Marie-Hélène Ska sur les flexi-jobs: "L'État organise lui-même les trous dans son financement"
En généralisant des systèmes comme les flexi-jobs, le gouvernement organise lui-même son incapacité à financer ses missions de base comme la Justice, prévient Marie-Hélène Ska.
"Ce qui ressort de chaque conclave budgétaire est très difficile en matière d’emploi. La preuve ici avec l'extension des flexi-jobs à douze nouveaux secteurs." Marie-Hélène Ska refuse de pointer du doigt l'aile gauche du gouvernement, le ministre de l'Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS) en particulier. Il n'empêche.
La secrétaire générale de la CSC déplore la forme. "Le ministre de l’Emploi a donné deux jours – deux jours! – aux commissions paritaires pour dire si elles acceptaient ou non les flexi-jobs. Ça ou rien du tout… Toutes les commissions paritaires qui ne délimitaient pas les fonctions concernées par les flexi-jobs dans les deux jours étaient réputées pour l'introduction des flexi-jobs. Là où des négociations sectorielles étaient en cours, des balises ont été mises par les interlocuteurs sociaux. Mais ailleurs, c’est impossible à régler en deux jours et on crée des problèmes dans les secteurs."
"Nous recevons beaucoup de plaintes de ces flexi-jobers, qui découvrent soudainement qu'ils peuvent être remerciés par un message sur What’s App et qu'ils n’ont en réalité pas de droits sociaux."
Elle rejette aussi le fond: "On détruit les collectifs de travail. On pousse les travailleurs les uns contre les autres. Et nous recevons beaucoup de plaintes de ces flexi-jobers, qui découvrent qu'ils peuvent être remerciés par un message sur WhatsApp et qu'ils n’ont en réalité pas de droits sociaux."
Au lieu de résoudre les pénuries de main-d’œuvre, les flexi-jobs risquent de tirer vers le bas les secteurs qui peinent déjà à recruter. La preuve avec l'horeca, pour lequel les flexi-jobs ont été créés, et qui peine à trouver des candidats.
Les flexi-jobs sont un mauvais calcul, à court comme à long terme, prévient la syndicaliste: "Les pénuries de main-d’œuvre sont un symptôme. Des secteurs qui devraient être porteurs de sens, qui sont essentiels pour l’avenir, manquent de bras. En élargissant les flexi-jobs à ces secteurs, on dit qu'ils se valent tous. Or, un manque de main-d’œuvre dans les soins de santé, c’est dramatique, ce sont des salles d’opération fermées, des soins reportés, bref, des vies en jeu. Ne pas avoir suffisamment d’accueillantes d’enfants, c’est mettre en difficulté des parents. Manquer d'enseignants, c’est une hypothèque sérieuse sur l’avenir. Investir dans ces secteurs-là est dès lors prioritaire", martèle Marie-Hélène Ska. En améliorant les conditions de revenus et de travail, notamment.
De même qu'il faut trouver de nouvelles voies pour soulager les fins de carrière. "Aujourd'hui, c'est la logique du tout ou rien. Soit vous travaillez, soit vous êtes pensionné. Nous avons toujours pour objectif de sortir de cette situation. Sous la législature précédente, pour des raisons purement idéologiques et peu réalistes, on a décidé que tout le monde devrait travailler jusqu’à 67 ans. Et toutes les possibilités d’aménager sa fin de carrière ont été fortement réduites. Alors que dans les faits, beaucoup de travailleurs veulent ralentir à l’approche de retraite."
"L'Etat se prive de moyens"
Flexi-jobs, zéro coti: le modèle économique sur lequel se basent de plus en plus d’entreprises est problématique, juge-t-elle. Outre que cela crée "des générations de travailleurs qui se constituent des droits moindres pour l’avenir", cela engendre "un problème majeur de financement de l’État dans sa capacité à exercer toutes les fonctions dont on a besoin. Pas pour faire du superflu, mais simplement pour assurer les missions de base d’un État de droit".
Pour améliorer les services de la Justice par exemple, dont les dysfonctionnements ont mené à l'attentat commis il y a dix jours à Bruxelles. "L'actualité nous montre, et récemment de manière dramatique, qu’on manque de moyens dans tous les secteurs. Et l’État continue à ouvrir les vannes, à se priver de rentrées."
"On a donc un gouvernement qui dit qu’une réforme fiscale augmentant les bas et moyens salaires, c’est impossible, tout en organisant lui-même une passoire en termes de recettes publiques."
En matière de dépenses publiques, la Belgique se situe dans le top 5 européen, avec 55,5% du PIB. Le problème ne se situe-t-il pas davantage du côté de l'efficacité des dépenses, plutôt que dans le volume de recettes captées? "Cette façon de voir les choses nous laisse sceptiques. Le problème, c'est que le nombre de revenus qui contribuent sont en diminution." Elle cite: flexi-jobs, cotisations patronales ramenées de 33% à 25%, pas d’impôt sur la fortune ni sur le patrimoine, sans parler de la transition écologique qui va demander des investissements importants… "On a donc un gouvernement qui dit qu’une réforme fiscale augmentant les bas et moyens salaires, c’est impossible, tout en organisant lui-même le fait d'être une passoire en termes de recettes publiques."
Incompréhensible et inacceptable, insiste-t-elle. "Car si la défiance à l'égard des responsables politiques est telle, c’est aussi parce que la Justice ne parvient plus à faire son travail convenablement, parce qu’on manque d’accueillantes d’enfants, d’enseignants… C’est une clé démocratique importante. Il faut montrer aux citoyens que l’État fonctionne."
L'actualité du dialogue social entre patronat, syndicats et gouvernement: dernières infos, analyses, reportages, interviews des partenaires sociaux...
- "Nous recevons beaucoup de plaintes de ces flexi-jobers, qui découvrent soudainement qu'ils peuvent être remerciés par un message sur What’s App."
- "L'actualité nous montre, et récemment de manière dramatique, qu’on manque de moyens dans tous les secteurs. Et l’État continue à ouvrir les vannes, à se priver de rentrées."
- "Aujourd'hui, c'est la logique du tout ou rien. Soit vous travaillez, soit vous êtes pensionné."
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