Le vrai visage du Vlaams Belang
Le grand gagnant des élections, c’est le Vlaams Belang. On a beaucoup entendu que le parti d’extrême droite avait changé. Il serait même devenu plus fréquentable. Mais que dit le programme? Et son leader, Tom Van Grieken, qu’a-t-il dans le ventre, une fois sorti des plateaux télé? On a mené l’enquête. Et le constat est sans appel: le Vlaams Belang n’a pas changé.
Il n’y a pas photo. Le grand gagnant des élections 2019, c’est lui. Tom Van Grieken, 32 ans, président du Vlaams Belang. Le parti d’extrême droite flamand était donné pour mort il y a quelques années. La N-VA de Bart De Wever avait réussi à lui manger le gros de ses électeurs.
Cinq ans plus tard, on efface tout et on recommence. Le Vlaams Belang est à nouveau le deuxième parti de Flandre, comme il y a 15 ans, avec 18,5% des suffrages, triplant son score de 2014. Le nombre d’élus passe de 6 à 23 au Parlement flamand. Le scénario est le même à la Chambre, où le Belang multiplie par six le nombre de ses élus. Un carton. Rue de la Loi, seule la N-VA compte plus de députés (25).
Pour en savoir plus sur le sort réservé par L'Echo aux propos et aux agissements des extrêmes, lisez l'édito de François Bailly, rédacteur en chef de L'Echo.
Mister Nobody
Tom Van Grieken n’est pas un inconnu côté flamand. Avec 400.000 amis sur Facebook, des vidéos nationalistes radicales en rafale dont plusieurs dépassent le million de vues, il fait le buzz depuis un moment. La veille du scrutin, il est dans le dernier débat préélectoral organisé par VTM, face à un Bart De Wever qui le traite de "bouffon". Entre les deux, le socialiste John Crombez compte les points et se demande ce qu’il fait là.
Côté francophone en revanche, c’est mister Nobody. Il a pris la présidence de son parti en 2014, quand il ne pesait plus rien. On a oublié les 24,15% atteints en 2004 par ce qui s’appelait encore le Vlaams Blok, condamné dix semaines plus tôt pour racisme et xénophobie par la cour d’appel de Gand (d’où le changement de nom en novembre de la même année). Depuis lors, le parti flamand qui concentre toute l’attention et fait peur, c’est la N-VA de Bart de Wever. Le Vlaams Belang n’est plus qu’un mauvais souvenir. Comment s’appelle son président actuel? Personne ne le sait, tout le monde s’en fiche.
Plus depuis dimanche. Ce soir-là, les francophones apprennent son nom, découvrent à la télé son visage d’étudiant, sa mèche soignée, son look propre sur lui, cravate-pochette. Façon "Mad men", la cigarette et le verre de whisky en moins. Son discours est bref, propre. Il jubile mais ne la ramène pas.
Dans la presse francophone, on lira les jours suivants que son succès tient notamment à son style. Il évite la provocation, opte pour la modération, rendant son parti plus fréquentable. Mercredi, après la victoire électorale vient une première consécration officielle. Le Roi le reçoit en audience. Du jamais vu pour un parti d’extrême droite et… républicain. Aux grilles du palais, les caméras fixent ce moment qui fait déjà partie des archives. Pour lui qui vise la normalisation du Vlaams Belang, c’est de l’or en barre. Et pourtant rien n’a changé.
Objectif: le pouvoir
"La tendance dure est toujours bien là, la base du Vlaams Belang/Blok reste similaire, discriminatoire. Mais la dominante a changé: c’est la ligne modérée qui tient le micro."
Certes, "Tom Van Grieken a eu pour stratégie de développer une position plus modérée dans le but d’accéder au pouvoir, situe Benjamin Biard, spécialiste de l’extrême droite au Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp). Pour se montrer capable d’exercer le pouvoir, il a diversifié son programme, notamment sur le terrain socio-économique. Le leader historique Filip Dewinter tenait, lui, une position de parti lobby, focalisé depuis les bancs de l’opposition sur quelques priorités biens spécifiques, identitaires. La tendance dure est toujours bien là dans le parti, il existe d’ailleurs de grandes tensions entre les lignes radicale et modérée. Dewinter lui-même est toujours bien présent et continue ses provocations."
Filip Dewinter s’est par exemple fait remarquer lors de cette campagne en placardant des affiches ‘stop islamisering’ sur des commerces halal. "Il a aussi rendu visite à Aube Dorée en Grèce, un parti ouvertement néonazi, ce que Tom Van Grieken a condamné, rappelle le politologue. La tendance dure est toujours bien là, la base du Vlaams Belang/Blok reste similaire, discriminatoire. Mais la dominante a changé: c’est la ligne modérée qui tient le micro."
Les anciens et les nouveaux
"Nieuwe mensen, nieuwe thema’s, nieuwe stijl." Quand il reprend la présidence du Belang il y a cinq ans, Tom Van Grieken fait son mantra de ce triptyque. Pour le nouveau style, on voit bien: pas de provoc, il faut pouvoir passer à la télé comme les autres, être pris au sérieux comme les autres. En Flandre, on ne manque toutefois pas de lui rappeler qu’il s’est un jour amusé à perturber un repas halal organisé dans une école en distribuant des saucisses Zwan. Mais il ne collectionne pas les actions coup-de-poing comme d’autres partisans.
Le "nieuwe stijl" a sans doute eu son effet. Pour les "nieuwe mensen" (de nouvelles personnes) en revanche, c’est tout de suite moins évident. Les anciens sont toujours là, Dewinter mais aussi d’autres poids lourds comme Guy D’Haeseleer, autre figure très controversée, "représentatif du côté sale du Belang", comme le décrit Dave Sinardet, politologue à la VUB. Aux communales d’octobre dernier, le champion des voix de Ninove et ses partisans avaient fêté leur raz-de-marée d’un salut nazi.
Dans le même temps, de nouvelles têtes sont, de fait, arrivées. Parmi elles, une majorité restée sous le radar à ce stade, mais aussi quelques noms qui ont déjà marqué leur territoire. Au premier rang, Dries Van Langenhove (26 ans) et son groupe identitaire ultra-conservateur Schild & Vrienden, dont les échanges sur des forums fermés prennent un tour raciste et fascisant. L’intéressé dément mais la VRT l’a mis au jour dans un grand format qui a fait grand bruit. Mention spéciale aussi pour Filip Brusselmans (21 ans) qui, lui, s’est fait un nom en critiquant les transgenres et plus largement la communauté LGBT, qu’il tient pour "anormaux".
Manifestement, la ligne modérée ne vaut pas pour tout le monde. Y compris parmi les nouvelles têtes.
À la Le Pen
Quid enfin des "nouveaux thèmes" voulus par Tom Van Grieken? Le Vlaams Belang a densifié son programme, lui donnant une portée plus large. À la cause identitaire, "il a ajouté toute une batterie de positions plus sociales, comparables à celles du PTB, ce qui explique une partie de son succès", analyse Dave Sinardet: pension minimale de 1.500 euros, retour à la pension à 65 ans (ou 40 ans de carrière), TVA réduite à 6% sur l’énergie. "Tom Van Grieken a compris, comme Marine Le Pen en France, que la combinaison propositions sociales et politique dure sur l’immigration, c’est de l’or électoral."
Le parti a aussi "nettoyé son programme en ce sens qu’il a rendu moins extrêmes ses thématiques historiques fondamentales, ajoute Benjamin Biard. Dans son plan en 70 points sur l’immigration adopté en 1992, qui lui a valu procès et cordon sanitaire, le Vlaams Blok prévoyait par exemple le renvoi des personnes d’origine étrangère jusqu’à la troisième génération. Il n’y a plus trace de cela dans le programme d’aujourd’hui."
Si le programme du Belang a été édulcoré, il n’en reste pas moins radical, c’est peu de l’écrire. Il veut notamment "inscrire dans la constitution (NDLR, flamande) que la culture dominante flamando-européenne est la seule culture publique en Flandre, lit-on. Quelle que soit la valeur des autres cultures, elles ne peuvent jamais dominer ou refouler notre culture flamande."
Sur l’attribution d’un logement social, le parti dit que "la priorité doit être donnée à ceux qui disposent de notre nationalité".
Autre exemple. Pour l’attribution d’un logement social, "la priorité doit être donnée à ceux qui disposent de notre nationalité". "Seuls les étrangers qui ont séjourné légalement au moins huit ans dans notre pays et ont travaillé au moins trois ans peuvent avoir accès à un logement social."
FACT-CHECKING
Dans le programme du Belang, la préférence flamande se lit partout. C’est plus lisse qu’avant, mais c’est tout sauf lisse. Dans ce cas-ci par exemple, c’est contraire au droit européen, national et régional. Il y a, notamment, un décret flamand qui organise l’égalité des chances et de traitement et qui interdit toute discrimination, notamment dans l’accès au logement.
Dans la périphérie bruxelloise (le Vlaams rand), des régies locales de logement doivent être créées pour "mener une politique de préférence claire envers la population autochtone flamande". Dans le programme du Belang, la préférence flamande se lit partout. C’est peut-être plus lisse qu’avant, mais c’est tout sauf lisse. Surtout, c’est contraire au droit européen, national et régional. Il y a, notamment, un décret flamand qui organise l’égalité des chances et de traitement et qui interdit toute discrimination, notamment dans l’accès au logement.
Et Tom Van Grieken lui-même dans tout ça? Une fois sorti des plateaux télé, quel est son véritable degré de modération? Qu’a-t-il dans le ventre, l’invité du palais? Il n’y a pas trente-six manières de le savoir.
Direction place Madou, à Saint-Josse-ten-Noode. C’est là qu’est basé le QG du Vlaams Bemang, dans l’une des communes les plus multiculturelles du pays. Tom Van Grieken nous ouvre la porte de son bureau, au 8e étage d’un immeuble sans cachet. Un petit bureau ordinaire, ordonné. Rien à signaler hormis, posés sur une armoire, quelques gadgets brandés "Eerst onze mensen", le slogan du parti. "Nos gens d’abord."
Le porte-parole avait écarté notre demande de rencontre. "Pas possible, pas avant quinze jours." Mais les collègues du Tijd avaient, eux, déjà un rendez-vous. Alors on est monté dans la voiture du journaliste Wim Van de Velden, qui suit l’extrême droite depuis plus de 20 ans.
On s’attendait à un entretien très cadré, de courtes réponses bien rodées, format télé. Mais non, Tom Van Grieken a le temps. Il est détendu. Il digresse, parle en ébauchant des schémas sur un sous-main. Il blague un peu ("Attention, ma compagne est étrangère, vous savez. Bon, en fait elle est néerlandaise, mais quand même…"). Vif d’esprit, il affiche une grande assurance. Et surtout, il tape. Pendant deux heures, il tape.
Des ennemis, beaucoup d’ennemis
Il semble avoir beaucoup d’ennemis, Tom Van Grieken. Déjà, il vomit "l’élite", dans laquelle il range les partis traditionnels, la presse et les milieux culturels, tous ces multiculturalistes éduqués qui regardent avec dédain les petites gens, les perdants de la globalisation.
Il ne cache pas non plus son mépris des francophones, qui n’en finissent de vivre au crochet de la Flandre. Au passage, il ne résiste pas à la tentation de montrer une de ses vidéos qui cartonnent sur les réseaux sociaux. "En secret, j’en suis fier." On y voit un cycliste flamand à la peine, dépassé par de fringants concurrents (le Français, l’Allemand, le Néerlandais). Zoom arrière et tout s’explique: le Flamand mouline en fait sur un tandem et, derrière lui, un gras Wallon en tongs boit et s’empiffre mais ne pédale pas. "Marrant, hein!" s’esclaffe-t-il en déposant son smartphone. "Bon, je ne devrais peut-être pas montrer cela à un Wallon. Mais tant que l’élite politique en Wallonie ne change pas, cette image restera. Nous ne pourrions pas nommer le problème mais bien payer la facture!?" Voilà pourquoi il veut une scission de la sécurité sociale.
L’islam, ennemi numéro un
Là où Tom Van Grieken ne rigole plus du tout, c’est quand il parle des musulmans. Sa cible numéro un. L’islam, cette "religion qui n’a jamais eu qu’une relation conflictuelle avec l’Europe et met en cause l’égalité des chances entre homme et femme". Dans son livre, "L’avenir entre nos mains, révolte contre les élites" (il l’a fait traduire en français et préfacer par Marine Le Pen), il est encore plus tranchant. L’islam est "totalement étranger à l’Europe et à notre manière de vivre", oubliant qu’il a pris pied sur le Vieux continent dès le VIIIe siècle. "Le totalitarisme est consubstantiel à la religion islamique", le foulard est un symbole "de l’oppression d’une islamisation conquérante qui menace notre mode de vie", "c’est en réalité une façon d’afficher ses convictions islamiques radicales. Il n’y a pas la moindre place pour ce genre de comportement dans notre société". Plus loin: "L’immigration de masse, en particulier celle des pays islamiques, doit être réduite à zéro."
Le Vlaams Belang veut une politique de "retour au pays pour les musulmans qui veulent vivre selon le prescrit islamique et ne veulent pas s’adapter à notre culture publique flamando-européenne". Ce n’est pas du racisme pur et dur? "Bien sûr que si", estime Alexis Deswaef.
Le programme du parti est à l’avenant. Le Vlaams Belang veut le retrait de la reconnaissance officielle, l’arrêt de la subsidiation des mosquées, la fin des cours de religion musulmane dans l’enseignement public, une politique de "retour au pays pour les musulmans qui veulent vivre selon le prescrit islamique et ne veulent pas s’adapter à notre culture publique flamando-européenne".
Et ça, ce n’est pas du racisme pur et dur? "Bien sûr que si, estime Alexis Deswaef, avocat et ancien président de la Ligue des droits de l’homme. C’est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Le programme du Vlaams Belang reste fondamentalement raciste et discriminatoire envers les étrangers."
Tom Van Grieken, lui, n’en démord pas. "Il n’y a pas une once de racisme dans notre programme. Celui qui pense le contraire peut toujours aller voir le juge pour introduire une plainte. Je le dis à nos nouvelles recrues: 0% racisme, 100% identité."
"Je désapprouve le racisme, et tout le monde devrait en faire autant."
Mais c’est quoi, cette identité? Dans "eerst onze mensen", qui sont "nos" gens? "Il n’y a que mes adversaires politiques et les journalistes pour me poser cette question. Les gens, eux, savent très bien ce que je veux dire. Mais de la même manière qu’il est compliqué de décrire son propre caractère, il est très difficile de dire ce qui fait l’identité de notre société. C’est une combinaison de facteurs, comme la langue, l’histoire, la culture, et cette combinaison évolue. Cela renvoie à tout qui veut devenir Flamand parmi les Flamands et veut lier son avenir au nôtre." On n’y voit pas plus clair et on n’en saura pas plus. Tom Van Grieken semble vouloir éviter d’en dire trop. Surtout ne pas se faire prendre une nouvelle condamnation pour racisme.
"Je désapprouve le racisme, et tout le monde devrait en faire autant", insiste-t-il. Avant d’indiquer, dix minutes plus tard, qu’il veut "arrêter l’immigration des non-Européens" et "verrouiller notre sécurité sociale". Verrouiller? L’explication est dans le programme: "Le Vlaams Belang veut lier l’accès à la sécurité sociale à une période minimale de séjour et de travail dans notre pays. Les cotisations sociales des étrangers doivent être versées dans une caisse à part." Et les allocations sociales versées aux étrangers ne peuvent venir que de ce pot-là. On n’avait pas dit "pas de ségrégation"?
"Chacun à sa place"
"On a vu qu’au-delà des slogans radicaux, Tom Van Grieken n’a pas de solution réaliste."
On lui fait aussi remarquer que, dimanche soir, lorsque les militants ont fêté la victoire, ce n’est pas son slogan, "eerst onze mensen", qui a été le plus entendu. Mais bien celui d’avant, celui du Blok: "eigen volk eerst" (notre peuple d’abord). Toujours une histoire de Blancs, le Vlaams Belang de 2019? "Certains le verront comme ça, mais cette Flandre-là ne reviendra plus. Cela dit, est-il permis d’avoir une certaine identité? Des Blancs en Zambie, est-ce ce qu’il y a de plus normal? Non, c’est un peu spécial. Par contre, ici, nous devons trouver cela la chose la plus normale au monde. Je ne dis pas que tout le monde doit rentrer chez soi, mais chacun a une place sur cette Terre. Il y aura toujours des allées et venues, mais tu peux quand même garder ta place à toi sur Terre, non?"
Fin de la rencontre. Sur le chemin du retour vers la rédaction, on débriefe avec Wim Van de Velden, notre collègue du Tijd. "On a vu qu’au-delà des slogans radicaux, Tom Van Grieken n’a pas de solution réaliste, dit-il. Par exemple, il veut stopper l’immigration mais quand on lui demande comment il compte s’y prendre, il tourne autour du pot. Et ça, pour un radical, c’est intéressant à noter."
"Et puis, ajoute le journaliste flamand, on a bien vu qu’il n’y a pas de nouveau Vlaams Belang. La base d’extrême droite est toujours là. En flamand, on dit oude wijn in nieuwe zakken." Faire du neuf avec du vieux.
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