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Quelle stratégie pour équilibrer les comptes?

Au risque de la caricature, deux grandes écoles budgétaires cohabitent, sur lesquelles certains ne résisteront peut-être pas à coller les étiquettes «droite» et «gauche». D’un côté, il y a ceux qui avancent qu’il n’est pas soutenable que les dépenses sociales évoluent plus rapidement que le PIB. Et qu’il convient donc de les mettre au pas. De l’autre, ceux qui assurent que le pic n’a rien d’insurmontable et qu’il s’agit davantage d’un choix de société – finançable – qu’une question budgétaire. Entre les deux sinue une voie médiane.

Par Benoît Mathieu 7 février 2020

Édition: Maxime Delrue & Serge Quoidbach Développement: Benjamin Verboogen

1. Mettre les dépenses au pas

Les arguments ne manquent pas. Il y a le classique des comparaisons internationales, montrant que la Belgique consacre, elle aussi, un «pognon de dingue» à ses dépenses sociales publiques.

Avec une limitation, toutefois: bien souvent, ces comparaisons sont malmenées, voire instrumentalisées; on leur fait dire ce que l’on a envie qu’elles disent, et pas ce qu’elles disent réellement et qui est autrement plus complexe à saisir.

Pommes, poires, pêches

«La Belgique est déjà la championne des dépenses sociales, seule la France fait pire!» On ne compte plus le nombre de fois où l’on a vu circuler ce graphique de l’OCDE comparant, pour 2018, les dépenses publiques des pays en fonction de leur PIB. Effectivement, la Belgique se classe sur la seconde marche du podium, juste derrière la France. Dans ces conditions, difficile de se dire qu’il est acceptable que le vieillissement vienne alourdir la facture sociale; il faut donc économiser. Mais voilà, si l’on considère plutôt le classement établi par Eurostat en termes de dépenses de protection sociale et de santé, la Belgique se classe là 7e, laissant la seconde place à la Finlande.

Qu’en penser? Qu’il faut se méfier des comparaisons internationales. Pas qu’elles ne soient pas pertinentes, mais il faut savoir ce qui se cache derrière. «En somme, on compare des pommes et des poires, tranche Benoît Bayenet, professeur de finances publiques à l’ULB et l’ULiège. Au Danemark, par exemple, la Sécu n’est pas financée par le biais de cotisations sociales, mais par l’impôt. Ce qui invalide certaines études comparant les systèmes de taxation. Les institutions internationales reconstituent les données, à leur façon. Eurostat intègre ainsi le logement social à sa définition de protection sociale.»

Privé, public, même combat

Et puis, la distinction entre dépenses privées et publiques est-elle réellement pertinente? «Il faut prendre en compte les dépenses privées et publiques, insiste Jean Hermesse, secrétaire général de la Mutualité chrétienne. Parce que ce sont des vases communicants.» Que les soins de santé soient financés par des impôts et des cotisations sociales – versant public – ou des primes d’assurance – versant privé –, qu’importe finalement, puisque la facture doit être payée.

Attention également aux comparaisons dans le temps, surtout dans un pays comme la Belgique. Où, entre 2014 et 2018, les allocations familiales ont disparu des comptes de la sécurité sociale – et hop, une chute – mais où une partie des pensions jusque-là absente a fait son apparition – et hop, un bond. Interdisant de facto de comparer différentes années d’un même système, à moins de se munir de solides pincettes.

Il y a aussi, et de manière plus sérieuse, la soutenabilité du système. Comment en effet financer des dépenses sociales évoluant plus rapidement que le rythme de croissance du PIB?, interrogeait récemment l’économiste Philippe Ledent (ING).

Qui préconisait de calquer le pas de celles-ci sur le rythme insufflé par la croissance économique. C’est d’ailleurs la philosophie qui a amené les derniers gouvernements à raboter progressivement la norme de croissance des soins de santé à partir de 2013, afin de la faire passer de 4,5% à 1,5%. Déjà un programme d’économies en soi, puisque d’après le Bureau fédéral du Plan, le budget santé devrait évoluer de 2,5% chaque année afin de coller à l’évolution des besoins.

Entre 1995 et 2018, les dépenses de la sécurité sociale
ont grimpé de moins de 3% du PIB

En pourcentage du PIB - Source: Bureau fédéral du plan

Il y a la facture du vieillissement, enfin, présentée comme une montagne. 3,8% du PIB, cela représente un fifrelin plus de 17,1 milliards d’euros – et encore, cela, c’est en s’appuyant sur le PIB du cru 2018. Une somme, donc. Et encore (bis). Les estimations du Comité d’étude sur le vieillissement ont été réalisées à politique inchangée.

Autrement dit, sans la moindre avancée en matière de soins de santé ou de pensions, souligne Benoît Bayenet, professeur de finances publiques à l’ULB et l’ULiège. «Toute politique positive aura un coût.» Et on ne parle même pas des progrès technologiques.

On restreint, donc.

Mettre les dépenses au pas

Pas sans casse

Cela étant, rien n’est simple. Parce qu’avec la Sécu, ne croyez pas que des économies peuvent être rapides. «Et que la marge d’économies indolores est limitée, ajoute François Perl. Vous pouvez couper dans les dépenses, ce n’est pas pour autant que les besoins diminueront.»

Besoins qui sont déjà sous pression. Ne lancez pas Médecins du monde sur le sujet. «26% des familles belges admettent que les montants des soins de santé sont difficiles à concilier avec leur budget disponible. Par ailleurs, un Belge sur cinq affirme ne pas pouvoir payer des soins dentaires ou de consultation psychologique.»

“Vous pouvez couper dans les dépenses, ce n’est pas pour autant que les besoins diminueront.” François Perl
Directeur général du service «indemnités» de l’Inami

«Oui, la Belgique possède un bon système de soins: l’offre y est de qualité et il y a peu d’attente, embraie Jean Hermesse. Mais la couverture santé n’est pas terrible, avec 22% des frais qui restent à charge du patient. Ce n’est pas pour rien que des gens reportent des soins, tandis que d’autres souscrivent des assurances.»

La Commission européenne elle-même souligne les efforts que la Belgique pourrait fournir afin de réduire les inégalités en termes de santé. En pointant notamment l’écart de cinq ans d’espérance de vie selon que l’on soit au sommet ou en bas de l’échelle de l’instruction. Ou le fossé qui se creuse entre bas et hauts revenus au rayon «besoins de santé non satisfaits» – le plus profond des pays occidentaux de l’Union.

Mettre les dépenses au pas

Le privé, plus cher

Limiter les dépenses, pas les besoins: pour François Perl, des politiques de «cost cutting» ou de privatisation produisent des effets similaires. «Si la couverture se réduit, celui qui souhaite obtenir plus finira par payer plus, en se tournant vers le privé.» Et cette voie du privé lui semble «fictive».

«Au lieu de payer des cotisations sociales, le citoyen se retrouve à payer des primes d’assurance. Avec parfois, comme aux Pays-Bas, un crédit d’impôt pour l’y aider – ce qui revient au même pour les finances publiques. Et ce souci: un système privé coûte plus cher

De fait: les frais d’administration des mutualités représentent 3,3% des sommes brassées, tandis qu’ils peuvent monter jusqu’à 20% auprès d’assureurs privés. «En Belgique, les soins de santé représentent 10,4% du PIB, contre environ 17% aux États-Unis», rappelle Jean Hermesse.

Par ailleurs, le recours au secteur privé ne règle pas le problème du vieillissement. «Cela ne diminue en rien son coût, reprend François Perl. C’est juste un report de charge. Avec cette note ironique: un système privatisé avec des assurances limite bien plus la liberté de choix du patient qu’un système public.»

2. On finance le tout

«Il s’agit d’un choix politique, résume Jean Hermesse. Soit on accepte la dépense, soit pas. Mais la refuser, c’est refuser le vieillissement. Il faut alors oser le dire à la population.» Et puis, en y regardant bien, les montants évoqués sont tout sauf insurmontables – surtout que ce n’est pas comme si on ne les avait pas vus venir de loin.

«Ces 3,8% du PIB, ce n’est pas la fin du monde, d’autant plus qu’il s’agit d’un pic. Je rappelle que vers 1980, les dépenses en soins de santé représentaient quelque 6% du PIB; on en est à présent à 10,4%. À l’époque, on aurait sûrement dit que c’était impossible à financer.

Si l’on accepte cette hausse des dépenses, en la voyant non pas comme un dérapage, mais un engagement impliquant certains efforts, importants pour assurer une qualité de vie, cela va redonner de l’assurance et réduire l’inquiétude. N’oubliez pas qu’en économie, la psychologie est importante. Dédramatisons et tirons les leçons du passé.»

Evolution des dépenses en soins de santé

En pourcentage du PIB - Source: OCDE

Discours similaire chez Solidaris. «Pas finançable, le vieillissement de la population?, tonne Michel Jadot, le président de la mutualité socialiste. Ce n’est rien d’autre qu’un choix de société!» Il est vrai que, quand elle veut, la Belgique peut en dégager, des moyens. Pour le tax shift, par exemple, chiffré à plus de 9 milliards d’euros sur papier. Pour la réforme de l’impôt des sociétés, dont il est déjà acquis qu’elle ne sera pas budgétairement neutre, comme promis. Ou pour des politiques de réduction des cotisations sociales, pesant quelque 13 milliards par an en rythme de croisière.

Après, il faut réussir à les dénicher, ces nouvelles recettes, et que leur rendement soit à la hauteur des estimations. Pas évident dans la luxuriante jungle fiscale belge.

3. La voie du milieu

«Je n’aime pas l’approche belge, tranche d’emblée Alain Jousten, qui consiste à trouver du financement pour boucher les trous. Sans inspecter les dynamiques à l’œuvre dans la structure des dépenses.»

Autrement dit, il faut savoir où l’on va. «Quelles sont les normes de dépenses que l’on veut assumer publiquement?, pose Benoît Bayenet. Il serait bon de se fixer un objectif.»

Assumer le vieillissement, sachant que le pic sera atteint en 2040, n’en constitue-t-il pas un, d’objectif? «Oui, il est question d’un pic, reprend Alain Jousten. Mais ces projections sont basées sur de nombreuses hypothèses, qui doivent se concrétiser. Ne faudrait-il pas disposer de moyens d’action si cela ne devait pas être le cas?»

Telle est la faille pointée par Alain Jousten et Marc Bourgeois, tous deux professeurs à l’ULiège et à la tête du Tax Institute. «La cotisation sociale a peu à peu perdu de son sens, à mesure que s’étiolait le rapport entre cotisations et droits», regrette Marc Bourgeois. Diluée également, la cohérence budgétaire entre recettes et dépenses. On fixe un niveau de dépenses, et puis tout est payé à partir d’un gros pot commun, nommé «gestion globale».

La voie du milieu

Ajustement automatique

Gestion globale qui n’a de globale que le nom. «Elle se limite à une gestion de liquidités», soupire Alain Jousten. Soit le gros pot commun en question.

«Pour qu’il y ait une véritable globalité, avec responsabilisation, il faudrait que les gestionnaires de la Sécu aient la main sur tous les paramètres, de A jusque Z. Notamment sur les taux de cotisation et les transferts en provenance de l’État. Si on veut responsabiliser les acteurs, il faut leur donner des moyens d’agir, de vrais outils.»

À ce sujet, il ne se trouve personne pour trouver la moindre qualité à la loi passée sous le gouvernement Michel et censée responsabiliser, justement, les partenaires sociaux en fonction des bons résultats de la Sécu. Critères incompréhensibles ou inapplicables, leviers qui ne sont pas aux mains des partenaires, mais de l’État qui ne respecte guère ses propres engagements: un fiasco.

À côté de cette véritable responsabilisation, le duo propose la mise en place de mécanismes d’ajustement «automatiques», afin de garantir que l’objectif budgétaire et sociétal déterminé puisse être atteint. Soit le montant des cotisations sociales est fixé, et il faut alors agir sur les prestations – en ajustant par exemple l’âge de la retraite ou le montant de celle-ci, comme c’est le cas en Suède. Soit on fixe les prestations, et il convient alors d’ajuster les cotisations en fonction – à la hausse s’il le faut. Soit un peu des deux. De quoi retisser le lien entre cotisation et prestation.

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