Omega Diamonds
Le procès des diamants sales
Omega Diamonds, un nom qui devrait briller. Et pourtant, la société belge a un passé peu reluisant. Plongée dans les arcanes de la plus grosse affaire diamantaire du pays.
Par Clément Dechamps & Laura Krings
Développement: B. Verboogen | Édition: S. Quoidbach & N. Becquet - 13/03/2019
Elle croyait échapper aux juges. En 2013, la société diamantaire anversoise Omega Diamonds avait bénéficié de la plus grande transaction pénale de l’histoire du pays. Un accord à l’amiable d’environ 160 millions d’euros avec l’administration fiscale belge.
La somme était versée, le dossier clôturé. C’était sans compter la pugnacité de la douane belge. Après une enquête approfondie de plusieurs années, elle met à jour un immense jeu de dupe. Violation des droits humains, pillage des ressources, faux documents, fraude fiscale, l’entreprise aurait échafaudé un commerce illégal aux ramifications internationales.
L’administration des Douanes et Accises n’accepte pas la transaction pénale, et réclame une somme de 2,28 milliards d’euros ainsi qu’une amende de 2,29 milliards d’euros pour falsification de documents.
L’affaire pèse 4,6 milliards d’euros, ce qui en fait la plus grosse fraude financière de ces dix dernières années. L’administration décide d’aller en appel, contre la transaction pénale. Demande rejetée par la cour d’appel d’Anvers, mais ce rejet est lui-même cassé par la cour de cassation. L’affaire repasse devant la cour d’appel de Gand à partir de mars 2019.
Voici son histoire.
Chapitre I
La filière angolaise
«Un matin de mai 2006 dans le sud du Congo, je me suis assis dans mon comptoir pour commencer à trier un colis de diamants d’Angola que l’on me proposait à l’achat comme j’avais l’habitude de le faire. Je suis resté devant ce colis sans pouvoir même commencer à le tamiser, ma conscience m’a dit stop, tu ne peux plus continuer!»
David Renous est un ancien employé d’Omega Diamonds. À l’époque, son boulot consistait à marchander avec les négociants de diamants indépendants (appelés «trafiquants» dans le jargon local) en Angola et dans le sud de la République démocratique du Congo.
Angola, le cinquième producteur mondial de diamants
La valeur moyenne de sa production est estimée à plus d’un milliard de dollars américains par an (1,23 milliard en 2018). Les diamants extraits dans ce pays, ainsi qu’en République Démocratique du Congo sont réputés pour leur très bonne qualité, en termes de forme et de pureté.
En 2002, l’Angola sortait d’une guerre civile meurtrière. D’après une enquête de l’ONG Global Witness, les «diamants de sang» extraits des mines angolaises avaient contribué à financer ce conflit qui a fait au moins 500.000 victimes.
En 2003, un processus transnational est mis en place pour certifier l’origine réglementée des diamants: le processus de Kimberley.
«Des hommes et surtout des enfants travaillent dans les mines artisanales à ciel ouvert sous l’asservissement, réduits au rang d’esclaves parmi les esclaves, victimes d’un régime complice et de tous les acteurs et composantes de l’organisation criminelle Omega Diamonds.»
Depuis l’élection du nouveau président João Lourenço en 2017, la situation en Angola a fortement évolué. Le Président actuel a «nettoyé» la région diamantifère de Lunda Norte en augmentant les contrôles et a renvoyé environ 500.000 creuseurs illégaux.
Les diplomates angolais se rendent régulièrement en Belgique et suivent avec attention le déroulement du procès Omega Diamonds. Cela, depuis qu’en mai 2006, David Renous a levé le voile sur la réalité du secteur diamantaire et dénoncé les activités de la société auprès des autorités belges et américaines.
Chapitre II
Pendant ce temps-là, à Anvers...
En 2006, Omega Diamonds était la deuxième plus grande importatrice de diamants bruts d’Anvers. Véritable plaque tournante du diamant depuis près de six siècles, la ville portuaire se maintient en tant que capitale mondiale du secteur malgré la concurrence de Dubai, Genève ou Hong Kong.
84% des diamants bruts et 50% des diamants polis du monde entier transitent par Anvers.
Ce marché représente plus de 5% du total des exportations belges et 15% de ses exportations en dehors de l’UE. Les transactions liées aux diamants s’élèvent à plus de 200 millions de dollars par jour.
«Conscient de ce qui se passait réellement sur le terrain, conscient aussi que j’étais l’employé d’une organisation criminelle internationale de grande envergure, j’en savais trop et c’était insupportable, je voyais rouge, rouge comme le sang des innocents qui coulait sur ces diamants.»
L’Antwerp World Diamond Center (AWDC), représentant officiel des diamantaires anversois, fait valoir que la rigueur de la législation et des contrôles existants pour le secteur est un atout et contribue même à la marque de fabrique de la Ville d’Anvers. La réalité, en ce qui concerne Omega Diamonds, serait tout autre. C’est ce que va dénoncer David Renous.
Chapitre III
La route cachée des diamants
L’organisation criminelle internationale que dénonce David Renous plonge ses ramifications dans de nombreux pays. Deux noms apparaissent de manière récurrente dans le dossier, parmi les onze prévenus, ceux de Sylvain Goldberg et Ehud Laniado, les fondateurs d’Omega Diamonds. Ensemble, de 2003 à 2008, ils auraient utilisé un écheveau d’intermédiaires, de sociétés écrans, d’hommes de paille et de lieutenants exécutants, agissant à l’abri des regards.
Les diamants étaient achetés en Angola ou en République démocratique du Congo selon une liste de prix dressée par la maison mère à Anvers. Les pierres arrivaient en lots au bureau d’ASCorp, agence gouvernementale semi-privée qui détenait le monopole sur l’exportation des diamants angolais. Parmi les actionnaires figuraient Isabel Dos Santos, la fille du président Dos Santos dite «la femme la plus riche d’Afrique», le milliardaire israélien Lev Leviev, ainsi que Sylvain Goldberg et Ehud Laniado d’Omega Diamonds.
De l’Angola à Dubai
ASCorp gonflait artificiellement les prix et simulait une vente à l’entreprise Tulip Dubai, dirigée par un membre de la famille d’Ehud Laniado. À Dubai étaient émis de faux certificats de Kimberley, passeport garantissant que les diamants n’alimentent pas de conflits armés.
Puis, direction l’Afrique du Sud
Avant d’arriver en Belgique, les pierres passaient par l’Afrique du Sud et étaient confiées à l’entreprise de transports sécurisés Brinks.
Omega Diamonds réceptionnait les diamants en Belgique mais près d’un tiers du bénéfice net restait à Dubai, invisible aux yeux de l’administration belge.
Fin du voyage en Belgique, à Anvers
Selon l’ICIJ, le consortium international de journalistes qui a mené l’enquête, entre 2003 et 2008, plus de 350 lots de diamants bruts auraient été importés de cette manière vers Anvers par Omega Diamonds, pour un chiffre d’affaires estimé par l’administration des Douanes et Accises belges à 2,3 milliards d’euros.
Sources: Kairos Europe et ICIJ
Chapitre III
La route cachée des diamants
L’organisation criminelle internationale que dénonce David Renous plonge ses ramifications dans de nombreux pays. Deux noms apparaissent de manière récurrente dans le dossier, parmi les onze prévenus, ceux de Sylvain Goldberg et Ehud Laniado, les fondateurs d’Omega Diamonds. Ensemble, de 2003 à 2008, ils auraient utilisé un écheveau d’intermédiaires, de sociétés écrans, d’hommes de paille et de lieutenants exécutants, agissant à l’abri des regards.
Les diamants étaient achetés en Angola ou en République démocratique du Congo selon une liste de prix dressée par la maison mère à Anvers. Les pierres arrivaient en lots au bureau d’ASCorp, agence gouvernementale semi-privée qui détenait le monopole sur l’exportation des diamants angolais. Parmi les actionnaires figuraient Isabel Dos Santos, la fille du président Dos Santos dite «la femme la plus riche d’Afrique», le milliardaire israélien Lev Leviev, ainsi que Sylvain Goldberg et Ehud Laniado d’Omega Diamonds.
De l’Angola à Dubai
ASCorp gonflait artificiellement les prix et simulait une vente à l’entreprise Tulip Dubai, dirigée par un membre de la famille d’Ehud Laniado. À Dubai étaient émis de faux certificats de Kimberley, passeport garantissant que les diamants n’alimentent pas de conflits armés.
Puis, direction l’Afrique du Sud
Avant d’arriver en Belgique, les pierres passaient par l’Afrique du Sud et étaient confiées à l’entreprise de transports sécurisés Brinks.
Omega Diamonds réceptionnait les diamants en Belgique mais près d’un tiers du bénéfice net restait à Dubai, invisible aux yeux de l’administration belge.
Fin du voyage en Belgique, à Anvers
Selon l’ICIJ, le consortium international de journalistes qui a mené l’enquête, entre 2003 et 2008, plus de 350 lots de diamants bruts auraient été importés de cette manière vers Anvers par Omega Diamonds, pour un chiffre d’affaires estimé par l’administration des Douanes et Accises belges à 2,3 milliards d’euros.
Sources: Kairos Europe et ICIJ
Chapitre IV
L’enquête en Belgique
En 2006, une enquête fiscale est ouverte par l’Inspection spéciale des impôts d’Anvers. Deux ans plus tard, les locaux d’Omega sont perquisitionnés, les enquêteurs trouvent neuf factures provenant de Tulip Dubai et effectuent une saisie record de diamants pour une valeur de 100 millions d’euros.
Dans le cadre de l’enquête, la Belgique adresse une demande de coopération à l’Afrique du Sud, pays par lequel passaient les lots de diamants. Le 7 septembre 2012, la Cour suprême d’appel sud-africaine établit les faits et juge que la valeur des diamants est artificiellement surévaluée.
Contre toute attente et malgré le prononcé de la justice sud-africaine, un règlement à l’amiable est conclu entre les dirigeants d’Omega Diamonds, l’Inspection spéciale des impôts et le procureur général d’Anvers. Il s’agit à ce jour de la plus grande transaction pénale de l’histoire belge: 160 millions d’euros.
Une loi par les diamantaires, pour les diamantaires
La transaction pénale est un mode de règlement des litiges pénaux. Le ministère public peut proposer à l’auteur présumé d’une infraction de payer une somme d’argent, en échange de l’abandon total des poursuites et du casier judiciaire vierge. La transaction pénale n’implique, légalement, aucune reconnaissance de culpabilité.
En 2011, le dispositif est élargi aux affaires économiques et financières, ce qui provoque la controverse dans le débat public.
En 2017, des auditions au Parlement fédéral déterminent que le texte d’élargissement de la transaction pénale a été coécrit par l’Antwerp World Diamond Centre (AWDC). On apprend notamment que Maître Raf Verstraeten, l’avocat d’Omega Diamonds, a été payé par le lobby diamantaire pour intervenir comme expert lors de l’examen du projet de loi au Sénat en 2011.
À cette époque, Maître Verstraeten travaillait également pour Eusebius, le cabinet privé de l’actuel ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V). Raf Verstraeten, avocat d’Omega Diamonds, est intervenu comme expert pour le projet de loi sur la transaction pénale.
Maître Verstraeten apparaît également dans l’affaire SwissLeaks en 2015, à la suite de la révélation par les médias du monde entier de l’existence d’un système international de fraude fiscale et de blanchiment d’argent qui aurait été mis en place par la banque HSBC. L’affaire SwissLeaks concerne, entre autres, 500 diamantaires anversois, parmi lesquels Sylvain Goldberg, fondateur d’Omega Diamonds. Un des avocats d’HSBC n’est autre que Raf Verstraeten.
La réouverture du procès
En septembre 2013, malgré le paiement de la transaction avec le parquet d’Anvers, l’administration des Douanes et Accises décide de poursuivre Omega Diamonds et ses dirigeants pour falsification de documents et réclame la somme de 4,6 milliards d’euros.
En janvier 2017, la cour d’appel d’Anvers juge la demande irrecevable car contraire à la législation européenne mais au mois de novembre, la cour de cassation casse cet arrêt estimant que la cour d’appel ne s’était livrée qu’à une analyse trop limitée des faits.
Le 12 décembre 2018, le procès est ouvert à la cour d’appel de Gand. Sylvain Goldberg et les autres prévenus étaient absents. Seule information à retenir de cette audience préliminaire: Omega Diamonds est défendue par 18 avocats. Les Douanes et Accises, un seul, Maître Patrick Van Der Straeten: «Aujourd’hui, je suis David contre Goliath».
Début des plaidoiries en mars 2019, à la cour d’appel de Gand.