble être la première fenêtre raisonnable", observe une source européenne. "Les réunions se poursuivent à un rythme soutenu, ça ne veut pas dire qu’il y aura une solution définitive dans deux semaines", indique un autre. Une troisième source diplomatique estime qu’une décision aussi importante ne pourra sans doute pas être prise sans une réunion physique entre chefs de gouvernements, prévue peut-être à l’été.
Les Vingt-Sept peuvent-ils s’accorder à distance sur une question aussi lourde qu’un plan de relance continental? À l'évidence, "la technique des conférences vidéo ce n'est pas rien, et chaque jour je sens qu'on la perfectionne. Reste que ce n'est pas la même chose qu'une technique de négociation où l'on se voit physiquement", commente un haut diplomate.
"Même si rien n’est impossible, c’est préférable de faire ça physiquement", estime une autre source européenne. Qui observe d'ailleurs que rien n’empêche en théorie les chefs de gouvernements de décider de se réunir physiquement. En appliquant des gestes barrière et les règles de distanciation sociale que leurs ambassadeurs continuent d'appliquer chaque semaine lors de leurs réunions physiques. Mais vu la maturité de la discussion sur un plan de relance, rien ne justifie aujourd’hui la tenue d'une telle réunion physique, entend-on.
La Commission doit présenter une proposition budgétaire autour de la fin du mois, et le temps que les délégations y travaillent, l’entrée dans des négociations concrètes pourrait être envisagée en juin. Dans une phase de négociation sur un texte précis aux enjeux considérables, la présence physique finira probablement par être requise. Il n’y a en tout cas, assure-t-on au Conseil, pas de lien direct entre les restrictions sanitaires et le calendrier de la discussion.
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