Pour la rue et l'élite israéliennes, "Netanyahou doit s'en aller, le plus vite possible"
Israël est sous le choc et son économie en berne depuis les attaques du 7 octobre, a constaté L’Echo lors d’un reportage à l’invitation du Congrès juif d’Europe. En coulisses, l'élite appelle au départ de Benyamin Netanyahou.
Le Boeing 737-800 de la compagnie El Al avance dans la nuit vers Tel-Aviv, tous feux éteints. Le pilote suit une procédure d’approche en temps de guerre. À bord, les mines sont graves. Un enfant crie. Un ultraorthodoxe prie. Ma voisine, une Française, raconte qu’elle fait son Alya, son installation en Israël. "Depuis le 7 octobre, l’antisémitisme est de retour, je me sens plus en sécurité ici, même si c'est la guerre", dit-elle.
L’avion atterrit. Dans le vaste couloir marbré menant à la douane défilent les photos de dizaines d'otages du Hamas.
"Derrière cette guerre, il y a le génie de l’Iran et de la Russie."
L’aéroport Ben Gourion est quasi vide. Au poste de contrôle, il n’y a pas de file. C’est inhabituel. À la réception des bagages, une femme enveloppée dans un drapeau israélien est prostrée, en larmes.
"Une deuxième Ukraine"
Le taxi traverse Tel Aviv. La ville "qui ne dort jamais" s’est muée en cité fantôme. Les bars, les restaurants sont fermés. Il n’y a pas de touriste. Les magasins sont vides. Israël est en état de choc.
Dans un hôtel désert du quartier branché de Neve Tzedek, nous rencontrons Ari Shavit, journaliste vedette au quotidien Haaretz et écrivain.
"Israël avait été créée pour que ces massacres n’arrivent plus jamais. Le 7 octobre est le pire jour que nous ayons connu depuis l’Holocauste. C’est… Je n’ai pas de mot", dit-il.
Lors de ce "samedi noir", plus de 1.200 Israéliens et étrangers, la plupart des civils, ont été tués par des terroristes, et 240 otages ont été emportés à Gaza. Israël a répliqué. La région s’est embrasée. Selon le Hamas, 13.000 personnes ont été tuées à Gaza.
"Si la guerre continue, nous allons au-devant d’une crise économique."
"C’est une deuxième Ukraine", avertit Shavit. "Derrière cette guerre, il y a le génie de l’Iran et de la Russie, qui ont transféré des renseignements et des technologies au Hamas, grâce auxquels il a franchi la frontière. Ces technologies peuvent être utilisées par d'autres terroristes contre l'Occident. Si Israël tombe, l’Europe tombera aussi".
L’économie sonnée
Depuis un mois et demi, l’économie israélienne tourne au ralenti. Plus de 360.000 réservistes, une grande partie de la force de travail, ont été rappelés, et 125.000 habitants ont été déplacés au nord et au sud d'Israël.
"Nous avons eu une bonne année 2023, nous allons gérer", poursuit Ari Shavit, "mais si la guerre continue, nous allons au-devant d’une crise économique. Pas seulement pour le secteur du tourisme, mais aussi pour nos entreprises technologiques."
La capitale des technos, qui compte à elle seule plus de startups et de licornes cotées au Nasdaq que l’Europe, est sonnée. "Nous avons été aveuglés par notre succès pendant 10-15 ans. La nation startup. Nous avons oublié l’éléphant dans la pièce: le Hamas, sans offrir de solution aux Palestiniens", ajoute-t-il.
La colère monte contre les autorités. "Netanyahou n’a plus d’avenir. Israël a connu quatre guerres, et aucun Premier ministre en exercice n’y a survécu", résume-t-il.
À la frontière de Gaza
Pour nous rapprocher de la guerre, nous nous rendons à la frontière de Gaza, au Kibboutz de Kfar Aza, où l’attaque du Hamas a commencé. Arrivé en zone rouge, Gaby, notre garde du corps, nous procure casques et gilets pare-balles.
"Plus de cent habitants ont été tués, dépecés ou brûlés."
Dans le kibboutz, c’est la désolation. "Plus de cent habitants ont été tués, dépecés ou brûlés, selon Zaka, l’ONG chargée d’identifier les corps. Elle a retrouvé dans une seule pièce plusieurs enfants et bébés assassinés, certains ayant été démembrés", dit Arye Shalicar, un porte-parole de Tsahal.
Nous marchons, survolés par les drones, en entendant un bruit de coups de canon. Une odeur âcre de sang s’élève. Les maisons éventrées, des véhicules carbonisés, des douilles sur le sol font entrevoir le pire.
Une barrière à la frontière de Gaza, défoncée par les terroristes, est toujours ouverte. À quelques centaines de mètres, dans la ville enclavée, bien visible, se déroule un autre drame. Tsahal a juré d’éradiquer le Hamas, et mène une offensive implacable.
Trois roquettes jaillissent de Gaza vers Israël. "Ne restez pas près de la barrière, ils ont des snipers capables de vous atteindre", lance Arye Shalicar.
Les hommes d’affaires en colère
Nous rentrons à Tel Aviv, pour rencontrer l’homme d’affaires Jeremy Levin. Il a quitté, fin octobre, la présidence et la direction générale de Teva, le géant mondial de la pharma. Il accepte de parler.
"Netanyahou a pensé qu’il avait un contrôle sur le Hamas lui permettant de rester au pouvoir."
Levin débarque de New York, pour rencontrer des investisseurs "préoccupés par la situation du pays", raconte-t-il. Un banquier réputé l’accompagne. Il demande l’anonymat. Il se dit prêt à en découdre avec le gouvernement.
"L’Iran, le Hamas et le Hezbollah ont vu, depuis des mois, qu’une grave crise politique en Israël affaiblissait l’armée et l’économie", dit Levin. Après les élections de novembre 2022, pour revenir au pouvoir et éviter la prison suite à des affaires de corruption, Netanyahou a pactisé avec des partis d'extrême droite et ultraorthodoxes, en leur offrant des concessions inédites.
"Netanyahou voulait réduire les pouvoirs de la Cour suprême, ce qui a provoqué des manifestations rejointes par des réservistes de l'armée", explique-t-il. "Il fallait aussi envoyer plus de colons en Cisjordanie, pour satisfaire les partis d’extrême droite. Les colons ont commencé à provoquer les Palestiniens. Tsahal a dû envoyer ses soldats pour les protéger. Ils ont vidé les défenses à la frontière de Gaza. Le Hamas a vu que la voie était libre et il a attaqué".
Depuis lors, la pression grandit. La rue, les familles des otages et l'élite veulent pousser dehors le Premier ministre.
"Netanyahou a pensé qu’il avait un contrôle sur le Hamas lui permettant de rester au pouvoir", ajoute-t-il. "Tout cela n’a rien à voir avec la politique, c’est de la criminalité. Netanyahou doit s'en aller, le plus vite possible, même si c'est la guerre."
"Une fois l’opération à Gaza terminée, il y aura des élections anticipées."
Levin prédit un renversement du gouvernement. "L’armée est en rage. Elle est prête à rejeter le Hamas à la mer. Quand ce sera fini, les réservistes reviendront s’occuper de Netanyahou", dit-il. "Cela s'est déjà vu. Si Chamberlain n’avait pas été renversé, puis remplacé par Churchill, il n’y aurait plus de juifs sur terre."
Pour l’après-guerre, il appelle à "un accord de sécurité et un plan Marshall pour la Palestine porté par les Saoudiens et les Qataris".
Élections anticipées
Le scénario d’un retour aux urnes se profile. "Une fois l’opération à Gaza terminée, il y aura des élections anticipées", prédit Dori Klagsbald, un avocat qui défendit à plusieurs reprises Netanyahou. "Quant à vous dire si Bibi ne sera pas réélu, je l’ignore", précise-t-il.
Accroché au pouvoir depuis plus de 15 ans, Netanyahou est un revenant de la politique, poursuivi par d’interminables affaires judiciaires auxquelles il cherche à échapper. "Il doute de lui sans cesse, s’agite, glisse et revient à la surface", lâche un de ses anciens collaborateurs.
"Bibi a déclaré la guerre à Israël"
Ehud Olmert, l’ancien Premier ministre d’Israël, nous accorde un entretien. Ce vétéran de la politique a tenu le gouvernail d’Israël à travers des crises majeures, avant de couler sur une affaire de corruption.
"Je veux que le gouvernement d’Israël s’en aille maintenant."
L'œil vif et le timbre imposant, il critique durement son successeur.
"Je veux que le gouvernement d’Israël s’en aille maintenant", martèle-t-il. "Bibi a déclaré la guerre au peuple d’Israël en voulant changer la Cour suprême. Et ces derniers jours, il a fini par répandre la guerre contre Israël".
Lorsqu’on l’interroge sur le remplaçant idéal, il botte en touche. "Benny Gantz, Yair Lapid… Tout le monde serait préférable à Netanyahou. Le prochain Premier ministre est déjà là. Il ne le sait pas encore, et nous ne savons pas que c’est lui", dit-il. "Je tire une leçon de cette guerre, la même qu’on aurait dû tirer il y a cinquante ans lors de la guerre de Yom Kippour: nous, Israéliens, devons être plus modestes".
"Vous pouvez dire ce que vous voulez d’Abou Mazen (Mahmoud Abbas, NDLR), mais il a toujours coopéré avec Israël sur les questions de sécurité."
Une force de paix internationale
Toute issue à la guerre passe, pour lui, par un accord de paix avec les Palestiniens qui concrétise la solution à deux États.
"Ce sera compliqué, bien sûr. J’ai proposé un jour un accord de paix au président palestinien Mahmoud Abbas et il n’a jamais répondu", dit-il. "Il faut parler à Abbas. Vous pouvez dire ce que vous voulez d’Abou Mazen (Mahmoud Abbas, NDLR), mais il a toujours coopéré avec Israël sur les questions de sécurité. C’est un ennemi, mais un ennemi prêt à négocier."
Olmert souhaite qu’Israël se retire de Gaza, une fois le Hamas vaincu. "Personne ne veut d’Israël à Gaza. La seule option est une force de paix internationale composée d’Européens. Je l’ai fait en 2006", dit-il. Un scénario difficile, vu l’affaiblissement de l’ONU.
Le temps de la paix
Quoi qu’il arrive, l’offensive terrestre ne pourra se prolonger. "La phase active ne peut durer que quelques semaines. Le monde ne nous laissera pas faire davantage, et notre économie ne va pas bien", résume Itmar Rabinovitch, professeur émérite à l’Université de Tel Aviv.
Sans paix assurant la prospérité de la Palestine, le cycle de haine ne s’arrêtera pas. "Moshe Dayan a dit un jour, lors d'une visite du kibboutz Nahal Oz près de Gaza: vous devez comprendre que les Palestiniens, de l’autre côté, regardent ce kibboutz florissant et ça les heurte. Tout est là", conclut-il.
- La société et l'économie israéliennes sont sous le choc depuis l'attaque sanglante du 7 octobre et le retour de la guerre. L'élite appelle à la démission du gouvernement.
- Pour l'ancien patron de Teva, Jeremy Levin, le Premier ministre Netanyahou doit partir, "même si c'est la guerre".
- Ehud Olmert, Premier ministre d'Israël de 2003 à 2009, nous confie que "tout le monde serait préférable à Netanyahou". Il appelle à l'envoi d'une force de paix internationale à Gaza et à des négociations avec l'autorité palestinienne.
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