D'abord plombés par le deal UBS-Credit Suisse, les marchés se reprennent
Le rachat de Credit Suisse par UBS n'a pas tout de suite rassuré les marchés qui ont ouvert dans le rouge, avant de se redresser à mi-séance. Les craintes ont surtout tourné autour de l'impact de l'accord au sujet d'une partie de la dette de Credit Suisse.
C'est avec une grande nervosité que les marchés ont accueilli ce lundi l'accord annoncé par les autorités helvétiques sur le rachat de Credit Suisse par sa consœur UBS pour un montant de 3 milliards de francs suisses en actions. Les premiers mouvements semblaient d'ailleurs suggérer que les investisseurs n'étaient pas totalement convaincus, s'interrogeant en particulier sur l'impact de ces mesures de sauvetage sur le marché du crédit.
"Les prochaines heures de cotation nous donneront une meilleure idée de l'endiguement de la crise. En théorie, il n'y a pas de raison que la crise de Credit Suisse s'étende parce que ce qui a déclenché le séisme pour Credit Suisse est une crise de confiance"
"Les prochaines heures de cotation nous donneront une meilleure idée de l'endiguement de la crise. En théorie, il n'y a pas de raison que la crise de Credit Suisse s'étende parce que ce qui a déclenché le séisme pour Credit Suisse est une crise de confiance, ce qui ne concerne pas UBS, une banque en dehors de la tourmente, avec, en outre, des liquidités abondantes et la garantie de la BNS (Banque nationale Suisse) et du gouvernement", a déclaré Ipek Ozkardeskaya, analyste senior chez Swissquote Bank.
À l'ouverture des marchés, l'action Credit Suisse s'est effondrée de plus de 60% à la Bourse de Zurich et celle d'UBS de plus de 8%. Si la première est restée sous forte pression, la deuxième est quant à elle remontée dans le vert, alors que les autres valeurs bancaires en Europe ont toutes réduit ou effacé leurs pertes, de même que les indices boursiers - comme le Stoxx Europe 600 - qui sont repassés en territoire positif dès la mi-séance, malgré leur démarrage dans le rouge. À la Bourse de Bruxelles, le Bel 20 a ainsi retrouvé le chemin de la hausse, tout comme l'action KBC .
À Wall Street, la tendance évoluait également dans le vert. Les indices Dow Jones et S&P 500 ont ouvert en légère progression, suivi un peu plus tard par le Nasdaq , à connotation technologique.
Sur le marché obligataire, les rendements de la dette des États se stabilisaient aussi, après avoir chuté sur fond de repli des investisseurs vers ce type d'actif considéré plus sûr. Le taux du Bund allemand à 10 ans, considéré comme le taux de référence en Europe, est ainsi passé brièvement sous la barre symbolique de 2%, soit son plus bas niveau depuis la mi-décembre 2022, avant de se redresser. D'autres actifs qualifiés de "refuge" se sont distingués, à l'instar de l'or, dont le prix de l'once a grimpé jusqu'à plus de 2.000 dollars, avant de retomber sous ce cap en seconde partie de journée.
Les AT1 visés
Ce qui semblait chiffonner les investisseurs à l'égard du secteur bancaire, ce sont les retombées de l'accord à l'égard des obligations dites "Additional Tier 1" des banques à l'échelle mondiale. Le régulateur suisse a déclaré, en effet, que 17 milliards de dollars d'obligations de ce type émises par Credit Suisse seraient effacés.
Ces titres de dette, aussi connus sous le nom de CoCo, ont été créés dans le sillage de la crise financière de 2008 et entrent dans le calcul des fonds propres d'une banque.
"Il est surprenant que les actionnaires de Credit Suisse gardent quand même quelque chose alors que les créanciers AT1 perdent tout. La hiérarchie normale aurait impliqué que les actionnaires perdent tout avant que les titres AT1 soient concernés."
Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG, rappelle que les investisseurs connaissaient les risques lors de l'acquisition de ces titres, qui, en échange, offrent un rendement supérieur aux obligations ordinaires. "Mais il est surprenant que les actionnaires de Credit Suisse gardent quand même quelque chose alors que les créanciers AT1 perdent tout. La hiérarchie normale aurait impliqué que les actionnaires perdent tout avant que les titres AT1 soient concernés."
Or les autorités suisses ont simplement décidé de leur faire porter une partie du fardeau financier dans le cadre du rachat de Credit suisse par son rival, là où les actionnaires vont toucher au total 3 milliards de francs suisses ou 76 centimes par action (contre 1,86 franc à la clôture vendredi).
Les obligations AT1 de certaines banques asiatiques ont enregistré une chute record ce lundi matin.
La BCE se veut rassurante
Ce qui semble avoir progressivement rassuré les investisseurs, ce sont les annonces des autorités de surveillance européennes, qui ont précisément tenté d'empêcher une déroute sur le marché de ces obligations bancaires convertibles. Les régulateurs européens - la Banque centrale européenne, l'Autorité bancaire européenne et le Conseil de résolution unique - ont déclaré que les propriétaires de ce type de dette ne subiraient des pertes qu'après celles des actionnaires, contrairement à ce qui s'est passé au Crédit suisse. Si un même cas venait donc à se poser au sein de la zone euro, ils signifient ainsi qu'ils continueraient à imposer des pertes aux actionnaires avant les détenteurs d'obligations.
"Cette approche a été appliquée de manière cohérente dans les cas précédents et continuera à guider les actions du SRB et de la supervision bancaire de la Banque centrale européenne (BCE) dans les interventions de crise", ont-ils déclaré dans un communiqué. Ces commentaires ont permis au prix des obligations bancaires de réduire les pertes et ont d'ailleurs été repris par la Banque d'Angleterre peu de temps après. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a par ailleurs répété lors d'une audition au Parlement européen que les banques en zone euro affichaient des matelas financiers "bien supérieurs aux exigences". "Nous sommes convaincus que les positions de fonds propres et de liquidités des banques de la zone euro sont très satisfaisantes", a-t-elle insisté.
La veille, les banques centrales de six pays, dont celle de la Suisse, la Réserve fédérale américaine et la BCE, avaient également décidé de renforcer un dispositif qui facilite l'accès de banques centrales étrangères aux dollars, alors qu'il pourrait devenir difficile pour des banques situées en dehors de cette zone monétaire de financer leurs activités liées au dollar. Elles ont ainsi réactivé un accord dit de "swap" faisant que la BCE et l'ensemble des banques centrales nationales de la zone euro peuvent recevoir des dollars des États-Unis de la Fed en échange d'un montant équivalent en euros. Pour la BCE, les fournitures de dollars jusqu'ici hebdomadaires sont devenues quotidiennes depuis ce lundi, et ce au moins jusqu'à fin avril.
Décision imminente de la Fed
Il faut, par ailleurs, noter que la tension durant cette séance a également été alimentée par la décision imminente de la Réserve fédérale sur les taux d'intérêt, car elle ajoute davantage d'incertitude au marché.
"Nous ne sommes qu'au début d'une semaine qui pourrait être longue et mouvementée, et les marchés devraient rester sur le qui-vive pendant un certain temps."
Les swaps indexés au jour le jour aux États-Unis considèrent désormais qu'il y a 70% de chances qu'une hausse d'un quart de point de pourcentage ait lieu lors de la réunion de la Fed de cette semaine, contre 50 % au milieu de la semaine dernière.
"La perception généralisée de risques bancaires importants et persistants devrait inciter la Fed à faire une pause dans son projet de relèvement des taux", a déclaré Jason Schenker, président de Prestige Economics.
Selon Andrew Ticehurst, spécialiste taux chez Nomura Holdings Inc., à Sydney, les marchés resteront probablement nerveux même après l'accord d'UBS sur l'achat de Credit Suisse. "Nous ne sommes qu'au début d'une semaine qui pourrait être longue et mouvementée, et les marchés devraient rester sur le qui-vive pendant un certain temps."
L'Association suisse des employés de banque n'a pas tardé à réagir au rachat de Credit Suisse par UBS. Dans une déclaration à Reuters, elle exige qu'UBS limite les suppressions d'emplois à un "minimum absolu". La fusion entraîne d'importants chevauchements. Les deux prêteurs employaient ensemble près de 125.000 personnes à la fin de l'année dernière, dont environ 30 % en Suisse.
Rappelons qu'avant même son sauvetage, Credit Suisse avait annoncé la suppression de 9.000 emplois pour redresser la barre. Selon des personnes au fait des discussions, le processus n'était qu'au début.
Le président d'UBS, Colm Kelleher, a déclaré qu'il était trop tôt pour connaître le nombre de suppressions d'emplois, mais UBS a indiqué qu'elles seraient importantes. L'entreprise a déclaré dans un communiqué publié dimanche qu'elle prévoyait de réduire la base de coûts annuelle de la nouvelle société de plus de 8 milliards de dollars d'ici à 2027. Cela représente près de la moitié des dépenses de Credit Suisse l'année dernière.
Dans un mémo interne, Ralph Hamers, CEO d'UBS Group AG, a conseillé à son personnel de ne pas parler d'affaires avec ses homologues de Credit Suisse. "N'oubliez pas que, jusqu'à ce que l'accord soit conclu, Credit Suisse reste notre concurrent. Nous ne pouvons pas discuter de questions commerciales avec leurs employés ni prendre des mesures qui pourraient être interprétées comme un pas vers la fusion des activités."
Il règne donc un important malaise en Suisse, dont la réputation de centre financier mondial est en jeu. "Un zombie est parti, mais un monstre est né", peut-on lire dans le Neue Zuercher Zeitung.