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analyse

Pourquoi la Belgique n'aura pas son application anti-Covid-19

Alors que les autres pays européens déploient leurs applications anti-Covid19, la Belgique n'en aura pas. ©REUTERS

La Belgique n'aura pas d'application fédérale de "contact tracing". Récit d'un flop évitable avec en toile de fond des négociations communautaires, un risque politique et une patate chaude dont personne ne veut.

"Allô ? Bonjour, vous avez été déclaré positif au coronavirus. Citez-moi toutes les personnes que vous avez croisées au cours des deux dernières semaines." C’est de cette façon que les régions et les communautés vont faire du "contact tracing" pour lutter contre la propagation du virus. Il n’y aura pas d’application fédérale pour établir la liste des contacts des personnes positives au coronavirus. La stratégie de tracing est désormais basée sur une armée d’enquêteurs dans des call centers.

Personne ne veut prendre le risque d’être associé à une application déjà décriée de toutes parts dans les médias et la population.

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir quelques semaines en arrière. En plein pic de l’épidémie, l’idée d’une application de contact tracing fait son chemin comme dans de nombreux pays. Singapour a ouvert la voie, les pays européens sont méfiants, mais comprennent qu’il s’agit d’un élément qui sera déterminant dans leur stratégie de sortie de crise. Chaque pays y va de son initiative. La Commission européenne s’empare du sujet et émet alors une liste de recommandations à respecter, poussée dans le dos par les autorités de protection des données des États membres.

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Un dossier encombrant

En Belgique, les yeux sont tournés vers le ministre Philippe De Backer (Open Vld). En charge de l’agenda digital et de la protection des données, le dossier est arrivé naturellement sur son bureau. Pourtant, il s’en serait bien passé. Les levées de boucliers pour défendre la protection des données et dénoncer des pratiques autoritaires se succèdent, il est régulièrement sur le gril lors de ses interventions à la Chambre et son cabinet est embarrassé à la moindre question sur le sujet. En réalité, ce n’est pas tant l’application qui pose souci au sein du cabinet, mais bien la compétence en elle-même. Dans la fameuse lasagne institutionnelle belge, le contact tracing est une compétence régionale et communautaire.

En charge de l’agenda digital et de la protection des données, le dossier est arrivé naturellement sur le bureau du ministre De Backer. Pourtant, il s’en serait bien passé.

Le ministre De Backer doit donc négocier avec les régions et communautés sur toutes les décisions qu’il envisage concernant cette future application. Conseillé par l’Autorité de protection des données et une taskforce, le cabinet tente de manœuvrer pour réussir à accorder tout le monde sur une solution commune. 72 applications sont proposées au cabinet, qui en retient une dizaine mi-avril. Il tente alors de définir un cadre juridique pouvant encadrer l’application, car aucun texte de loi ne prévoit l’utilisation d’une telle application. Le monde politique s’empare du sujet, Ecolo/Groen en tête, et une résolution pour limiter l’usage d’une application est même déposée et cosignée par une majorité de partis, dont l’OpenVld, parti du ministre De Backer. Ambiance.

"Un call center, ça ne fait peur à personne"

La tension monte en coulisse et le sujet crispe l'opinion publique. Après des jours d’intenses négociations, le jeudi 23 avril sonne le glas d’une application de contact tracing. Le ministre rétropédale en annonçant qu’il n’y aura pas de choix fait concernant une application fédérale et passe la main aux régions faute d’accord entre elles sur une stratégie commune sous l’égide du Fédéral. Faute d’accord et "faute de courage politique", nous glisse une personne présente lors des négociations. Personne ne veut prendre le risque d’être associé à une application déjà décriée de toutes parts dans les médias et la population. "Un call center, ça ne fait peur à personne."

Il restait à ce moment-là cinq applications en lice pour devenir l’application officielle belge, les développeurs sont gentiment éconduits, le cabinet met le dossier au frigo.

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Lors de la conférence de presse kafkaïenne du Conseil national de sécurité du vendredi 24 avril, le ministre-président wallon Elio Di Rupo (PS) évoquera en une phrase le sujet vers 23h. Emballé c’est pesé, on ne parle plus d’application, mais de call centers pour faire le tracing. Pourtant, on apprend que le sujet aurait pris 2 heures de temps dans les négociations du CNS du jour.

Une histoire sans fin

S’il est acté qu’il n’y aura pas d’application fédérale, ce n’est pourtant pas la fin de l’histoire. Le cabinet De Backer continue toujours à travailler sur le sujet discrètement et prépare tout de même un cadre légal ad hoc. Ce cadre légal sera utilisé pour des applications indépendantes qui pourraient être mises sur le marché et qui devront répondre aux critères émis par le Fédéral, les régions et l’Autorité de protection des données.

On pourrait donc se retrouver avec plusieurs applications de contact tracing d’ici quelques semaines, des applications différentes par région ou des applications étrangères, voire rien de tout cela. C’est le flou total. Un comble alors que nos voisins européens sont quasi tous sur le point d’activer leur application nationale anti-Covid.

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