PTB et PS séduisent les villes, le MR les plus riches: voici comment les francophones ont voté

Le MR remporte la palme dans les communes les plus riches, Les Engagés attirent davantage dans les zones rurales, alors que le PTB score mieux dans les communes avec le plus de jeunes. L’Echo analyse les résultats des élections sous un angle socio-économique unique.

Par Nicolas Baudoux, Thomas Roelens, Olaf Verhaeghe, Raphael Cockx, Laurens Dekock Adaptation du format par Benjamin Verboogen Publié le 10 juin 2024

Une vague bleue a déferlé sur les élections ce dimanche. Le MR décroche ainsi le titre de vainqueur des élections du côté francophone, en signant notamment des progressions dans des bastions historiques de la gauche. Mais au-delà du résultat global, il existe de grandes différences au niveau local. La popularité des principaux leaders est un levier pour attirer des voix - nous l’avons vu avec le record de Sophie Wilmès aux européennes - , mais les caractéristiques socio-économiques et démographiques locales peuvent également contribuer à expliquer le résultat des élections.

Quelle est l'influence du revenu moyen, du nombre d'électeurs issus de l'immigration ou du niveau d'éducation des personnes ayant le droit de vote sur le score de chaque parti? L’Echo croise le profil socio-économique des communes aux résultats fédéraux et vous montre dans quelle mesure le nombre de voix y est lié.

Comment lire les graphiques ci-dessous?

Pour chacun des cinq indicateurs sélectionnés, nous avons divisé les 281 communes wallonnes et bruxelloises qui ont voté pour la Chambre des représentants (fédéral) en cinq catégories égales. Les barres les plus à gauche des graphiques représentent les 20% de communes ayant les valeurs les plus basses (les revenus les plus bas par exemple). À l'extrême droite se trouvent les 20% des communes qui obtiennent les valeurs les plus élevées.

La façon dont les scores des principaux groupes politiques varient et évoluent au fur et à mesure que le revenu moyen augmente (par exemple) est immédiatement visible dans le graphique qui suit.


Plus riches sont les habitants, plus le MR score

Pourcentage moyen de votes par parti et par classe de revenus des communes. Q1 = 20% des revenus les plus bas, Q5 = 20% des revenus les plus élevés. Résultats 2019 Résultats 2024

Le comportement électoral exact des électeurs selon leurs revenus ou leur diplôme reste évidemment inconnu dans notre pays, le vote étant secret et anonyme. Mais il est possible de décrypter des tendances à partir des caractéristiques des communes et des voix que les partis y ont obtenu. Ainsi, nous savons que le revenu moyen est presque deux fois plus élevé à Gembloux qu'à Mouscron ou que la proportion de Belges d'origine étrangère à Amblève ou à Saint-Hubert ne représente qu'un faible pourcentage par rapport à Anderlecht ou à Herstal.

Dans les communes où les habitants gagnent le plus, la proportion d'électeurs en faveur de la formation du MR est nettement plus élevée que dans les zones où le revenu des familles est le plus faible. Au plus les revenus augmentent, au plus le MR performe. Une tendance similaire à 2019.

En revanche, les résultats électoraux du PTB et du PS suivent le schéma inverse. Leurs scores sont meilleurs dans les endroits où les habitants sont les plus pauvres.

“On est sur quelque chose d’assez classique”, analyse Emilie van Haute, professeur de sciences politiques à l’ULB. “Ce sont des partis ancrés sur les clivages socio-économiques et qui font de ces divisions le cœur de leur programme et de leur priorité. Il n’est pas étonnant qu’on ait dès lors un électorat éclaté sur la question du revenu”.

Si les Verts ont perdu du terrain dans l’ensemble des classes, c’est chez les plus riches qu’ils connaissent la plus forte diminution (-10 points de pourcentage (pp)). Tout à l’opposé des Engagés qui y affichent leur plus forte progression (+12pp).

“Les Engagés ont capitalisé dans tous les segments de revenus. C’est un parti transversal”, continue Emilie van Haute. “Mais avec une perspective d’une coalition plus ancrée à droite, on verra comment cela sera perçu et évalué par les électeurs.”

Enfin, fortement corrélée au niveau de ressources des individus, la proportion de votes blancs est bien la plus élevée parmi les communes les plus pauvres.


Pourcentage moyen de votes par parti et par classe de revenus des communes. Q1 = 20% des revenus les plus bas, Q5 = 20% des revenus les plus élevés.

Au fur et à mesure que les revenus des communes augmentent, au moins le bloc de gauche - PTB, PS et Ecolo - performe. S'ils atteignent à eux trois presque la majorité (48,5%) dans le quintile le plus pauvre, ils n’obtiennent plus qu’un score de 27% parmi les revenus les plus élevés.

Le bloc de centre-droit comprenant Les Engagés et le MR est quant à lui bien plus fort dans les communes aux revenus les plus élevés, où ces partis obtiennent une majorité confortable (55,8%).


Les ruraux attirés davantage par le centre-droit

Pourcentage moyen de votes par parti et par densité de population des communes. Q1 = 20% les moins peuplées, Q5 = 20% les plus peuplées. Résultats 2019 Résultats 2024

Ce n'est pas seulement le portefeuille qui dicte les choix. L'environnement dans lequel les gens vivent et habitent peut avoir eu une influence sur le comportement électoral de dimanche dernier. La fracture entre la ville et la campagne se reflète-t-elle dans les résultats?

Les Engagés et le MR restent les partis ruraux par excellence en 2024. Ils ont pris hier la première place de toutes les communes de la Province du Luxembourg - mis à part Hotton aux mains du PS. Le mouvement de Maxime Prévot confirme son empreinte sur les territoires ruraux, où son score est d’ailleurs presque deux fois plus élevé que dans les endroits les plus densément peuplés. Les votes blancs et nuls sont aussi plus marqués en zone rurale.

Si les résultats du Parti du Travail de Belgique sont restés stables dans les localités urbaines, Raoul Hedebouw et sa clique ont subi un coup dur côté rural, où le parti a le plus chuté (-5,6pp). “C’est sans doute là que le parti a perdu des voix” commente Emilie van Haute.

Traditionnellement, les zones urbaines sont plus enclines à voter à gauche. Ce que la politologue confirme: “Liège et Charleroi sont moins favorisés que l’axe Brabant wallon-Namur si on superpose les variables économiques et de densité”.


Pourcentage moyen de votes par parti et par densité de population des communes. Q1 = 20% les moins peuplées, Q5 = 20% les plus peuplées.

Si le bloc de centre-droit concentre une majorité des voix en territoires ruraux, leurs résultats s’effritent au fur et à mesure que les communes se densifient. Le MR et Les Engagés passent ainsi de 55% dans les zones les plus rurales à 33% dans les zones les plus peuplées où la gauche pèse plus lourd avec 46% pour Ecolo, le PS et le PTB.


Le PTB est un parti de communes multiculturelles

Pourcentage moyen de votes par parti et par pourcentage de résidents issus de l'immigration (belge ayant une origine étrangère). Q1 = 20% les moins diversifiés, Q5 = 20% les plus diversifiés. Résultats 2019 Résultats 2024

Le PTB maintient le cap dans les localités les plus multiculturelles. Le meilleur score du parti se réalise en effet dans les endroits où vivent le plus de Belges issus de l'immigration ou ayant des racines à l'étranger, tout comme son pendant flamand, le PVDA.

Par contre, le parti perd du terrain dans les zones les moins diversifiées par rapport aux dernières élections. Emilie van Haute note que “le PS et le PTB performent bien en Wallonie et à Bruxelles dans deux types d’électorats: le premier issu de l’immigration italienne dans les anciens bassins industriels du Hainaut et de Liège mais aussi auprès de l’immigration marocaine”, comme l’expliquent les bons scores du PTB à Anderlecht ou à Molenbeek.

Le MR et Les Engagés ont bel et bien des scores corrélés à la diversité multiculturelle. Au plus les communes sont composées de Belges issus de l’immigration, au plus leur score diminue. DéFI et le PS suivent le chemin inverse puisque le parti socialiste, par exemple, récolte 24% des voix dans les communes les plus diverses, contre 15% de l’autre côté de la balance. Même si c’est dans le segment où il est le plus fort qu’il a perdu le plus de voix entre 2019 et 2024.


Pourcentage moyen de votes par parti et par pourcentage de résidents issus de l'immigration (belge ayant une origine étrangère). Q1 = 20% les moins diversifiés, Q5 = 20% les plus diversifiés.

Tout comme pour l’indicateur précédent, le bloc de centre-droit occupe une large majorité dans le quintile inférieur, qui regroupe les communes les moins multiculturelles, alors qu’Ecolo, PS et PTB touchent presque la moitié de la population des communes avec la proportion de Belges de souche la moins élevée.


Les communes comptant le plus de jeunes sont plus susceptibles d'être à gauche

Pourcentage moyen de votes par parti et par part des résidents âgés de 18 à 34 ans. Q1 = 20% des communes avec la plus faible proportion de jeunes, Q5 = 20% des communes avec la plus grande proportion de jeunes. Résultats 2019 Résultats 2024

Certains partis sont-ils des “partis de vieux”, alors que d’autres peuvent être considérés comme des “partis de jeunes”? La structure d’âge de la population par commune peut nous donner certains éclairages.

Le mouvement réformateur est le parti qui a le plus de voix dans les communes où la proportion des jeunes est la moins forte. C’est le cas pour La Hulpe ou Waterloo, où les libéraux l’ont emporté haut la main. Mais la tendance est moins marquée qu’en 2019.

De l’autre côté (encore), le PS et le PTB semblent avoir conquis davantage le cœur des communes les plus “jeunes”. Ils y réalisent leurs meilleurs scores, tout comme Ecolo d’ailleurs.

Emilie van Haute appuie cette analyse: “C’est assez classique et ce n’est surtout pas spécifique à la Belgique. Les jeunes sont davantage à gauche que leurs aînés”.

Les votes blancs sont plus prononcés dans les communes ayant une proportion de 18-34 plus élevée, sans toutefois marquer une grosse différence.


Pourcentage moyen de votes par parti et par part des résidents âgés de 18 à 34 ans. Q1 = 20% des communes avec la plus faible proportion de jeunes, Q5 = 20% des communes avec la plus grande proportion de jeunes.

Le MR et Ecolo scorent mieux chez les plus éduqués

Pourcentage moyen de votes par parti et par pourcentage de résidents ayant un niveau d'éducation supérieur (diplôme de l'enseignement supérieur), Q1 = 20 % de personnes ayant un faible niveau d'éducation, Q5 = 20 % de personnes ayant un niveau d'éducation élevé. Résultats 2019 Résultats 2024

En Wallonie, c’est Lasne, Chaumont-Gistoux et Ottignies-Louvain-la-Neuve qui regroupent la plus grande proportion de personnes “hautement instruites”, comme l’indique l’Office belge de statistique Statbel. Il s’agit de Watermael-Boitsfort, Woluwé-Saint-Pierre et Auderghem à Bruxelles.

Et c’est dans ces communes que le MR a décroché la première place ce 9 juin - la 2ᵉ à Ottignies. Un lien existerait-il…

Le parti libéral récolte en effet majoritairement des voix dans des communes avec un niveau d’éducation élevé. Tout comme Ecolo d’ailleurs. Alors que la gauche réunissant le PS et le PTB affichent des résultats diamétralement opposés. En 2019, c’est ce bloc qui obtenait aussi le meilleur score dans les communes où le niveau d’éducation est le moins élevé.


Pourcentage moyen de votes par parti et par pourcentage de résidents ayant un niveau d'éducation supérieur (diplôme de l'enseignement supérieur), Q1 = 20 % de personnes ayant un faible niveau d'éducation, Q5 = 20 % de personnes ayant un niveau d'éducation élevé.

Méthodologie Les cinq indicateurs utilisés sont le revenu net imposable moyen par déclaration (2022), la densité de la population (2023), la proportion de résidents de nationalité belge d'origine étrangère (2023), la proportion de personnes ayant un niveau d'éducation élevé (2021) et la proportion d'électeurs âgés de 18 à 34 ans (2023). Toutes les données proviennent de l'Office statistique belge Statbel.

Pour chacun des cinq indicateurs sélectionnés, nous avons divisé les 281 communes wallonnes et bruxelloises qui ont voté pour la Chambre des représentants (fédéral) en cinq catégories égales. Les barres les plus à gauche des graphiques représentent les 20% de communes ayant les valeurs les plus basses (les revenus les plus bas par exemple). À l'extrême droite se trouvent les 20% de communes qui obtiennent les scores les plus élevés.

Pour chaque quintile et pour chaque parti, nous calculons un score moyen pour les élections fédérales de 2024 et 2019. Plus le nombre de voix exprimées dans une ville ou une commune est élevé, plus la pondération est importante. Outre les six grands partis, nous prenons également en compte la part des votes blancs ou nuls. L'analyse porte à la fois sur les scores des partis obtenus pour les différents profils de communes et sur l'évolution par type par rapport à 2019.

Le Tijd réalise le même exercice pour les partis néerlandophones dans les 319 communes flamandes et bruxelloises.


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