L'équilibre mondial menacé par l'autoritarisme en 2025
Les populismes progressent en Europe, sur fond d'ingérences russes. Les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient ne faiblissent pas. Tous les voyants virent au rouge, au risque de faire basculer l'équilibre mondial.
"La troisième guerre mondiale a commencé", a lancé fin novembre Valery Zaloujny, l'ancien commandant en chef des forces armées ukrainiennes. Une chose est sûre: les tensions entre l'Occident et la Russie n'ont jamais été aussi vives depuis la Guerre froide. Les dirigeants nationalistes et populistes élus aux quatre coins de la planète renforcent cette radicalité. Il y a aussi au Moyen-Orient un foyer de conflits prêt à s'étendre. L'année à venir risque-t-elle de voir l'équilibre mondial basculer? Les guerres vont-elles se multiplier?
Tanguy Struye, professeur de Relations internationales à l'UCLouvain et spécialiste des États-Unis, était invité à en discuter pour un Brief spécial "Perspectives: la coopération mondiale est-elle menacée par l'autoritarisme en 2025?".
"On observe des tensions de plus en plus importantes entre les deux rives de l'Atlantique."
Montée des populismes
Cette année a été riche en élections dans le monde: renouvellement du Parlement européen, législatives dans plusieurs pays européens, présidentielle aux États-Unis. Un peu partout, les idées d'extrême droite progressent. Faut-il s'en inquiéter?
"On voit une évolution du populisme, aussi bien du côté européen que du côté américain", explique Tanguy Struye. "Cela amène des problèmes pour l'Occident, car on observe des tensions de plus en plus importantes entre les deux rives de l'Atlantique, mais également par rapport à des pays comme la Chine et la Russie".
En Europe, la montée des extrêmes affaiblit les institutions. Depuis 2020, les polycrises, comme le covid, la récession économique et l'inflation, ont provoqué une forte progression de l'extrême droite, qui s'est imposée comme la troisième force politique au Parlement européen avec les Patriotes pour l'Europe.
Ce nouveau groupe d'extrême droite, construit par le Premier ministre hongrois Viktor Orban, est présidé par Jordan Bardella, le chef du Rassemblement national. Il pratique un anti-jeu par rapport à la majorité centriste classique en attirant le PPE pour faire passer des législations extrêmement conservatrices.
Ce changement d'équilibre a déjà impacté des législations européennes, comme le règlement sur la déforestation, que le PPE et l'extrême droite ont déforcé en s'unissant lors d'un vote alternatif à la majorité centriste.
Ces nationalistes européens sont une aubaine pour Donald Trump. "C'est vrai qu'il aura quelques alliés ou partenaires importants. On peut penser à l'Italie, à la Hongrie, mais aussi aux Pays-Bas", dit Tanguy Struye. "On va probablement voir encore plus de divisions au niveau de l'Union européenne et, potentiellement, un agenda américain par rapport à l'Europe qui sera plus facile à mettre en place", poursuit-il.
"On assiste à l'émergence, en Europe, d'un courant néo-atlantiste, pro-Trump et étrangement proche de Poutine."
Ingérences russes
On assiste à l'émergence, en Europe, d'un courant néo-atlantiste, pro-Trump et étrangement proche de Poutine, comme dans le cas de Viktor Orban, mais aussi du Premier ministre slovaque Robert Fico, qui pratique un populisme de gauche.
Ce nouveau courant politique met en danger les équilibres entre l'Europe et les États-Unis, tels que définis par 75 ans d'histoire de l'Otan et d'autres accords transtlantiques.
De nombreux pays de l'est de l'Europe traversent aussi des difficultés face aux ambitions expansionnistes de la Russie. Il est difficile pour eux de rester neutres par rapport à la guerre en Ukraine. La Hongrie et la Slovaquie penchent vers Moscou, tandis que les pays baltes, la Tchéquie et la Pologne soutiennent Kiev.
Les pays de l'ancien bloc soviétique restent marqués par une fracture interne entre une partie de la génération âgée, tournée vers la Russie avec une certaine nostalgie de l'URSS, et une génération plus jeune et pro-européenne.
Cette fracture varie selon l'intensité de la propagande russe. Lors de l'élection présidentielle en Roumanie, le Kremlin a propulsé en tête du scrutin un candidat pratiquement inconnu, selon les services de renseignement roumain. Des ingérences russes, potentiellement déstabilisatrices pour l'Europe, sont aussi observées en Hongrie, en Slovaquie, en Géorgie et en Moldavie.
"On doit surtout éviter que les Européens soient mis à l'écart des négociations."
Vers la paix en Ukraine?
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait faire basculer la guerre en Ukraine. "Il est clair qu'il y a une envie d'arriver à un accord de paix, à la façon de Trump. Mais cela ne va pas se produire en 24 heures. Cela prendre du temps", estime Tanguy Struye. "C'est très beau de dire qu'on veut un accord de paix, il faut aussi parvenir à la réaliser: convaincre les Ukrainiens, éviter qu'on arrive à une situation dans laquelle les Russes et les Américains s'accordent sur le dos des Européens et des Ukrainiens, car cela nous retombera dessus dans quelques années."
Des inconnues subsistent. "Comment la Russie va-t-elle dédommager l'Ukraine? Va-t-on arriver à un conflit gelé? Qui va surveiller ce conflit gelé, c'est-à-dire qui va envoyer des forces militaires? Il y a énormément de points d'interrogations qu'on ne va pas résoudre en 24 heures", poursuit-il.
Par contre, il est clair que "Trump va tout faire pour arriver à des solutions pour terminer ce conflit. Il a déjà un envoyé spécial. Il ne faut pas tout voir de manière négative. Mais on doit surtout éviter que les Européens soient mis à l'écart des négociations", avertit le professeur.
Soldats de la paix européens
Plusieurs capitales européennes, comme Paris et Berlin, discutent de l'envoi de soldats de la paix en Ukraine. L'Europe veut-elle réellement passer aux actes, et en a-t-elle les moyens?
"Si le conflit continue, je ne vois pas des forces militaires européennes intervenir dans le conflit avec les Ukrainiens. Par contre, si on arrive à une situation d'un conflit gelé, et même au-delà, et donc qu'on doit envoyer des casques bleus, on aura une responsabilité", dit Tanguy Struye. Dans ce cas, "le problème qui se pose, c'est de savoir si on en a les moyens. Le front fait plus de 800 km. On va être confronté à d'énormes difficultés. Même si on a commencé à réinvestir dans nos défenses depuis deux ou trois ans, les résultats vont arriver dans cinq à dix ans".
Israël a desserré la ceinture de feu installée autour de son territoire par les proxys de l'Iran.
Les fronts au Moyen-Orient
Au Moyen-Orient, un cessez-le-feu a été signé il y a un mois entre Israël et le Hezbollah au Liban. Mais la chute de Bachar al-Assad en Syrie a jeté un nouveau trouble sur la région. Les islamistes ont pris le pouvoir et Israël a investi militairement le Golan pour se protéger. Par ailleurs, l'État hébreu a l'intention de continuer à affaiblir son ennemi, l'Iran. La guerre est-elle amenée à s'intensifier, au risque de s'étendre jusqu'en Asie?
"Sous l'administration Biden, tout a été mis en place pour éviter que le conflit s'élargisse. Concernant la future administration Trump, il y a aussi cette volonté de ne pas en arriver à un conflit régional. Cela dit, il y a des voix au sein même de l'équipe de Trump qui sont très anti-iraniennes et très pro-Israël et, j'irai même plus loin, très pro-Netanyahou", explique Tanguy Struye. "Cela pourrait changer la donne, parce qu'il y a une théorie qui dit que comme l'axe de résistance iranien – la Syrie, le Hamas et le Hezbollah – est affaibli, c'est l'opportunité d'aller détruire le programme nucléaire iranien", ajoute-t-il.
Le conflit au Moyen-Orient a été relancée le 7 octobre 2023, lorsque le groupe terroriste Hamas a commis un massacre en Israël. L'armée israélienne a répondu, en détruisant la plus grande partie des forces du groupe terroriste, avec des conséquences désastreuses sur la population de Gaza. Israël s'en est pris ensuite au Hezbollah libanais pour mettre fin à un an de bombardements du groupe islamiste dans le nord du pays. Ces opérations ont permis aux rebelles syriens de reprendre le pouvoir dans leur pays, car Bachar al-Assad n'était plus défendu par le Hezbollah, les milices iraniennes et les Russes, eux-mêmes affaiblis par la guerre en Ukraine.
Israël a réussi à desserrer la ceinture de feu installée autour de son territoire par les proxys de l'Iran, et pourrait, l'an prochain, tenter d'affaiblir encore plus Téhéran par des opérations ponctuelles. Mais le risque que le conflit dégénère est faible, car les économies de ces acteurs régionaux sont très impactées.
La poudrière syrienne
Par contre, ce qui est inquiétant en Syrie, c'est la volonté de la Turquie d'enserrer les Kurdes dans un étau, entre les deux groupes qu'elle finance en Syrie: les djihadistes de l'Armée nationale syrienne (ANS) et ceux d'Hayat Tahrir al-Cham (HTC), qui viennent de prendre le pouvoir.
Les islamistes d'HTC ont débarrassé la Syrie du régime d'al-Assad, mais il ne faut pas oublier que ce groupe est composé d'anciens d'al-Qaïda et de Daech.
"On est face à un énorme défi. Certes, Assad est parti, mais de là à savoir si ce sera mieux après, c'est aujourd'hui un gros point d'interrogation", affirme Tanguy Struye. "On peut évoluer dans un système à la libyenne, des régions dominées par des chefs de guerre qui vont continuer à se titrer dessus, soutenus par des puissances régionales et systémiques, ou évoluer vers un régime à la taliban."
Pour l'expert de l'UCLouvain, il y a un autre problème qui est sous-estimé. "Comme nous n'avons pas voulu reprendre les terroristes européens d'al-Qaïda chez nous, on ne sait pas ce qu'ils vont devenir. Leurs prisons sont-elles toujours surveillées? Vont-ils relâcher des milliers de terroristes potentiels qui vont devenir une menace pour nous? Il y a énormément d'inconnues dans cette question syrienne, et on pourrait avoir pire que ce qu'on a connu avec le régime Assad", dit-il.
On peut aussi poser la question de la responsabilité des membres d'HTC qui ont ordonné ou commis des actes de terrorisme en Syrie, contre les minorités, mais aussi en France et en Belgique. Peut-on les absoudre? "Ce sera compliqué de pardonner. Cela dit, on peut aussi prendre l'histoire. Arafat était aussi un terroriste, puis après, il a été accepté par la communauté internationale", explique Tanguy Struye, "tout dépendra de la manière dont les futures autorités syriennes se comporteront. Il y a aussi la realpolitik qui va jouer, et qui fera que l'on va rejetter l'État syrien s'il évolue vers l'islamise radical."
En 2025, Pékin devrait poursuivre sa politique commerciale agressive. "La Chine est face à d’énormes défis au niveau économique. La situation n’est pas bonne par rapport à la crise immobilière, au chômage des jeunes, aux questions d’environnement, de pollution, de vieillissement de la population. On annonce une croissance de 5%, mais le chiffre ne correspond pas à la réalité", analyse Tanguy Struye.
Pour en sortir, "ils essaient de résoudre ces problèmes non pas en relançant la consommation interne, parce qu’ils n’y arrivent pas, mais en submergeant nos marchés de produits bien développés, comme les voitures électriques, les éoliennes, les panneaux solaires, à des prix défiant toute concurrence", ajoute-t-il.
Le fossé technologique entre l’Europe et la Chine devrait continuer à se creuser. "Petit à petit, ils espèrent reconquérir des parts de marchés. Ils investissent aussi énormément dans les nouvelles technologies, et là, il y a une vraie compétition entre les Chinois et les Américains sur tout ce qui est quantique, semi-conducteurs, IA où l’Europe ne parvient pas à suivre", dit-il.
L’avenir de Xi Jinping
Quant au président chinois, Xi Jinping, son pouvoir reste stable. Pour l'instant, du moins. "Tant qu’il n’est pas trop remis en question, il pourra continuer, d’autant qu’il est entouré de loyalistes", estime Tanguy Struye, par contre "dans les quatre ou cinq prochaines années, il sera intéressant de voir s’il y a une volonté de la nouvelle génération de s’imposer par rapport à un président qui a dépassé toutes les règles de reconduction".
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