Immigration, inflation et avortement: la réalité des données derrière les slogans de la campagne américaine

La campagne américaine entre cette semaine dans sa dernière ligne droite. L'Echo a tenté d'objectiver les trois thèmes qui polarisent actuellement les débats aux États-Unis par le prisme des data. Un instantané de ce que sont les USA en 2024.

Par Nicolas Baudoux Développement: Benjamin Verboogen Publié le 26 octobre 2024

Il suffit de se plonger dans le programme du candidat républicain Donald Trump pour comprendre les principaux enjeux de la campagne américaine. Parmi les vingt promesses – toutes écrites en majuscules – qu'il “accomplira très rapidement lorsqu'il sera à la Maison-Blanche”, les trois premières suffisent à poser la base d'une campagne fortement axée sur l'immigration et l'économie: sceller la frontière et stopper l'invasion de migrants, mener la plus grande opération de déportation de l'histoire américaine et, enfin, mettre fin à l'inflation et rendre les États-Unis plus abordables.

Enfin, la question de l'avortement fera, peut-être, aussi pencher la balance depuis que la Cour suprême a annulé en 2022 l'arrêt Roe vs Wade qui accordait aux Américaines le droit d'avorter sur tout le territoire. “Donald Trump est l'architecte de cette crise”, clame Kamala Harris, qui a fait du droit des femmes un des piliers de sa campagne, tout comme l'immigration et l'économie.

Les États-Unis sont-ils un pays qui fait face à une “vague de migrants”? L'inflation a-t-elle un impact majeur sur les Américains? Où en sont les cinquante États par rapport à la question de l'avortement? L'Echo décode les grands thèmes de la campagne.

Chapitre 1: Immigration

Les États-Unis, terre d'accueil d'un cinquième des migrants du monde entier

“Aujourd'hui, l'Amérique est connue dans le monde entier comme l'Amérique occupée”, a scandé Donald Trump lors d'un meeting le 11 octobre dans le Nevada, ajoutant une couche supplémentaire à son discours antimigrants qui s'est durci ces dernières semaines. Si le candidat républicain promet de mettre en place “le plus grand programme d'expulsion de l'histoire des États-Unis” s'il est élu, les électeurs le considèrent en effet comme la personne la mieux à même de s'attaquer au problème, selon les sondages d'opinion. Le Pew Research Center, un centre de recherche américain, révèle que 80 % des personnes interrogées estiment que le gouvernement américain gère mal l'afflux de migrants.

Si la thématique est au cœur des préoccupations depuis quelques décennies, c'est principalement parce que la proportion de migrants parmi la population native n'a fait qu'augmenter depuis les années 70. Ils sont ainsi passés de 4,7% à 14,3% selon des chiffres du Migration Policy Institute. L'immigration clandestine à partir de la frontière sud avec le Mexique, notamment, est, elle, considérée comme une préoccupation majeure des électeurs. En 2022, le Pew Research Center considère que 23% des migrants (11 millions) étaient en situation illégale.



Depuis plusieurs années, le nombre d’étrangers entrés illégalement ne cesse de croître, donnant du grain à moudre à Donald Trump.



Donald Trump avait déjà fait de ce thème le terreau de sa campagne en 2016. On se souviendra de la construction du mur à la frontière sud, ou encore du “Muslim ban”, qui officialisa une “interdiction temporaire, conditionnelle et totale” d'entrée des musulmans aux États-Unis pour certains pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Depuis plusieurs années, le nombre d’étrangers entrés illégalement ne cesse de croître, alors que leur nombre était en chute depuis 2007. De quoi donner du grain à moudre au candidat républicain.

“Donald Trump vise en premier lieu les immigrés clandestins” explique Serge Jaumain, professeur d'Histoire contemporaine à l'ULB et co-coordinateur de AmericaS, centre d'étude des Amériques. “Mais il lui arrive de généraliser et de faire des amalgames qui n'ont pas de sens, entre migrant, délinquant, criminalité et insécurité, pour faire peur.”

Les deux candidats à la présidentielle ont bien une position commune: sécuriser la frontière. Mais leur convergence ne va pas beaucoup plus loin, puisqu'ils diffèrent sur la façon de gérer les nouveaux arrivants. Les républicains continuent leurs attaques, dénoncent le “remplacement” des natifs des États-Unis, ou voient l'immigration, même légale, comme une menace pour la sécurité et l'emploi.

De l'autre côté, les démocrates continuent à vouloir démontrer les avantages nets de l'immigration, à condition d'obtenir “la citoyenneté via une voie d'accès méritée” selon les propos de Kamala Harris, qui veut “réparer un système d'immigration défaillant”.

Si le thème de l'immigration est bien présent au niveau national, les États américains ne sont pourtant pas impactés de la même manière par l'arrivée de population venue de l'étranger. Jetons un œil aux chiffres.



Source: Migration Policy Institute

Voici la répartition des immigrés (légaux et illégaux) aux États-Unis. Le terme “immigré” désigne les personnes résidant aux États-Unis qui n'étaient pas citoyens américains à la naissance.

3 États sur 4 ne comptent pas plus de 2% d'immigrés parmi leur population.

4 États se démarquent particulièrement pour le nombre élevé d'immigrés qu'ils accueillent. La Californie (23,1%) et New York (10,1%), deux États traditionnellement démocrates. Mais aussi le Texas (11%) et la Floride (10,1%), qui ont voté pour Trump aux dernières élections en 2020.

Aucun de ces États ne sont des swing states, ces états-clés où la balance peut pencher du côté républicain ou démocrate jusqu'au dernier moment.

Voici maintenant la répartition de la population d'immigrés par ville. Plus un cercle est grand, plus elle accueille un nombre important d'immigrés. Plus le cercle est de couleur foncée, plus la proportion d'immigrés au sein de la population est grande.

Deux villes accueillent une grande proportion d’étrangers venus s’installer aux États-Unis. C'est le cas de New York (13% des immigrés) et de Los Angeles (9,4%).

Les immigrés constituent presque un tiers de leur population. D’autres villes se démarquent par un nombre d’immigrés moins élevé, mais qui constitue une large partie de leurs habitants.

Par exemple, si Miami en Floride n'accueille que 5,6% des immigrés, ils représentent 41,5% de la population totale de la ville. San José, la capitale de la Sillicon Valley en Californie, reçoit moins de 2% des immigrés totaux mais ils constituent près de 40% de la population sur place.

“Ce qui est étonnant, c'est qu'au sein des États ruraux, au centre des États-Unis, l'immigration est un thème primordial de la campagne. Alors qu'ils ne sont pas du tout impactés par l'afflux d'immigrants.”

Serge Jaumain, professeur d'Histoire contemporaine à l'ULB et co-coordinateur de AmericaS, centre d'étude des Amériques.

Le terme de “ville” a été utilisé pour la proportion d'immigrés dans la population pour simplifier la compréhension. Il s'agit des Metropolitan Statistical Area, regroupant plusieurs zones.

Chapitre 2: Pouvoir d'achat

Répondre à l'anxiété des électeurs face à la hausse des prix

“Tout le monde sait que le salaire minimum fédéral actuel est de 7,25 dollars de l'heure, ce qui est essentiellement un salaire de misère”, déclarait récemment Kamala Harris à l'agence Bloomberg. Avec une inflation galopante de +21% depuis janvier 2021 – nous sommes à +20,1% en Belgique, le pouvoir d'achat est au cœur de la campagne. Serait-ce là le point de convergence entre les deux rivaux? Ils tombent en tout cas d'accord sur le fait que le coût de la vie a terriblement augmenté et plaident pour “casser les coûts” pour les ménages.

“Le bilan macroéconomique de Biden n'est pas mauvais. Il n'empêche qu'il existe une réelle différence entre la situation économique et le ressenti de la population”, analyse Serge Jaumain. Des électeurs sont ainsi frustrés et désœuvrés face à l'augmentation des biens de première nécessité. “Les Américains regardent davantage le prix à la pompe et le coût de leur prêt hypothécaire que les indicateurs économiques, même s'ils sont positifs”, continue Serge Jaumain. Les trois postes ayant subi les plus grandes augmentations depuis le début du mandat de Biden-Harris sont le logement (+18%), la nourriture (+18%) et le transport (+17%) selon les chiffres du Bureau of Labor Statistics.



De son côté, Trump maintient sa logique protectionniste et plaide pour l'augmentation de droits de douane sur toutes les importations (et particulièrement chinoises), qui “feront baisser les prix”. Il accuse aussi l'immigration d'être responsable de l'augmentation du coût de la vie.

Les citoyens américains ne subissent pas l'inflation de la même manière, selon l'État dans lequel ils habitent.



Coût mensuel de l'inflation pour un ménage américain par rapport à janvier 2021

$750 - $950 $950 - $1050 $1050 - $1150 $1150+

Source: Joint Economic Committee

Voici par État l'impact de la hausse des prix sur les ménages.

Selon le Joint Economic Committee, chargé d'analyser les questions économiques et de conseiller le Congrès, les ménages américains doivent payer en moyenne 1.100$ de plus par mois pour avoir le même niveau de vie qu'en janvier 2021, soit à la date d'investiture de Joe Biden.

Ainsi, le District of Columbia (Washington D.C.) est le lieu où le budget des Américains est le plus impacté par l'inflation. Un ménage doit ainsi dépenser 1.624$ supplémentaires par mois pour garder le même niveau de vie qu'il y a quatre ans. C'est 792$ par mois en Arkansas, soit moitié moins.

Le District of Columbia est d'ailleurs l'État qui a effectué le plus de recherches liées à l'inflation en 2024 sur Google Search.

Les États clés (swing states) sont loin dans le classement des zones les plus impactées, mis à part l'Arizona et le Nevada respectivement à la 10ᵉ et 12ᵉ place sur 51.

Malgré un impact moins marqué dans ces États, selon les chiffres du JEC, les candidats se focalisent sur les classes ouvrières et moyennes des États clés de la “Rust belt”, le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin notamment. Une zone touchée par des vagues de désindustrialisation qui ont laissé derrière elles une économie transformée.

Ces trois États avaient créé la surprise et fait basculer l'élection en 2016, élisant Donald Trump malgré un historique largement sous emprise démocrate.

Chapitre 3: Avortement

L'influence pérenne de Trump dans la politique américaine


C'est un point devenu central depuis que la Cour suprême américaine a annulé en 2022 l'arrêt Roe vs Wade qui accordait aux Américaines le droit d'avorter sur tout le territoire. La décision revient maintenant à chaque État. Et certains n'ont pas attendu pour le bannir.

À l'heure actuelle, 13 États interdisent complètement l'avortement, sans exception en cas de viol ou d'inceste. Huit le permettent, avec cependant des limites de temps fixées entre 6 à 18 semaines de grossesse pour permettre l'interruption. La Floride, par exemple, interdit l'avortement après 6 semaines de grossesse, soit dès que le cœur se met à battre. La Géorgie, un État clé pour ces élections, vient de rétablir, elle aussi, la limite à 6 semaines alors qu'un juge avait autorisé la pratique jusqu'à la viabilité du fœtus, soit autour de 20 à 22 semaines.



Source: Guttmacher Institute, Center for Reproductive Rights




Donald Trump adopte une position plutôt floue. Il se dit fier d'avoir fait nommer, à vie, trois juges très conservateurs à la Cour qui a annulé l'arrêt Roe vs Wade, mais son discours sur la question n'est pourtant pas clair, se positionnant uniquement contre “l'avortement tardif”. Serge Jaumain explique notamment cela par le fait “qu'il s'agissait d'une question centrale durant les élections de mi-mandat (midterms). On peut penser que cela a fait perdre les républicains dans un certain nombre d'États, l'arrêt ayant été annulé quelques mois auparavant”. Donald Trump reste donc prudent et esquive même la question d'une journaliste qui lui demande de se positionner en Floride, son État de résidence, où la question autour de l'avortement est soumise à un référendum ce 5 novembre.

Kamala Harris, en tant que candidate, a présenté la lutte pour le droit à l'avortement comme un des premiers piliers de son programme. Malgré ses faibles chances de bouleverser les choses, son engagement “est clair et elle a le mérite d'engager le débat. C'est déjà un geste fort” constate Serge Jaumain.

Le think thank Center for American Progress a pu cartographier les temps de trajet pour se rendre dans une clinique d'avortement. Les femmes du district le plus au Sud de la Floride qui désirent avorter après 6 semaines de grossesse doivent maintenant rouler 11 heures et 21 minutes pour atteindre une clinique. Soit un trajet Bruxelles – sud de la France pour être prises en charge.



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