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analyse

Prolongation du nucléaire: qui paiera les garanties accordées à Engie?

L'impact de la prolongation de Doel 4 (en photo en arrière-plan) et de Tihange 3 risque de ne pas épargner le contribuable. ©Hollandse Hoogte / Frans Lemmens

La prolongation du nucléaire ne conduira pas à de nouvelles taxes pour le consommateur, affirment les autorités. Mais le contribuable risque de ne pas être épargné.

L’accord entre l’État et Engie sur la prolongation du nucléaire prévoit non seulement d'accorder à Engie un plafond sur le coût de la gestion des déchets nucléaires, mais aussi de lui garantir une rentabilité sur son investissement. Deux mécanismes sont envisagés pour cette garantie, un ‘contract for difference’, ou un système de base d’actifs régulés. Mais quelle que soit l’option retenue, elle devrait in fine être financée par la facture du consommateur, nous expliquait-on mardi à bonne source.

Pas de nouvelle taxe, selon les autorités

Le sujet est politiquement sensible, et les déclarations se succédaient, ce mercredi, affirmant que la prolongation du nucléaire ne conduira pas à de nouvelles taxes. "Techniquement, cela peut parfaitement se régler au sein de l’entreprise – à laquelle l'État belge et Engie participeront conjointement – et non via le consommateur, puisque l'État est actionnaire", explique le cabinet du Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD). "Si la marge bénéficiaire autorisée n'est pas atteinte pendant un an, elle pourra être compensée par les résultats de l'année précédente ou de l'année suivante."

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"Il n’y aura pas de taxe supplémentaire liée à la prolongation de l’activité nucléaire pour les citoyens. L’électricité produite par le nucléaire est moins chère et permet davantage de marge. Les travaux seront autofinancés", assurait un peu plus tôt le président du MR, Georges-Louis Bouchez. Son homologue de Vooruit, Conner Rousseau, va plus loin. "Nous ne prolongeons la durée de vie des centrales nucléaires que sous trois conditions strictes: que ce soit l’option la moins chère pour la facture énergétique, que l’énergie soit sûre et que l’approvisionnement soit assuré."

Un risque tout de même

Dont acte. Mais ces déclarations ressemblent plus à des espoirs et à des promesses qu’à des certitudes. "Les deux mécanismes évoqués dans l’accord sont normalement financés par un poste sur la facture du consommateur, une cotisation ou une accise, confirme une autorité en matière de régulation. Mais le gouvernement peut toujours en décider autrement, et faire supporter cela par le budget de l’État."

"Nous partons du principe que cette prolongation va être rentable, vu les prix de l'énergie actuels."

Une source proche du gouvernement

Le gouvernement De Croo espère en réalité que ce ne sera pas nécessaire. "Nous partons du principe que cette prolongation va être rentable, vu les prix de l’énergie actuels", explique une source.

Comme l’État va prendre 50% des deux réacteurs prolongés, il va aussi pouvoir bénéficier des bénéfices potentiels de la prolongation. Mais il va aussi supporter 50% du risque de l’investissement, qui pourrait au total être de l'ordre de 1 milliard d’euros. Et si Engie a tant tenu à obtenir une garantie sur son investissement, c’est qu’il y a tout de même un risque de non-rentabilité. S'il se matérialise, la facture sera soit à charge des consommateurs – ce qui semble aujourd’hui exclu – soit à charge des contribuables.

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Une prise de participation gratuite?

Autre point d’interrogation pour les finances de l’État: l'État belge va-t-il devoir payer pour prendre 50% dans la nouvelle société, NuclearSub, dans laquelle seront placés les deux réacteurs prolongés? Ce n’est pas encore clair. En principe, les deux réacteurs seront complètement amortis en 2025, mais auront encore une valeur résiduelle. Jusqu’ici, il n’a pas été question d’un prix de rachat dans les discussions avec Engie, nous revient-il. Cela devra être confirmé d’ici la fin juin.

L’épée de Damoclès des déchets

Plus important: l’accord prévoit de fixer, le 15 mars, des plafonds pour le coût de la gestion des déchets nucléaires. Il y a accord sur la méthodologie, il faut encore fixer le montant forfaitaire qu’Engie va devoir payer. Le calcul va être réalisé avec l’aide de l'Ondraf, l’organisme public chargé de la gestion des déchets nucléaires, de la Commission des provisions nucléaires et de la Banque nationale.

Les coûts de démantèlement resteront à charge d’Engie, mais au moment du 'closing' de la transaction, en principe en mars 2024, Engie versera un certain nombre de milliards d’euros à l’État pour solde de tout compte sur l'enfouissement des déchets B&C – sauf si le volume de ces déchets s’avère plus important que prévu.

"Décider d'un plafond alors qu'on n'est pas sûr de ce que l'on va faire de ces déchets est acrobatique."

Certains spécialistes ne cachent pas leur inquiétude. "Décider d’un plafond alors qu’on n’est pas sûr de ce que l’on va faire de ces déchets est acrobatique, même en incluant une prime de risque. Tant de choses peuvent arriver concernant l’enfouissement des déchets, qui est un projet à très long terme", pointe l’un d’eux. "La question du taux d’actualisation pour les provisions déjà constituées va être cruciale, remarque un autre. Parce qu’on ne pourra plus le réviser tous les trois ans, et qu’Engie ne sera plus là pour suppléer si les sommes rapportent moins qu’attendu."

Bref, c’est désormais l’État belge, et donc le contribuable, qui devront vivre avec l’épée de Damoclès des déchets nucléaires, et non plus Engie.

Les milliards de l’île de la tentation

Et il y a le risque de voir cet argent dilapidé. "Vous souvenez-vous du fonds de pension Belgacom?" glisse un interlocuteur. En 2003, avant d’introduire l’opérateur télécom en Bourse, le gouvernement Verhofstadt avait repris à sa charge le paiement des pensions des fonctionnaires statutaires, et avait parqué les 5 milliards du fonds de pension de Belgacom dans le "fonds de vieillissement" censé amortir le ‘papy boom’. Mais ce fonds a été démantelé par le gouvernement Michel, et l'État doit désormais débourser pas loin d’un demi-milliard par an pour payer ces pensions.

En 2024, Engie va verser des milliards à l'État. Combien? Impossible à déterminer aujourd'hui. La Commission des provisions nucléaires lui impose de rajouter 3,3 milliards aux près de 15 milliards de provisions déjà constituées. Si on ajoute encore une prime de risque, on devrait, à la louche, dépasser les 20 milliards, dont grosso modo les trois quarts doivent couvrir l’enfouissement des déchets nucléaires. Un "pactole" donc, qui pourrait être de l’ordre de 15 milliards. "Ces milliards d’euros, cela va être l’île de la tentation pour ce gouvernement et les suivants", glisse un proche du dossier.

Le gouvernement De Croo réfléchit à la meilleure manière de sécuriser cet argent, qui doit couvrir des coûts qui vont s'étaler sur des décennies.

Le gouvernement De Croo réfléchit à la meilleure manière de sécuriser cet argent, qui doit couvrir les coûts de la gestion des déchets qui vont s’étaler sur des décennies. Une option envisagée? Le parquer dans une structure spécifique à la SFPI, le bras financier de l’État, où il serait géré avec un consortium de banques belges. Mais rien n’est encore arrêté. 

Le résumé
  • La garantie de rentabilité sur investissement qui va être accordée à Engie ne sera pas financée par une nouvelle taxe sur la facture du consommateur, promettent les autorités.
  • Mais il y a tout de même un risque, qui sera soit à charge du consommateur, soit à charge du contribuable.
  • Le plafonnement du coût de la gestion des déchets nucléaires est une épée de Damoclès plus importante encore pour l'État belge, et donc le contribuable.
  • Et puis il y a le risque de voir dilapidés les milliards d'euros qu'Engie va verser à l'État en 2024...
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