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Émilie Van Haute (ULB): "Les formateurs bruxellois pourraient s'inviter à la table des négociations fédérales"

Émilie Van Haute, professeure au département de science politique au sein de l'ULB. ©doc

Coup d'œil dans le rétroviseur politique de 2024, année de toutes les élections! Qu'en tirer comme enseignements? Et qu'est-ce que cela présage pour l'année qui s'annonce?

Tout est politique, direz-vous. Certes. Cela étant, il n'est pas incongru d'affirmer que le cru 2024 sort du lot. Fédéral, régional, provincial et communal, sans oublier l'Europe: cela a voté à tous les étages. Et si la plupart des majorités ont déjà vu le jour, cela patine encore sec, tant à Bruxelles qu'à l'échelon fédéral, où la coalition Arizona peine à voir le jour – il en va de même à Schaerbeek, notez bien.

Quel regard porter sur cette année politique? Et qu'attendre pour 2025? Davantage de sérénité? Des crispations à répétition? On fait le point avec Émilie Van Haute, professeure au département de science politique au sein de l'ULB.

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La coalition Arizona se fait attendre: Bart De Wever a déjà été reçu par le Roi pas moins de quatorze fois en tant que formateur. Qu'est-ce qui bloque?

"Ce qui a bloqué [la coalition Arizona] jusqu'ici, semble-t-il, ce sont les questions socioéconomiques en général, et fiscales en particulier. Et c'est ce qui subsiste sur la table des négociateurs."

Ce qui a bloqué jusqu'ici, semble-t-il, ce sont les questions socioéconomiques en général, et fiscales en particulier. Et c'est ce qui subsiste sur la table des négociateurs. Tout se joue sur ces dossiers-là. L'Arizona aboutira-t-elle ou non? Les prochains jours s'annoncent déterminants.

Des progrès ont toutefois été enregistrés depuis le mois de juin.

Depuis les élections communales d'octobre, surtout, des avancées ont eu lieu sur une série de dossiers spécifiques, notamment en matière de justice ou de migration. Ce qui n'empêche que le nœud du problème reste bien budgétaire et fiscal.

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À force de présenter l'Arizona comme une coalition coulant de source, n'a-t-on pas oublié que, malgré l'absence du PS, elle mélange la droite et la gauche? Et qu'elle n'a donc rien de si évident que cela?

"On a tendance à allier la droite et le centre, comme s'ils formaient un tout, alors qu'il subsiste d'importantes nuances."

Exactement. Arithmétiquement, l'attelage s'imposait; cela ne voulait en rien dire que politiquement, la chose allait être facile. Le parti de gauche, Vooruit, peut peser, puisqu'il sait qu'il est nécessaire. Par ailleurs, on a tendance à allier la droite et le centre, comme s'ils formaient un tout, alors qu'il subsiste d'importantes nuances.

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Bart De Wever, premier ministre. Cela, par contre, c'est sûr et certain?

Rien n'est certain. Les négociations ont avancé et l'on sent une forme d'ultimatum posé par le Roi, qui attend "une percée décisive". Une manière polie de dire qu'un accord de gouvernement est attendu pour le début du mois de janvier. Il est donc difficile, actuellement, de se prononcer. Si l'Arizona prend forme, il est fort probable que le patron de la N-VA endosse ce costume. Si pas, les cartes seront entièrement rebattues.

Vous l'avez dit, ce sont les questions de gros sous qui coincent. Se dirige-t-on inévitablement vers un tour de vis budgétaire?

On peut l'affirmer. Cela s'impose sur le plan socioéconomique, mais également politique. Il y a, je pense, dans le chef de la N-VA, la volonté d'utiliser l'assainissement budgétaire dans une perspective de diminution du poids du Fédéral. En ce sens, on peut parler de perspective inéluctable.

Dans ce cadre de restrictions, comment faire pour, malgré tout, imprimer de nouvelles politiques? Assurer des investissements publics, trop négligés par le passé? Investir dans la Défense? Soutenir l'industrie? Financer la transition énergétique et climatique?

Cela va nécessiter des réformes, notamment en matière fiscale. Et c'est là que cela coince.

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Fiscalité ou pension, n'est-ce pas une spécialité belge de ne pas s'entendre sur des réformes dont on sait qu'elles sont essentielles? Et ce, depuis des décennies?

C'est sans doute ce qui se montre le plus complexe, quand on se retrouve avec plusieurs partenaires. Il est plus simple de se demander comment réduire la voilure que de travailler à changer l'orientation du bateau. Même si cela s'avère plus que nécessaire.

À Bruxelles, c'est toujours l'impasse. La tentative du MR d'élaborer une majorité alternative, sans le PS mais avec DéFI et Ecolo, tient-elle d'une tentative de mettre la pression sur les socialistes?

Sans doute, et d'une manière assez inattendue, en misant plus sur un effet d'annonce. Peut-être faut-il y voir aussi une sorte de contre-pression visant le PS, qui a rappelé qu'il existait d'autres coalitions possibles, avec d'autres partenaires à gauche.

La déchirure est-elle profonde entre MR et PS, ou en est-on encore au stade des postures?

"MR et PS sont des partis de gouvernement, habitués à nouer des accords, même cette collaboration ne constitue certainement pas leur premier souhait."

Il reste possible de s'entendre. MR et PS sont des partis de gouvernement, habitués à nouer des accords, même cette collaboration ne constitue certainement pas leur premier souhait. Quoi qu'il en soit, il y a vraiment, au MR, une volonté d'être aux affaires et au PS, d'y rester. Ce qui implique de travailler ensemble, même si l'on joue la pression pour tenter de maximiser les acquis au cours de la négociation.

Et avec Ecolo? Durant la campagne, le MR n'a-t-il pas trop ciblé les écologistes pour espérer travailler avec eux?

On se trouve face à une forte polarisation. En Belgique en général, mais singulièrement à Bruxelles. Avec le MR qui s'est placé en opposition à ce qu'il appelait les cinquante nuances de gauche. Après la campagne, il faut arriver à sortir de cet isolement et à tendre la main. Les actes posés après les élections, notamment en ce qui concerne la zone de basses émissions, n'ont pas été en ce sens. La situation du MR est donc complexe, mais il s'y est mis tout seul. Il est possible qu'il n'ait pas anticipé les difficultés avec les socialistes et les partis néerlandophones.

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Côté néerlandophone, la donne n'est pas moins complexe. D'autant plus avec le veto brandi par le PS (mais aussi Ecolo) envers la N-VA. Pourquoi la N-VA serait-elle déclarée infréquentable dans la capitale, alors que ce n'est plus le cas à l'étage fédéral?

Ce n'est pas tant une question d'être fréquentable ou non. Ce qu'il y a, c'est que la N-VA est moins incontournable à Bruxelles qu'au Fédéral. Par ailleurs, il faut tenir compte de la spécificité linguistique bruxelloise. Les francophones savent qu'il existe une forme de consensus, de la part des acteurs néerlandophones, de ne pas appliquer trop strictement la politique linguistique; une vision que ne partagera vraisemblablement pas la N-VA. Il y a des craintes à ce sujet.

Le modèle institutionnel bruxellois, où chaque aile linguistique élabore une majorité de son côté, n'est-il pas dépassé?

"On est clairement arrivés aux limites d'un système, qui ne reflète pas du tout la sociologie et la démographie bruxelloises. C'est un héritage du passé."

On est clairement arrivés aux limites d'un système, qui ne reflète pas du tout la sociologie et la démographie bruxelloises. C'est un héritage du passé. Faire comme si deux communautés vivaient en parallèle est une vision tronquée de la réalité. Et illustre assez bien les failles d'une vision confédérale, puisqu'à un moment donné, les deux communautés doivent bien se rencontrer pour cogérer; or, si la rencontre ne se fait pas, le confédéralisme ne fonctionne pas.

Comment dépasser ce modèle bruxellois?

Les pistes ne manquent pas et une série d'entre elles peuvent se régler de manière intrabruxelloise, sans forcément passer par une réforme de l'État. Ensuite, il convient de rappeler que tous les blocages bruxellois ne sont pas d'ordre linguistique. Loin de là. Il y a des veto à tous les niveaux, entre une multitude d'institutions, notamment entre les communes et la Région. Il ne faudrait pas réduire les difficultés institutionnelles à ce seul aspect communautaire. Enfin, revoir ce mécanisme de double majorité peut se faire dans le cadre des négociations fédérales, où il est par ailleurs question de la fusion des zones de police bruxelloises. Je pense donc que les Bruxellois, au lieu d'inviter les présidents de partis au chevet de Bruxelles, pourraient s'inviter, eux, à la table des négociations fédérales.

Direction la Wallonie, à présent. Où les nouveaux partenaires, MR et Les Engagés, semblent vivre une sorte d'idylle. Tout va bien dans le meilleur des mondes: cela peut-il durer indéfiniment?

Des tensions qui apparaissent sur certains dossiers, ce serait tout à fait normal. Ces deux partis n'ont pas forcément la même vision sur tout, même si les points de convergence sont nombreux. À ce stade, les réformes contenues dans l'accord de gouvernement sont assez peu dessinées. Aussi, la traduction d'un accord relativement court en politiques concrètes peut-elle déboucher sur des divergences.

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Au-delà du contenu, MR et Les Engagés ne partagent pas la même manière de faire de la politique. Cela se traduit dans les enquêtes électorales: les électeurs votent pour ces partis pour des raisons différentes. En opposition, dans une logique de polarisation pour les électeurs du MR, tandis que du côté des Engagés, ce serait plutôt l'inverse, avec la volonté de sortir de ce type de discours. C'est là aussi que des tensions pourraient se marquer.

Ce gouvernement s'est en tout cas construit sur une promesse de rupture, de basculement. MR et Les Engagés sont-ils susceptibles de confirmer l'essai? Le risque n'est-il pas de décevoir l'électeur?

C'est compliqué d'arriver en disant: "On va tout changer." Passer du discours de campagne très affirmatif à des réalisations concrètes va constituer un challenge, surtout dans un contexte budgétaire tendu. Cela portera peut-être ses fruits, même si l'on sait que les partis de gouvernement ont tendance à perdre des plumes aux élections suivantes, parce que l'exercice du pouvoir n'a rien d'évident.

On a entendu certaines personnalités évoquer, à terme, un rapprochement entre ces deux partis. Crédible?

La consolidation entre le centre droit et la droite dans l'espace francophone, on en parle depuis des dizaines d'années. Sans que cela se concrétise. Le contexte n'est pas forcément favorable: Les Engagés sont en pleine remontée électorale; c'est rarement à ce moment-là qu'un acteur partisan va aller se dissoudre dans une coalition plus large de partis. La reconfiguration de l'espace francophone se situe plutôt au centre, notamment avec l'avenir de DéFI.

Nouveauté dans l'espace francophone: le PTB a grimpé à bord de majorités communales. De quoi s'installer durablement et espérer atteindre un échelon supérieur par la suite?

Le parti a en tout cas la volonté de montrer qu'il peut prendre ses responsabilités. À un moment, la posture de l'éternel parti d'opposition mène à une forme d'essoufflement. Cela permet de casser le discours sur le vote inutile.

Les phrases clefs
  • "Il y a dans le chef de la N-VA la volonté d'utiliser l'assainissement budgétaire dans une perspective de diminution du poids du Fédéral."
  • "À Bruxelles, la situation du MR est complexe, mais il s'y est mis tout seul."
  • "Il ne faudrait pas réduire les difficultés institutionnelles bruxelloises au seul aspect communautaire."
  • "MR et Les Engagés ne partagent pas la même manière de faire de la politique."
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