4 scénarios pour penser l’après-Covid

“Et si le trafic aérien diminuait de 90%?” En décembre 2019, cette question vous aurait paru saugrenue; elle n’était pas dans l’air. Il y a 6 mois, peut-être ne saviez-vous pas où vous partiriez en vacances à Pâques. Mais vous n’imaginiez pas que PERSONNE ne partirait en vacances à Pâques.

Est-il possible de se préparer à de tels événements, très improbables mais à très fort impact? Oui. Mais il faut abandonner la méthode classique des prévisions. Il faut penser LES futurS, par la méthode des scénarios. C’est ce que nous vous proposons de faire ensemble. Attachez vos ceintures!

La méthode des scénarios, qu’est-ce que c’est? Luc de Brabandère, co-fondateur de cartoonbase, vous explique.

Quatre scénarios pour l’après-Covid

Et si tout le monde devait travailler le samedi? Et si les seniors étaient confinés pour plusieurs années? Et si la justice était mise totalement à l’arrêt? Et si Bill Gates reprenait l’ONU et l’OMS via sa fondation?

Et si les seniors étaient confinés pour plusieurs années? - “Strawberry Fields Forever”

Nous sommes le 15 septembre 2020. Marie-Claire Boomer vient de raccrocher le téléphone, et elle craque. Malgré l’opposition de ses deux enfants, elle s’était portée candidate pour tester pendant l’été une nouvelle application de tracing sur son smartphone. Ayant détecté un contact avec une personne contaminée, l’opérateur a prévenu directement son médecin qui a décidé aussitôt de prendre une mesure radicale. Voilà Marie-Claire reconfinée! Et là, le désespoir la submerge. Et le confinement, si c’était pour toujours?

Marie-Claire n’est pas la seule dans sa situation, et le gouvernement, très inquiet de cette deuxième vague qui semble frapper les seniors, décide de leur demander un nouvel effort d’isolement, à durée indéterminée.

Les mesures sont populaires, car une vidéo devenue virale montre la très grande responsabilité des 65+ dans l’endettement écologique et financier du monde.

Des « likes » pour évaluer Wikipedia

Le choc une fois passé, Marie-Claire décide de jouer le jeu, et même d’en défendre le principe sur les réseaux sociaux auxquels elle a pris goût. Elle le fait très tôt le matin, car Internet est au bord de la saturation, et les seniors ne peuvent plus l’utiliser après 8h30 pour ne pas pénaliser l’activité économique.

Après une tentative de Google de racheter Wikipedia, c’est au tour de Pierre, le compagnon de Marie-Claire, de prendre conscience de l’ampleur des nouveaux enjeux en cours. Il corrigeait depuis des années bénévolement des articles de Wikipedia, mais il n’a pas supporté l’idée de Google de vouloir y installer un système de «likes» destiné à évaluer la qualité des contributions.

Ancien enseignant de grec et de latin, Pierre a depuis conjugué pension et passion. Il s’est fait sienne la devise de Pline l’ancien Nulla dies sine linea, pas un jour sans une ligne. Membre de la commission pour l’introduction d’un cours de pensée critique dans le secondaire, Pierre voit dans ce pseudo confinement qui pourrait être définitif une opportunité pour faire passer des idées auxquelles il a cru toute sa vie.

Les époux deviennent les porte-paroles d’un mouvement citoyen Seniors on Board qui mobilise de plus en plus de bonnes volontés. Ils reçoivent le soutien de Greta Thunberg dont le visage s’illumine dès qu’elle parle de l’initiative belge.

Concert à l’Olympia en 1963

Après deux années entières de mise à l’écart, les choses s’améliorent doucement et de petites retrouvailles sont enfin autorisées. Le 15 septembre 2022, Marie-Claire et Pierre se rendent à l’anniversaire d’un vieil ami. Tous ceux présents semblent surpris de l’énorme changement qui s’est opéré dans leur vie. Une bonne partie d’entre eux n’a même pas de regrets. Malgré les croisières annulées devenues dérisoires, malgré aussi le sévère impôt sur la fortune entré en vigueur le 1/1/21.

La mesure était devenue inévitable après le nouveau refus du Parlement d’engager une discussion sur l’allocation universelle.

La musique des sixties est diffusée en continu pendant la soirée. «Imaginez qu’il y a plus de 50 ans que les Beatles se sont séparés» fait remarquer un convive qui se souvient de leur concert à l’Olympia en 1963 . «Et ils sont toujours là!», rétorque un autre. Malgré la disparition de deux d’entre eux, malgré la distance, malgré la concurrence, plus forts que jamais. Mais oui, il est là le destin des seniors!

Confinement, infiniment. Strawberry fields forever!

Et si la justice était mise totalement à l’arrêt?
“I Walk the Line”

Nous sommes le 10 septembre 2020 à la justice de paix de Gand. Pierre Van Verdict dépoussière son écran d’ordinateur et empile quelques dossiers jonchés sur sa table de travail qu’il a dû quitter en catastrophe quand tout «ça» a commencé.

Il prend une grande respiration à travers son masque et s’installe à son bureau. Avant d’entamer sa pile de dossiers et de reprendre du service, il a besoin d’un moment.

Un moment pour garder son calme à l’idée qu’après trois mois confinés, il n’a eu que 20 jours de travail jusqu’aux vacances judiciaires, un moment pour réfléchir à l’augmentation en flèche des litiges attendus pour des loyers impayés, un moment pour se rassurer à l’idée que les 186 autres juges de paix du pays se posent probablement les mêmes questions que lui.

Le tissu économique est sorti tellement fragilisé de la crise que seule une réponse rapide de l’appareil judiciaire aurait permis de gérer les nombreux cas de désaccords et toutes leurs subtilités. A contrario, l’incapacité de traiter ces nombreux dossiers a durablement effrité la confiance que les citoyens et les entreprises accordaient à la justice. Cela s’est traduit tout simplement par un refus croissant de remplir les obligations contractuelles à tous les niveaux de la société.

Près de deux ans plus tard, en septembre 2022, Pierre se rend à Bruxelles pour une grande manifestation de tout le monde judiciaire, la plus grande que le pays ait jamais connu. Le constat est simple: les greffiers, avocats, juges et collaborateurs n’en peuvent plus. Le manque chronique d’infrastructures informatiques et physiques cumulé au retard phénoménal accumulé lors de la crise a vidé le monde judiciaire de toute son énergie.

Les années qui suivent sont témoins de chamboulements sans précédent. Le gouvernement en exercice décide de réorganiser complètement la justice et de consacrer l’entièreté de son budget aux affaires pénales uniquement. Le ministre compétent estime qu’elles seules rentrent dans le champ des compétences «véritablement» régaliennes de l’Etat et qu’il est dès lors indispensable de leur accorder ce traitement particulier. Les effets ont été immédiats et le délai moyen de jugement a rapidement été réduit de moitié.

Pour toutes les affaires de propriété intellectuelle par exemple, le gouvernement compte sur une main invisible dont les internautes seraient les marionnettistes.

Les auteurs déposent leurs œuvres sur une plateforme publique et sécurisée. De cette façon, les marques ou auteurs qui reprendraient des images ou textes pour leur compte sans accord de l’auteur risquent de se frotter à un lynchage sur les réseaux sociaux.

Le monde de l’entreprise, quant à lui, s’est rapidement adapté. Des agences spécialisées évaluent en continu les entreprises pour le respect de leurs engagements contractuels. De cette façon, une entreprise qui ne paye pas ses fournisseurs ou ne respecte pas ses obligations a davantage de mal à établir des contrats, ou encore, une entreprise qui bafoue des droits du travail est sanctionnée uniquement si ses partenaires s’en soucient.

Les propriétaires de biens immobiliers, quant à eux, ne louent qu’à force de garanties en béton et les locataires sont les grands oubliés de cette justice privée. Ils n’ont d’autre choix que de se conformer aux exigences du marché et «I walk the line» est devenu leur hymne. Souvent ils chantent:

“I find it very, very easy to be true
I find myself alone when each day is through Yes, I’ ll admit that I’m a fool for you Because
you’re mine, I walk the line.”

Et cela résonne jusque dans le bureau vide de Pierre Van Verdict.

Et si Bill Gates reprenait l’ONU et l’OMS via sa fondation? - “We Are the World”

Le 10 septembre 2022, ça faisait longtemps que Bill n’avait plus eu cette impression angoissante de rentrée des classes. Tout ça a été si vite. S’il avait prévu cette pandémie terrible qui s’est abattue sur le monde fin de l’année 2019, s’il savait qu’il allait devoir jouer un rôle pour la combattre, jamais il n’aurait pensé être promu à ce stade de sa carrière.

Remontons un peu dans le temps. Le 15 avril 2020, Donald Trump décide de priver l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de fonds américains en raison d’une réaction «tardive et complaisante envers la Chine». Très rapidement, les soutiens envers l’OMS, considéré comme le seul institut capable de superviser et de coordonner les efforts pour répondre à ce défi mondial, affluent.

Mais c’est quelques mois plus tard, le 10 septembre 2020 que tout a réellement commencé pour Bill. Les réactions à l’annonce du président américain n’ont pas trainé. La Chine, rapidement suivie par la quasi-totalité des Etats du monde, réaffirme son soutien à l’Organisation. Naturellement, la Bill & Melinda Gates Foundation, par la voix de son porte- parole, déclare également augmenter sa dotation à l’OMS.

Les Etats-Unis hors-jeu, ça fait de la fondation le principal donateur de l’OMS, devant tous les autres Etats.

Quelques mois plus tard, au sortir du pire de la pandémie, l’OMS invite Bill Gates comme speaker au plus grand webinar jamais organisé. Près de 3 milliards de personnes regardent son allocution intitulée «We are the world : global cooperation to fight global problems». Ce soir-là, lui à qui Steve Jobs ne trouvait «aucun charisme», a convaincu. Il a convaincu que seuls face aux grands problèmes du monde, les Etats ne pouvaient rien, il a convaincu que des réactions isolées ne pouvaient conduire à des solutions efficaces, et surtout, il a convaincu que le monde allait connaître des catastrophes de plus en plus globales et de plus en plus fréquentes. Son agenda minuté est bousculé et sa vie transformée.

Du jour au lendemain, c’est comme si le monde entier réalisait la cruciale urgence des efforts dans lesquels il s’est engagé aux côtés de son épouse depuis toutes ces années. Les journaux partout dans le monde proposent une section «what’s new in the Gates Foundation». Plus un événement ne se passe de ses conseils et malgré lui, il devient une référence absolue. Si bien qu’à l’été 2021, les Jeux Olympiques sont déclarés «Gates approved» et la chanson d’ouverture des Jeux sera «We are the world» en souvenir de son allocution.

Ces Jeux ont été marqués par des résultats sportifs historiquement médiocres. Les athlètes ont été totalement bousculés dans leur pic de performance et ont pour la plupart décidé de concentrer leurs efforts pour les Jeux de Paris en 2024. En revanche, les compétitions parallèles, totalement digitales, organisées par le Comité International Olympique font fureur. Près de deux millions de coureurs ont ainsi pu concourir à l’épreuve du marathon sur tapis, chacun depuis leur domicile. Cela fait partie d’une campagne de communication mondiale: faire du sport pour renforcer le système immunitaire et empêcher une résurgence de l’épidémie.

L’activité physique n’est plus un choix, c’est une obligation morale.

Au bout de près de deux ans de réunions de coordination et de rencontres avec des scientifiques et des chefs d’Etat aux quatre coins du globe, Bill se retrouve là, assis sur son lit, la boule au ventre. Demain, il actera la fusion entre sa fondation et les Nations Unies et prendra la tête de ce mastodonte dans la foulée. Lui qui n’a pas raté une fois ses sacro-saintes 7 heures de sommeil depuis 50 ans, ne trouve pas le sommeil.

Pourtant, il est sûr de lui. Il sait les lourdeurs administratives d’un tel montage mais son constat est sans équivoque, c’est le seul moyen pour régler les problèmes de pauvreté, d’écologie et de santé publique de la planète. De plus, tous les pays du G20 ont donné leur accord et ont accepté de lui donner la marge de manœuvre et le droit de regard qu’il avait demandés. De toute façon, les citoyens ne s’intéressaient plus à leur Etat. Il suffit de prendre pour témoin le désintérêt total pour l’élection américaine en 2020. Les gens ne votent plus que pour les élections locales et pour les projets présentés tous les mois sur le site de sa fondation. Pour Bill, c’est presque trop beau pour être vrai et demain... c’est sa rentrée.