Jeunes, riches et fraudeurs: Sam Bankman-Fried, le prodige de la crypto qui risque 155 ans de prison (4/4)
"Star de la crypto", "chevalier sur son cheval blanc", "altruiste efficace", les qualificatifs ne manquaient pas pour décrire le patron de FTX. Après la faillite de la plateforme, c'est "fraudeur" qui s'est imposé.
Pour l'univers crypto, c'était la crise de trop. En novembre dernier, la plateforme de cryptomonnaies FTX, un temps la troisième plus grande au monde, s'est effondrée en quelques jours, faisant s'envoler des milliards de dollars de ce marché hautement spéculatif.
Né (littéralement) sur le campus de Stanford, Sam Bankman-Fried a, comme bien des prodiges du monde des start-ups, fait ses débuts dans la Silicon Valley.
Plus qu'une énième faillite de société mal gérée, celle chute vertigineuse avait semé un vent de panique à l'égard du secteur entier. Car FTX était progressivement devenue un acteur respectable, qui avait pignon sur rue.
Au cœur de la tempête: Sam Bankman-Fried, ou "SBF", pour les intimes. Ce trentenaire, au look adulescent, cheveux en bataille et toujours en tee-shirt, était le fondateur et CEO de la plateforme. Au pic de sa gloire, sa fortune dépassait les 26 milliards de dollars. C'était bien avant qu'il ne soit accusé de multiples fraudes et de blanchiment d'argent, des charges pour lesquelles il risque désormais de passer le restant de ses jours en prison.
"Un altruiste efficace"
Comme bien des prodiges du monde des start-ups, Sam Bankman-Fried a fait ses débuts dans la Silicon Valley. Né (littéralement) sur le campus de l'Université Stanford en 1992, il est le fils de Joseph Bankman et Barbara Fried, qui y étaient tous deux professeurs de droit. Il grandit dans une famille d'intellectuels, et durant ses années de lycée à Hillsborough, dans la Baie de San Francisco, se distingue en mathématiques et en sciences.
Son parcours se poursuit au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), meilleure université du monde d'après le dernier classement QS. En 2014, il y obtient un diplôme de physique, avec une mineure en mathématiques.
Dans une interview en 2021, Sam Bankman-Fried avait expliqué que le mot "Research" avait en réalité été ajouté au nom de la firme pour paraître plus crédible auprès de ses interlocuteurs.
Dès ses études, Sam Bankman-Fried se destine à une carrière dans la finance. Durant l'été 2013, il effectue un stage chez Jane Street Capital, société de trading new-yorkaise très active dans les ETF. Une fois diplômé, c'est cette même firme qui l'engage. Il se dit motivé par son envie de gagner de l'argent pour suivre une stratégie "d'altruisme efficace", en donnant de l'argent à des œuvres caritatives ayant des objectifs précis.
Alameda "Research", pour le côté crédible
En 2017, Sam Bankman-Fried quitte Jane Street et fonde Alameda Research, sa propre société de trading, avec Tara Mac Aulay, une amie qui dirige le Centre pour l'altruisme efficace à Berkeley. Elle quittera la société quelques mois plus tard, inquiète à l'égard de ses pratiques et de son éthique.
Dans une interview en 2021, SBF avait expliqué que le mot "Research" avait en réalité été ajouté au nom de la firme pour paraître plus crédible auprès de ses interlocuteurs.
Il empoche alors des millions de dollars par jour. Sa stratégie consiste à parier sur les différences internationales de prix des cryptomonnaies, principalement entre les marchés asiatique et américain. Début 2018, il effectue un tel arbitrage en tirant parti de la différence entre le prix du bitcoin, plus élevé au Japon, et inférieur aux États-Unis, et empoche de la sorte des dizaines de millions de dollars.
Caroline Ellison, une ancienne de chez Jane Street, le rejoint en mars 2018 au sein d'Alameda Research, dont elle prendra plus tard la direction.
Dans la cour des grands
Vers la fin de l'année, Sam Bankman-Fried déménage à Hong Kong, plus clémente niveau régulation. Peu après, en mai 2019, il y fonde FTX (Futures Exchange), avec Gary Wang, un ancien de chez Google et du MIT, qu'il avait côtoyé en stage de maths. Ce dernier devient directeur de la technologie pour la nouvelle plateforme d'échange de cryptomonnaies, tandis que SBF en prend la tête.
La société connaît une croissance fulgurante. Elle crée sa propre cryptomonnaie, le FTT, en août 2019. Puis, à la fin de cette même année, Changpeng Zhao (CZ), le CEO de la première plateforme crypto au monde, Binance, acquiert 20% de FTX (cette participation sera rachetée en 2021 par Sam Bankman-Fried pour 2 milliards de dollars). SBF est nommé dans l'édition 2019 de la liste "30 under 30" du magazine Forbes.
FTX multiplie les acquisitions et les levées de fonds. En août 2020, elle rachète Blockfolio, une application de suivi de portefeuille de cryptomonnaies, pour 150 millions de dollars. En juillet 2021, elle lève 900 millions de dollars à une valorisation de 18 milliards, auprès de plus de 60 investisseurs, dont la holding japonaise SoftBank et le groupe de private equity Sequoia Capital, dans lequel on retrouve la holding belge Sofina. En septembre 2021, le siège social de la société est déplacé aux Bahamas.
Le chevalier sur son cheval blanc
SBF est alors partout. On le retrouve en couverture de magazines, sa plateforme fait sa promo dans les rues de San Francisco, et en juin 2021, un stade de Miami est même renommé FTX Arena en échange de 135 millions de dollars. Après un nouveau tour de table, la valorisation de FTX atteint un sommet de 32 milliards de dollars en janvier 2022.
Le mois suivant, FTX.US, sa filiale américaine, indique qu'elle va offrir la possibilité à ses clients d'investir dans des actions cotées en bourse. En juillet, FTX annonce avoir passé un deal avec la plateforme BlockFi, sur laquelle elle détient ensuite une option d'achat pour 240 millions de dollars. FTX est alors la 3e plus grande plateforme de cryptomonnaies au monde.
Alameda Research agissait comme teneur de marché pour FTX, détenait une grosse partie de ses dépôts en "stablecoins" et était également étroitement liée à sa crypto maison, le FTT.
En août 2022, la FDIC, organisme américain de garantie des dépôts, lui envoie une mise en demeure pour que ses responsables arrêtent d'affirmer que les dépôts de ses clients sont assurés. Un petit revers pour FTX, qui se met cependant rapidement en conformité et poursuit sa stratégie d'acquisition en annonçant en septembre son rachat pour 1,4 milliard de dollars d'une autre plateforme, Voyager Digital, qui vient de faire faillite. SBF est alors vu comme le "chevalier sur son cheval blanc" de la crypto, qui vole à la rescousse des acteurs en détresse.
Liaisons dangereuses
Les problèmes commencent à cette même période. Un article de Bloomberg révèle les liens étroits entre Alameda et FTX. La première agit en réalité comme teneur de marché pour FTX et détient une grosse partie de ses dépôts en "stablecoins", ces cryptos adossées à de vraies devises, une situation qui n'aurait pas été possible dans le monde de la finance traditionnelle.
CoinDesk, un média spécialisé, révèle début novembre que les FTT, les cryptos maison de FTX, sont aussi majoritairement dans les mains d'Alameda Research. Binance, la plateforme rivale de Changpeng Zhao, annonce alors qu'elle souhaite vendre ses FTT, ce qui fait s'effondrer leur valeur sur le marché.
Un important mouvement de retrait est observé de la part des clients de FTX, qui veulent récupérer leurs billes, mais il est déjà trop tard. La plateforme suspend les retraits. Binance annonce ensuite le 8 novembre qu'elle veut racheter FTX, offre qui est rapidement annulée.
155 ans de prison?
Le 11 novembre, FTX, Alameda Research et plus de 130 sociétés affiliées se déclarent en faillite. Selon des sources, la plateforme doit 8 milliards de dollars à ses clients. Sam Bankman-Fried démissionne et est remplacé par un administrateur temporaire à la tête de la société. Le lendemain, il est questionné par la police des Bahamas. La presse révèle que plusieurs milliards de dollars manquent à l'appel et que de graves manquements ont été observés dans le bilan de la société.
Sous enquête de la SEC et de la CFTC, Sam Bankman-Fried aurait illégalement transféré de l'argent d'utilisateurs de FTX (4 milliards de dollars) vers sa propre firme.
La Securities and Exchange Commission (SEC) et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) enquêtent sur FTX et Sam Bankman-Fried, car il aurait illégalement transféré de l'argent d'utilisateurs de FTX (4 milliards de dollars) vers sa propre firme de trading. De nombreuses autres irrégularités comptables sont relevées.
Il est arrêté aux Bahamas le 12 décembre. Accusé aux États-Unis de multiples types de fraude et de blanchiment d'argent, il risque jusqu'à 115 ans de prison s'il est reconnu coupable de toutes les charges retenues contre lui. Extradé, il est relâché contre une caution de 250 millions de dollars. Il plaide non coupable le 3 janvier 2023.
Quatre chefs d'accusation (contestés par les Bahamas) sont ajoutés le 23 février, notamment pour ses dons illégaux à des politiciens américains, (puis plus tard à des officiels chinois), portant sa peine potentielle théorique à 155 ans d'enfermement. Sa fortune, quant à elle, a fondu à 4 millions de dollars. Le procès doit démarrer en octobre 2023.
Dans sa chute, Sam Bankman-Fried a emporté avec lui Caroline Ellison, sa partenaire d'affaires qui était devenue la CEO d'Alameda Research. Âgée de moins de 30 ans, cette tradeuse, fille de professeurs du MIT (où SBF a fait ses études), était également une adepte de "l'altruisme efficace", dont elle dirigeait un club lors de ses études à Stanford.
Prodige en maths, elle commence également sa carrière chez Jane Street Capital, où elle rencontre SBF, avec qui elle aura plus tard une brève relation amoureuse. Elle le rejoint dans Alameda Research en mars 2018, puis en devient co-CEO et enfin CEO à part entière en août 2022, quelques mois à peine avant l'effondrement. Elle paraît alors dans le classement "30 under 30" du magazine Forbes.
Après les premières révélations sur les liens entre Alameda et FTX, elle nie les accusations, mais des sources rapportent aux médias qu'elle avait en réalité avoué que l'argent des clients de FTX avait été utilisé pour couvrir les engagements financiers d'Alameda. Elle perd son poste suite à la faillite.
Caroline Ellison a plaidé coupable des chefs d'accusation (différents types de fraude et blanchiment d'argent) qui lui sont reprochés. Grâce à une négociation de peine et à sa collaboration avec les autorités, elle pourrait éviter la plus grosse partie des 110 années de prison qu'elle risquait initialement au total.
Ils étaient jeunes, avaient des idées ambitieuses, et avaient réussi à convaincre jusqu'aux plus hautes sphères politiques et économiques avec leurs projets. Présents partout dans la presse financière, ils étaient acclamés pour avoir fait fortune en un temps record.
Ce n'était que la partie émergée de l'iceberg. Car tous cachaient un secret, qui, une fois découvert et mis au grand jour par des lanceurs d'alerte, a causé leur chute, encore plus rapide que leur ascension.
Le temps d'une série, L'Echo retrace le parcours de ces jeunes fraudeurs, de leurs débuts dans le monde du business à leur effondrement, entre belles promesses et escroqueries.
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