L'intelligence artificielle est devenue en quelques semaines l'un des sujets les plus brûlants de l'actualité. Ces outils peuvent-ils aider à lancer une entreprise et jouer le rôle de l'associé ou du conseiller spécial? L'Echo s'est penché sur la question et a tenté de lancer une entreprise en se faisant assister à 100% par l'intelligence artificielle. Voici le résultat.
Par Maxime Samain, Clément Bacq et Benjamin Verboogen Publié le 26 mai 2023Derrière toute entreprise, il y a une idée. Parfois de génie, souvent toute simple. La clé étant la réalisation de cette fameuse idée. Mais comment la trouver? L'intelligence artificielle peut nous donner un coup de pouce. Posons la question à ChatGPT avec quelques contraintes pour que cela ne parte pas dans tous les sens. Le business sera lancé depuis Bruxelles en Belgique, doit être un produit physique répondant à un besoin local, le tout avec un capital de départ de 5.000 euros.
Chat GPT propose 5 idées, dont une sort clairement du lot: les kits de jardinage urbain. Dans l'air du temps, adaptée aux contraintes énoncées et facile à comprendre, l'idée nous séduit. Pour être certain de ne pas faire fausse route, nous faisons valider l'idée par une autre intelligence artificielle: “Validator.ai”, une intelligence artificielle qui permet de confronter votre idée de business à la réalité.
Nous lui soumettons ceci : "A business that sells urban gardening kits with local seeds"
Quelques obstacles à prévoir, mais pas de quoi nous freiner dans notre entreprise. L'idée est là, il faut maintenant analyser le marché et la concurrence avant d'aller plus loin.
Notre conversation avec ChatGPT se poursuit. Sur base de son idée, nous lui demandons d'analyser le marché et la concurrence dans ce secteur que nous connaissons peu.
Commentaire du journaliste ChatGPT se montre très complet dans sa réponse même si certains arguments liés aux opportunités et au marché sont quelque peu “bateau”. On s'attendait à une réponse un peu plus pointue que “le marché du jardinage urbain est en croissance, avec de plus en plus de gens intéressés par la culture de légumes”.
Dans son analyse de la concurrence, ChatGPT mentionne Green Up et Vertiloom mais oublie une dizaine d'autres acteurs qui vendent ce type de produits en ligne depuis d'autres pays. Il semble penser que nous voulons vendre le produit uniquement à Bruxelles, or, nous avons simplement précisé que le business se lancerait au départ de Bruxelles.
Pour concrétiser les espoirs placés dans cette idée et la rapide étude de marché de ChatGPT, il nous faut un business plan en béton. ChatGPT va-t-il encore se révéler utile?
Aïe, notre nouvel associé se montre rapidement gourmand en cash. Après trois questions, il nous parle déjà d'un investissement supplémentaire de 30.000 euros pour réussir notre entrée dans le jardinage urbain. C'est peut-être notre faute. Il faut dire que nous nous sommes un peu emballés avec des ambitions européennes. Avec cet investissement, ChatGPT nous promet un bénéfice net de 60.000 euros dès la première année. Pas mal. Mais il nous faudrait alors trouver des investisseurs prêts à miser sur nous et notre concept tout sauf révolutionnaire. Rien d'impossible, à condition d'avoir au moins un nom qui donne envie.
La question se pose aussi de pouvoir proposer un business par abonnement qui a la cote depuis plusieurs années et permet de pouvoir compter sur des revenus récurrents. Pour trancher, nous posons la question à Rationale, une IA dédiée à aider les propriétaires d'entreprise, les gestionnaires et les particuliers à prendre des décisions difficiles.
Sur base d'un persona reprenant les informations de base sur notre entreprise, nous lui posons la question et sa réponse est tout en nuance.
Commentaire du journaliste Tout le monde n'a pas la même définition du business plan, mais celle de ChatGPT est plutôt légère. Difficile de se baser uniquement là-dessus pour lancer une entreprise, mais cela donne des pistes. Pour les décisions concernant la vie d'une entreprise, Rationale est un outil très intéressant avec sa cartographie des conséquences et ses “pour et contre”. Cela permet, comme son nom l'indique, de rationaliser des décisions parfois difficiles et de les envisager de façon très synthétique.
Comment trouver un nom qui fera comprendre en un instant ce que le produit est, sera facile à dire, représentera les valeurs du produit et pourra fonctionner dans plusieurs langues? Un casse-tête pour tous les entrepreneurs que l'IA se propose de régler pour nous.
Pour trouver le nom qui séduira clients et investisseurs, nous optons pour “Namelix”, une IA qui génère des noms de business sur base d'une courte description. En quelques secondes, des centaines de noms s'affichent devant nos yeux.
Le choix est immense. Tous ne se valent pas, mais les critères sont respectés. De l'évident “MiniGarden” à “UrboGrow” en passant par “PlantiKit”, le choix est complexe. Jusqu'à croiser le nom “SproutKit”. Des germes, une identité bruxelloise et l'image d'un produit compact avec tout le nécessaire inclus, tout y est. C'est le coup de cœur. Notre start-up s'appellera donc SproutKit.
Cet outil très facile à prendre en main nous propose de réserver immédiatement le nom de domaine associé à notre tout nouveau nom d'entreprise. Pas de chance, le nom de domaine Sproutkit.com est déjà pris. Aux oubliettes les ambitions internationales? Que nenni, pour la modique somme de 2,48 dollars par an, nous nous emparons de “Sproutkit.club”.
Cette contrainte fait tout de suite germer l'idée de créer un club autour de la marque rassemblant les conseils et astuces des apprentis jardiniers urbains. Nous venons de faire notre première dépense. Les choses deviennent concrètes.
Une marque sans logo, c'est un entrepreneur sans visage. Énormément d'IA sont là pour réaliser un logo en quelques secondes. Comme pour le nom, c'est assez standardisé et convenu, mais pour un business qui se lance et n'a pas les moyens de s'offrir les services d'un graphiste, cela fera l'affaire.
Namelix propose systématiquement des logos avec le nom choisi, mais leur design est aussi attirant que notre business à son stade embryonnaire. Nous optons pour LogoAi.com, entrons le nom de notre entreprise et un slogan généré par Oberlo.com: “There's always room for urban gardening”.
On nous demande de choisir le type de couleurs à associer à notre logo. La gamme de verts “Pastel” semble tout indiquée. Pour le type de typo, nous optons pour de l'élégance et de la modernité.
Le résultat est très décevant. Aucun lien avec la thématique dans ce qui nous est proposé. Même en demandant d'y ajouter une plante ou des feuilles, les résultats sont peu probants.
Nous optons pour un autre outil baptisé logomaster.ai. Les propositions sont plus convaincantes, mais il faudra s'y reprendre à plusieurs reprises pour arriver à un résultat correct. Pour 29 dollars, nous devenons propriétaires d'un logo sans âme, mais qui fera le job pour démarrer.
Commentaire du journaliste La génération de nom par une IA est à double tranchant. Quelques bonnes idées à retenir de la centaine de propositions, mais globalement, tout est très standardisé et fait systématiquement penser à une startup technologique. Ce genre d'outil a la fâcheuse tendance à proposer le même type de combinaisons pour différents types de business. On est très loin des jeux de mots des enseignes de coiffures, mais le risque est d'avoir des entreprises qui ont toutes le même genre de nom: compact et anglophone. Même problème pour le logo où les propositions manquent clairement d'imagination et de personnalisation.
Une idée, un business plan, un logo et un slogan, mais toujours pas de produit. L'intelligence artificielle, peut-elle nous aider à réaliser nos kits de jardinage urbain pour les commercialiser?
ChatGPT nous donne des pistes, rien de révolutionnaire, mais ça a le mérite de structurer les étapes nécessaires pour que notre produit prenne vie.
Très clairement ici, l'IA ne sera pas d'une grande aide et c'est tant mieux diront certains. Elle se révélera utile plus tard dans le processus, quand nous reviendrons avec la même question et celle des coûts, une fois qu'elle aura emmagasiné plus d'informations sur notre entreprise.
Cependant, il nous faudrait tout de même une image qui montre aux futurs clients ou aux potentiels investisseurs à quoi ressemblera notre produit fini.
N'ayant pas de compétences de graphistes chevronnés, nous nous dirigeons vers une autre intelligence artificielle qui a défrayé la chronique: Midjourney. Cette IA permet de générer des images sur la base de requêtes soumises à l'écrit.
Nous lui soumettons donc ceci: “A ready-made kit that enables you to grow plant and vegetable in a cardboard box, with the name "sproutkit" written on it” (Un kit prêt à l'emploi qui permet de cultiver des plantes et des légumes dans une boîte en carton, avec le nom” sproutkit” écrit dessus".) et voilà le résultat:
Si le “logo” est peu probant, le reste pourrait franchement être exploitable avec une ou deux retouches.
Nous voilà désormais armés pour passer à l'étape suivante: être présent sur le web.
Commentaire du journaliste Il n'y a pas de secret, créer son produit, ce n'est pas une intelligence artificielle qui va le faire. C'est et cela restera un outil qui peut aider, faire gagner du temps et sauter quelques étapes, mais celle-ci, qui est l'une des plus importantes, n'a que peu d'intérêt, en tout cas dans notre cas, à être confiée à une IA.
Pour exister aux yeux du monde, il nous faut un site internet. ChatGPT semble être dépassé par notre demande peut-être un peu vague de création de site web, mais donne de judicieux conseils sur son architecture et son contenu.
Pour notre demande, nous nous tournons alors vers uizard.io. En quelques minutes, nous choisissons un template très nature baptisé “Plant e-shop”, ajoutons notre nom d'entreprise et quelques photos et le tour est joué.
Sans aucune expérience de codage, une intelligence artificielle nous a guidé pour réaliser un site internet de quelques pages qui explique le concept, propose une page de vente de nos produits et permet de nous contacter. Bluffant.
Faites défiler le site web dans l'encadré ci-dessousPour compléter la démarche, il faudrait relier la page de vente à un outil de vente en ligne comme Shopify pour gérer les commandes et la logistique. Rien de bien sorcier et le tout pour quelques dizaines de dollars à chaque fois.
Commentaire du journaliste Ce qui était réservé aux professionnels ou aux geeks il y a quelques années est désormais à la portée de tous. Ce n'est pas uniquement dû à l'avènement des outils d'intelligence artificielle ces derniers temps, mais la capacité des outils d'intelligence artificielle à traduire une envie, un besoin en site internet ou application est assez incroyable. L'attention portée sur les détails est surprenante.
Comme dans toute start-up qui se lance, je suis fort seul pour débuter. Alors, je décide de m'entourer d'un assistant virtuel pour gérer mon service après-vente et les questions des clients qui vont se bousculer par milliers pour avoir leur kit de jardinage. Pour ce faire, je m'oriente vers Tidio qui permet en quelques clics de configurer un chatbot, de personnaliser son apparence, ses réponses et son vocabulaire.
On pousse la démarche jusqu'à choisir le type de code promo qu'il proposera aux futurs clients pour leur souhaiter la bienvenue sur le site, histoire de booster les ventes.
Commentaire du journaliste Pour cette partie, l'intelligence artificielle est un vrai plus. Même si un chatbot ne remplacera jamais un service clientèle humain, il peut s'avérer très utile s'il est bien paramétré et suivi par son concepteur. C'est du temps gagné pour d'autres tâches qui demandent une présence et un cerveau humain.
Pour se faire connaître, il faut se faire voir et entendre partout. Il faut cibler son public et définir l'histoire que l'on va raconter pour convaincre les futurs clients de nous faire confiance.
Commençons par une courte vidéo, formatée pour les réseaux sociaux, avec un message simple qui renvoie vers notre site. Direction Pictory.ai, qui grâce à son intelligence artificielle génère une vidéo sur base d'un script textuel. Il a fallu s'y reprendre à plusieurs fois pour adapter le script, les textes et se servir dans la banque d'images proposée par l'IA, mais en quelques minutes, le résultat est là. Jugez plutôt.
Par contre, on se rend compte qu'avec comme unique marketing un slogan de deux lignes, nous n'irons pas bien loin. Jasper pourrait nous aider. Cet outil est devenu très populaire ces derniers mois avec son intelligence artificielle qui propose de rédiger du contenu marketing pour votre entreprise sur base de quelques indications.
Du contenu du site internet avec un ton spécifique aux campagnes publicitaires, l'outil est très complet, mais aussi plus cher que ceux utilisés précédemment dans ce test. Pour 79 dollars par an, vous aurez accès à la plupart des services que l'on dit “bluffant”.
On optera finalement pour Anyword, plus accessible et moins cher, pour créer un post de blog sur “Comment faire de son balcon un petit potager”. Avec 4 mots clés et une phrase directive, le tour est joué.
On lui demandera également de pondre un texte expliquant pourquoi SproutKit est le meilleur kit de jardin urbain. Le résultat est très convaincant.
Commentaire du journaliste C'est l'une des étapes où l'IA a été la plus convaincante dans ce processus. Dans un temps record et avec des résultats très probants, les différents outils utilisés ont produit du contenu texte, photo et vidéo pour nous permettre de lancer des campagnes marketing pour notre business. Comme pour le logo et le slogan, le texte est quelque peu formaté, mais le niveau de précision par rapport à notre demande basée sur des mots clés est impressionnant.
Si vous vous souvenez bien, lors de l'étape du business plan, ChatGPT nous avait annoncé que nous aurions besoin de 30.000 euros supplémentaires si nous voulions réaliser nos ambitions et atteindre 60.000 euros de bénéfice net pour notre premier exercice comptable. Nous n'avons pas ces 30.000 euros, il va donc falloir aller les chercher auprès d'investisseurs.
Pour les convaincre, il faut un beau PowerPoint et un pitch qui décoiffe. Sur base des textes produits par notre copywriter virtuel, nous demandons à ChatGPT de nous produire cela. Il s'exécute et plutôt bien. Le pitch est clair, donne les bons arguments pour convaincre et résume une entreprise qui… n'existe même pas encore. C'est fort.
Par contre, ChatGPT s'emballe un peu sur les chiffres pour la deuxième fois. Il parle dans un slide d'un investissement initial de 50.000 euros et indique une première année avec 200.000 euros de revenus. Pour les 50.000, on le soupçonne d'adopter une tactique offensive face aux investisseurs pour être sûr d'avoir les 30.000 recherchés, mais pour les 200.000 euros, on ne sait pas comment il les calcule puisque nous ne lui avons jamais donné le prix de nos kits de jardinage.
“Fake it until you make it”. L'outil d'OpenAI incarne à merveille le fondateur de start-up qui y va au bluff pour commencer.
Nous lui redemandons à ce stade, dans la même conversation que nous avons avec lui depuis le début, de nous donner les coûts de fabrication et de proposer à nouveau un business plan. Et là, son franc tombe et il nous déroule un business plan sur plusieurs années et des coûts de fabrication, fonctionnement et marketing plutôt réalistes. Mais quand on découvre ses prévisions de chiffres d'affaires et de coûts, quelque chose cloche.
ChatGPT nous propose de vendre notre kit à 50 euros et annonce des coûts de fabrication de 33 euros par kit. Pour la première année, il calcule des coûts à hauteur de 257.000 euros comprenant la fabrication, la logistique, la location de bureaux, le marketing et le personnel et annonce un chiffre d'affaires de 200.000 euros et conclut: “Bénéfice net prévu pour la première année: 30.000 euros”. ChatGPT se trompe et aurait dû nous annoncer une perte la première année de 57.000 euros. Si nous allons voir des investisseurs avec ce type de calcul élémentaire qui se révèle faux, nous allons avoir du mal à lever des fonds.
Nous le faisons remarquer à notre associé virtuel qui s'excuse platement et reconnait son erreur. Il suggère donc “d'ajuster les projections de vente, les coûts ou le prix de vente afin de générer un bénéfice net positif.”
La preuve ultime que même si les outils d'intelligence artificielle sont bluffants sur de nombreux points, il faut tout vérifier, car ils se trompent généralement sur des éléments très basiques. ChatGPT ne s'est pas révélé être un associé très pertinent pendant cet épisode, simplement un assistant dévoué avec ses qualités et ses défauts.
Il ne nous reste plus qu'à glisser tout cela dans quelques slides colorés avec une typo sans serif et nous serons prêts à aller voir les investisseurs. Sauf que n'avons toujours pas notre produit, et ça, c'est un problème que l'IA ne peut pas résoudre. Il faudra bien mettre les mains dans le cambouis. Ou plutôt dans le terreau dans notre cas pour devenir les rois du jardinage urbain.
Commentaire du journaliste L'intelligence artificielle est et restera un outil, certes de plus en plus performant, qui devrait de plus en plus accompagner les entrepreneurs dans leur parcours, mais pas les suppléer au risque de voir les mêmes entreprises, avec les mêmes logos et noms fleurir un peu partout.
Boîte à Outils Voici les IA que nous avons utilisé pour monter notre entreprise: