Rétro 2020

Médocs, comment se libérer de la dépendance?

Quel sera à l’avenir le prix à payer pour nos médicaments? Les Belges avalent 8 milliards de pilules chaque année. C’est beaucoup, et c’est risqué. Et si notre pays se souciait davantage de prévenir, au lieu de tout miser sur la guérison? Que devons-nous attendre de l’intelligence artificielle?

Par Nathalie Bamps & Benoît Mathieu
avec Simon Brunfaut | 18 décembre 2020

Ces dernières années, elle avait presque disparu du radar politique. Chassée par la fiscalité, les pensions ou l’immigration. Et puis en 2020, la santé a signé son grand retour. Ramenée avec fracas à l’avant-plan par une épidémie.

Le Covid a mis un violent coup de projecteur sur un phénomène qui n’est pas neuf : l’indisponibilité, souvent passagère mais non moins réelle, de certains médicaments. Ceux qui l’ignoraient ont découvert notre dépendance à la Chine et l’Inde, bien nommées «pharmacies du monde». Comment s’en sortir alors que notre consommation ne fait qu’augmenter?

En marge de la piste médicamenteuse, la Belgique ne pourra faire l’impasse sur une séance d’introspection. Ne peut-elle pas faire mieux en matière de prévention? Quant à la télémédecine et l’usage de l’intelligence artificielle, la marge d’amélioration est, disons, généreuse.

Des médicaments indisponibles, cela arrive. Mais le Covid-19 a aggravé la situation.

Lors de première vague du Covid-19, les hôpitaux ont vu dégringoler les stocks de produits liés à la plongée en coma artificiel des patients: curares, hypnotiques, morphiniques, vasopresseurs sont devenus rares. La demande a flambé alors que la production est planifiée des mois à l’avance, sur base d’un savant calcul sur les besoins à venir. Les hôpitaux ne sont jamais tombés à court, la gestion des stocks a porté ses fruits. Mais les tensions ont été fortes.

Ici et là, des médicaments parmi les plus vendus ont aussi vu leur demande exploser: anti-inflammatoires, antidouleurs, antidépresseurs. Certains antibiotiques sont venus à manquer. Les retards dans la production et la livraison de génériques se sont accumulés.

QUELS SONT LES MÉDICAMENTS LES PLUS CONSOMMÉS?

En millions de DDD (Defined Daily Dosis), en 2019, pour les médicaments remboursés en Belgique

Molécule Volume Indication
Acide acétylsalicylique 336 Douleur / fièvre
Atorvastatine 232 Cholestérol
Pantoprazol 225 Problèmes gastriques (ulcères, acidité, ...)
Simvastatine 142 Cholestérol
Rosuvastatine 141 Cholestérol
Périndopril 132 Hypertension
Oméprazole 129 Acidité gatstrique
Lévothyroxine 125 Hypothyroïdie
Metformine 121 Diabète
Bisoprolol 110 Insuffisance cardiaque

Source: Iphstat

Dans la majorité des cas, il existe des solutions de rechange. Mais pas toujours. 26 médicaments sont, à l’heure d’écrire ces lignes, sur la liste rouge de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Ils n'ont pas d’alternative thérapeutique.

ONZE MÉDICAMENTS EN PÉNURIE SANS ALTERNATIVE

Situation au 14 décembre

Médicaments Début de l'indisponibilité
Alpha-Rix Tetra 8 décembre 2020
Beromun 1er décembre 2020
Privigen 18 novembre 2020
Hizentra 18 novembre 2020
Gamunex 1 octobre 2020
Gammanorm 18 novembre 2020
Influvac Tetra 4 décembre 2020
Iqymune 18/11/2020
Octagam 18/11/2020
Pneumovax 24/09/2020
Vaxigrip Tetra 09/11/2020

Onze types de médicaments (26 conditionnements), dont quatre vaccins, sont actuellement placé sur liste rouge à l'AFMPS, pour cause d'indisponibilité critique. Il n'existe pas d'alternative thérapeutique pour ces substances (immunoglobulines) destinées à traiter les déficits immunitaires dans le cas de leucémie, myélome. Une task force a été mise en place au sein de l'Agence pour gérer la situation.

Source: AFMPS

Les conséquences sont parfois lourdes. Marc André, chef du service hématologie du CHU Mont-Godinne, nous parle du Vinorelbine, utilisé en chimiothérapie. La société Fabre va arrêter sa commercialisation par manque de matières premières. “Il n’y a pas de substitution possible. On se prive d’une arme de plus dans la lutte contre le cancer”, regrette le médecin.

Ce spectre des indisponibilités n’est pas apparu avec la crise. Chaque année, des centaines de médicaments sont aux abonnés absents. Et ce chiffre ne fait qu’augmenter. D’après les données de l’AFMPS, la durée moyenne des indisponibilités serait de 3 mois.

89 jours En moyenne, sur les 5 dernières années, la durée d’indisponibilité des médicaments était de 89 jours. Faut-il s’en inquiéter? Pas spécialement, car dans 99% des cas, il existe une alternative thérapeutique.

L’agence temporise: "Il n’y a pas plus d’indisponibilités mais plus de notifications, car il y a un meilleur suivi: avant la loi prise en décembre 2019, les indisponibilités de moins de 14 jours n’étaient pas répertoriées. Maintenant oui. Depuis septembre 2019, le nombre de conditionnements indisponibles varie entre 4 et 6%, un niveau constant dans le temps", dit l’AFMPS.

LE NOMBRE D'INDISPONIBILITÉS À LA HAUSSE

Les données pour 2020 sont incomplètes

Source: AFMPS

Un nouvel outil en ligne a aussi été mis en place pour mieux gérer la situation: Pharmastatut . Accessible à tous, il permet un suivi plus adéquat pour les patients et les médecins de l’évolution des stocks de leurs médicaments.

Les causes de pénurie sont multiples: retard dans la livraison, aléas de production, fluctuations imprévues du marché… Cette année, les ruptures de stock dues aux retards dans la production ont quintuplé. Or, ce poste vaut pour 50% des indisponibilités. De même, les ruptures de stock dues à la pénurie de substance active ont quadruplé. Serait-ce un signe de l’impact du Covid?

LES RETARDS DE LIVRAISON, PREMIÈRE CAUSE DE PÉNURIE

En pourcentage

Source: AFMPS

Difficile de ne pas faire de lien avec l’épidémie qui a ravagé la Chine (passée maître dans la production des principes actifs) avant d’arriver jusque dans nos contrées. Les travailleurs de la chaîne d’approvisionnement n’étaient pas plus immunisés que les autres…

Rencontre avec Nathalie Coutinet, économiste de la santé Stocker les médicaments, le remède à nos problèmes? La solution consistant à faire des stocks ne remet pas en cause l’origine des pénuries. Les firmes refusent généralement de faire des stocks car c’est coûteux et cela représente une perte de profit puisque les marchandises stockées ne seront pas vendues. D’autre part, pour stocker, il faut de la place, ce qui entraîne également un coût. Un système de surstockage n’a pas beaucoup de sens, selon moi.

La Chine et l'Inde fabriquent la majorité des principes actifs

La dépendance à l’Asie pour la production des médicaments n’a cessé de croître depuis vingt ans, et s’est encore renforcée avec l’arrivée des médicaments génériques voici dix ans. Pour baisser le coût des médicaments dans les budgets des États, leur fabrication a été progressivement sous-traitée en Chine et en Inde. La production des produits protégés, récents et plus chers, a par contre été maintenue en Europe

"Aujourd’hui, on découvre brusquement que le paracétamol est fait en Chine", dit Paul Tulkens, professeur émérite en pharmacologie à l'UCL. "Mais à partir du moment où l’on demande aux entreprises du secteur pharma de produire à moindre coût, il est logique qu’elles délocalisent. Les Chinois et les Indiens ont de très bons chimistes, la main-d’œuvre n’est pas chère et en plus, ils ont la volonté de dominer la situation…" Ils y sont manifestement arrivés.

Rencontre avec Nathalie Coutinet, économiste de la santé Comment la Chine et l’Inde ont pris la main sur la production? La Chine et l’Inde sont devenues «la pharmacie du monde». Près de 80% des principes actifs sont produits en Chine et en Inde. Il y a trente ans, ce chiffre était de 20 %. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la production des médicaments, vaccins et matériels médicaux, c’est-à-dire des biens essentiels, a été confiée à des firmes pharmaceutiques de plus en plus financiarisées où les stratégies consistent en une externalisation croissante d’un certain nombre d’étapes de production.

Comment évaluer l’ampleur de cette dépendance? En Belgique, 20 à 25% seulement des médicaments vendus sont produits sur le territoire. Selon l’Agence européenne du médicament, 80% des actifs des médicaments disponibles en Europe sont produits hors de l’Union, contre 20% il y a trente ans. Un chiffre contredit par une étude d’Ecipe (European centre for international political economy). En 2019, la Chine et l’Inde n’auraient fourni que 25,7 % des actifs importés par les pays européens tandis que 51% de ces actifs auraient simplement été vendu par un État membre à un autre, les 22,4% restants venant de pays comme les USA, le Royaume-Uni, etc.

Un autre indicateur confirmerait, lui, la domination asiatique: d’après la fédération des fabricants de génériques Pro Generika, en 2000, la majorité des fabricants prenaient pied sur le territoire européen. Mais la situation s’est renversée au profit de l’Asie. En 20 ans, la délivrance d'autorisations a été multipliée par 3,6 côté européen, et par 13 côté asiatique.

L'ASIE A RATTRAPÉ SON RETARD SUR L'EUROPE

En 20 ans, les autorisations de production ont fait x13 en Asie, contre x4 en Europe.

En nombre de certificats de conformité à la pharmacopée européenne (CEP).

Source: Pro Generika

COMMENT A ÉVOLUÉ LA PRODUCTION DES INGRÉDIENTS ACTIFS ?

2000 2010 2020
Substances actives en Europe 193 386 461
Substances actives en Asie 86 335 447
Fabricants en Europe 132 242 236
Fabricants en Asie 91 380 421

Source: Pro Generika

La population vieillit, la consommation augmente, doit-on se délivrer de la dépendance à l’Asie?

Depuis le début de la crise, la question de la dépendance agite les milieux politiques, belge comme européens. Doit-on s’en délivrer et relocaliser en Europe la production? Devrait-on centraliser les achats et gérer les stocks d’urgence au niveau européen?

Le sujet est d’autant plus brûlant que nos sociétés vieillissent. Chaque année, les Belges consomment 8,1 milliards de doses journalières de médicaments, dont 70% sont remboursés par l’Institut national d'assurance maladie-invalidité (Inami).

70% DES MÉDICAMENTS EMPLOYÉS PAR LES BELGES REMBOURSÉS

En milliards de DDD (Defined Daily Dose)

Source: Pharma.be

"Cette consommation de médicaments augmente fortement avec l’âge", explique Paul Tulkens. "À 70-75 ans, on devient une vraie pharmacie ambulante. C’est un problème réel auquel on va être confronté." Nombre de pathologies qui n’étaient pas traitées par le passé le sont aujourd’hui, comme la maladie de Parkinson par exemple. Ce qui permet à la population de vivre plus longtemps.

LA CONSOMMATION DE MÉDICAMENTS EXPLOSE AVEC L'ÂGE

En DDD (Defined Daily Dose) moyenne par affilié, en 2011

Source: Soldaris

L’approvisionnement en médicaments deviendra donc de plus en plus crucial. Le financement aussi. Mais pour le professeur Tulkens, croire que l’on pourrait rapatrier la production en Europe est illusoire. "Comment le paiera-t-on? Les génériques sont 30% moins chers que le produit de départ. On n’est plus très éloigné du prix de production." Or en Asie, les salaires des ouvriers sont mille fois inférieurs aux nôtres. Il faudrait soit raboter nos salaires, soit augmenter les prix. Les deux options sont impensables.

Et si pour reprendre la main sur la production et sur le stockage, on ramenait les compétences dans le domaine public? Là aussi, pour Tulkens, c’est illusoire. "La recherche universitaire n’a pas les moyens de développer seule un médicament. Cela nécessite un investissement de 5 à 8 ans. Au sein des entreprises pharma, seul un médicament sur cinq parvient au stade de l’enregistrement. Et un tiers d’entre eux deviendront des blockbusters. Le bénéfice est très limité comparé à l’investissement réalisé."

Rencontre avec Nathalie Coutinet, économiste de la santé La relocalisation, une piste crédible? Les Big Pharma demandent évidemment une hausse des prix ou encore des exonérations fiscales pour effectuer une relocalisation. La question est donc: quels sont les leviers de nos États? Que peuvent-ils faire? Le marché est solvabilisé par les systèmes d’assurance santé. À ce titre là, les États ont la capacité, pour les médicaments remboursés, de conditionner le niveau de prix et de remboursement à la production d'un certain pourcentage de ceux-ci en Europe. Mais, pour exiger cela, il faut avoir le courage politique de s’attaquer aux Big Pharma, qui font un lobbying extrêmement intense à Bruxelles. Il faut savoir que les grands groupes pharmaceutiques dépensent plus en lobbying qu’en recherche et développement.

À la clinique universitaire de Mont-Godinne, Marc André évoque une autre solution: "Aux États-Unis, des hôpitaux se sont regroupés pour créer une pharmacie hospitalière et donc produire eux-mêmes leurs médicaments." Une solution extrême adoptée dans un système de soins de santé où les médicaments sont souvent impayables.

Pourquoi alors ne pas agir au niveau des capacités de stockage? "Il est réalisé soit par les hôpitaux, soit par les grossistes répartiteurs, qui prennent tous les risques qui y sont liés", signale Tulkens. Augmenter le stockage des officines? “Alors il faudrait augmenter le budget." Ou répercuter le coût sur le patient.

Prévenir coûte moins cher que guérir

C’est une porte ouverte. Dépister des maladies avant qu’elles ne dégénèrent, "cela permet de sauver et d’améliorer des vies, tout en évitant des coûts plus importants pour la collectivité", rappelle Sandy Tubeuf, professeure d’économie de la santé à l’UCLouvain. Cette porte ouverte, la Belgique a pourtant du mal à l'enfoncer, elle qui consacre à la prévention 2,2% de ses dépenses de santé, contre une moyenne européenne de 3%.

2,2% La Belgique ne consacre que 2,2% de ses dépenses totales de santé à la prévention. C'est moins que la moyenne européenne de 3%.

La prévention, parent pauvre. Une fois de plus, l’architecture belge y est pour quelque chose. "C’est un problème de fond", souligne Philippe Leroy, directeur général du CHU Saint-Pierre. "Le curatif relève de l’étage fédéral, tandis que la prévention est du ressort des entités fédérées. Cela n’aide pas à envisager une approche globale."

Après, l’institutionnel n’est pas tout. "Bien sûr que le morcellement pose problème", relève François Perl, directeur général du service indemnités au sein de l’Inami. "Mais une meilleure articulation des politiques pourrait faire l’affaire."

Voilà pour la tuyauterie, qui ne doit pas faire oublier le mal qui nous occupe. "Cela fait plus de dix ans que l’on ne mène plus de politique de santé publique", assène Élisabeth Degryse, vice-présidente de la Mutualité chrétienne. Elle est rejointe par François Perl. "Nous manquons de culture sanitaire. Oui, notre offre de soins est de bonne qualité, mais elle est axée sur le curatif, où la Belgique est obligée de surperformer afin de combler les lacunes dans le domaine de la prévention."

"Nous manquons de culture sanitaire. Oui, notre offre de soins est de bonne qualité, mais elle est axée sur le curatif, où la Belgique est obligée de surperformer afin de combler les lacunes dans le domaine de la prévention." François Perl, directeur général du service indemnités de l’Inami.

C’est notamment une question d’angle mort. "Il y a une série de facteurs de risque auxquels on attache peu d’importance", poursuit François Perl. "Suicide, consommation d’alcool ou d’anxiolytiques et, de manière générale, tout ce qui a trait au rapport entre environnement et santé, objet d’un clivage politique. Comme la sécurité routière: la Belgique est l’un des pays comptant le plus de blessés et de morts par rapport à sa population. Malgré ce coût sociétal énorme, on hurle dès qu’il est question de réduire la vitesse. Même chose avec la qualité de l’air: il suffit d’en parler pour se faire traiter de bobo décroissant. Voilà pourquoi la Belgique doit surcompenser via la prise en charge médicale – ainsi, on y soigne très bien le cancer. C’est un problème sociétal."

Rencontre avec Nathalie Coutinet, économiste de la santé Les médicaments devraient-ils être des biens publics? On nous répète que le vaccin contre la covid, par exemple, doit être un bien public. Mais ce n’est pas le cas. Les firmes empêchent cet accès. Et ce système est soutenu par nos gouvernants. C’est donc un choix de politique commerciale. Il faut arrêter de croire que les firmes pharmaceutiques obéissent à une logique philanthropique: elles cherchent le profit et n’œuvrent pas pour le bien de l’humanité.

Un problème aggravé par le mode de financement des soins de santé, basé sur les actes. "Qu’un généraliste prenne dix minutes ou une heure pour une consultation, c’est le même tarif", illustre Philippe Leroy. "Or la prévention nécessite du temps. Prenez le diabète. Parmi les facteurs associés à un diabète débutant, on trouve le surpoids. Pour l’observer, il faut voir son patient régulièrement, suivre sa prise de poids." Idem pour la suite. "Garder un œil sur les paramètres, adapter le traitement: les généralistes disposent de peu de temps pour cela. Ce qui fait qu’on passe à côté de plein de trucs. Et dès qu’il y a quelque chose, on envoie chez un spécialiste. Il faut sortir du financement à l’acte."

Sans compter le nombre de généralistes, qui décroît dangereusement. «Actuellement, on forme deux spécialistes pour un généraliste; cette tendance doit être inversée.»

"Qu’un généraliste prenne dix minutes ou une heure pour une consultation, c’est le même tarif. Or la prévention nécessite du temps." Philippe Leroy, directeur général du CHU Saint-Pierre.

L’avenir est au partage et à l’analyse des données

C’est une réputation que les faits viennent régulièrement conforter. En Belgique ne règne pas la culture des données. Souvent, elles manquent. Souvent, on ne leur fait pas dire grand-chose, ou pas assez. Souvent, cela tient du bricolage.

Pour autant, si les défis sont nombreux, la Belgique médicale n’en est plus à l’âge de pierre. À vrai dire, les progrès ont été de taille ces dernières années. L’image de médecins ou hôpitaux numériquement isolés et incapables de communiquer ne colle plus à la réalité. Sans oublier que le coronavirus s’est invité dans la danse, enfonçant l’accélérateur.

Le point de départ, ce sont les dossiers patients informatisés (DPI), stockés sur des "coffres-forts" régionaux gérés par les prestataires de soins. À ce réseau vient se greffer la plateforme eHealth. "Une sorte d’autoroute", définit son administrateur général adjoint, Thibaut Duvillier. "Soit l’infrastructure technique permettant les échanges des données." Une fourmilière. "Il existe plus de 300 sources de données validées par eHealth", souligne Jacques de Toeuf, président honoraire de l’Association belge des syndicats médicaux (Absym).

Pour le patient/citoyen, la porte d’entrée, c’est le portail MaSanté. Pour les prestataires de soins, l’accès aux données est régi par un trio de règles de base: le patient doit avoir donné son consentement; une relation thérapeutique doit exister entre le consultant et le consulté; enfin, une matrice d’accès régit les droits de consultation. Parce que tout le monde ne peut pas tout voir. D’ailleurs, les accès des acteurs de l’ambulatoire font encore l’objet de discussions – pour l’heure, cela coince pour les kinés.

Rencontre avec Nathalie Coutinet, économiste de la santé Les données de santé, prochaine proie des Gafa? Ce n’est pas pour rien que Google et Amazon investissent massivement dans le domaine de la santé. L’accès aux données via les applications ou via les sites de patients représente un réel problème. Ce sont des réserves d’informations extrêmement importantes pour les firmes. Mais cet accès est très mal contrôlé. Lire l'interview

Autrement dit, malgré quelques soucis, tous les acteurs de la santé se parlent. Une mine d’or encore peu exploitée. Que ce soit pour la recherche ou l’aide aux politiques publiques. "Il y a aussi une forte demande d’ouverture des données provenant du monde entrepreneurial."

Voilà pour l’existant, en quelque sorte. Il est amené à évoluer rapidement. Le coronavirus a rendu possible la publication dans les 24 heures du résultat des tests sur MaSanté. "Ne nous arrêtons pas là, et publions de la sorte l’ensemble des résultats d’analyse", lance Thibaut Duvillier. L’épidémie a fait ressortir des placards une série de dossiers qui y prenaient la poussière. Ainsi, la prescription à destination des laboratoires va être digitalisée. Même combat pour les certificats médicaux: s’il est possible de télécharger celui pour le Covid, il devrait en être de même pour la version classique.

Ce n’est pas tout. Les téléconsultations ayant fleuri, se pose la question de leur avenir. Ne pourraient-elles pas se poursuivre, notamment pour le suivi des maladies chroniques? Encore un dossier sorti du congélateur: un groupe de travail s’est formé au sein de l'Inami, pour parler sécurisation, connectivité et remboursement. Un accord de principe a été trouvé pour se pencher sur les applications de monitoring à distance.

"L’intelligence artificielle ne relève pas de la science-fiction. C’est l’avenir. Et elle n’est pas là pour remplacer le médecin, mais constitue un outil d’aide à la décision." Thibaut Duvillier, administrateur général adjoint de la plateforme eHealth

Dans le cadre du plan de relance européen, l’Inami a introduit une demande de financement visant les start-up de la santé. "L’intelligence artificielle ne relève pas de la science-fiction", insiste Thibaut Duvillier. "C’est l’avenir." Des logiciels d’aide au diagnostic sont déjà à l’œuvre en dermatologie et imagerie médicale, et commencent à se développer dans d’autres domaines, comme la cardiologie.

"L’IA n’est pas là pour remplacer le médecin, mais constitue un outil d’aide à la décision. Au-delà du diagnostic, elle peut aider à établir un traitement personnalisé. Ou valser dans la médecine prédictive, en donnant des probabilités d’évolution." En la matière, de l’aveu de Thibaut Duvillier, la Belgique est presque "nulle part".

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