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La Sécu, face à un parcours d’obstacles

Vieillissement de la population: l’expression est sur toutes les lèvres. À raison, vu le défi de financement qu’elle trimballe dans ses valises. Ce n’est pourtant pas le seul mal dont souffre la Sécu. Tentons l’inventaire.

Par Benoît Mathieu 7 février 2020

Édition: Maxime Delrue & Serge Quoidbach Développement: Benjamin Verboogen

1. Le vieillissement dégarnit
les comptes de la Sécu

Si les dépenses étaient sous contrôle en 2018, elles ne le seront plus à moyen terme. En guise de zakouski, on glisse ceci: entre 2020 et 2050, le nombre de personnes affichant plus de 65 ans au compteur passera de 2,2 millions à 3,1 millions, tandis que la cohorte des plus de 85 ans fera plus que doubler, pour dépasser les 716.000 têtes de pipe.

Voilà, le mot tarte à la crème peut être lâché: vieillissement de la population. Difficile d’y échapper. Les données sont connues; le pic est attendu pour 2040. À cette date, le vieillissement coûtera 3,8% de PIB supplémentaires.

Un pic, on vous disait, puisque le Comité d’étude sur le vieillissement (CEV) estime que cette charge supplémentaire sera redescendue à 2,4% de PIB d’ici 2070.

Le coût du vieillissement culminera en 2040

En pourcentage du PIB - Source: Comité d'étude sur le vieillissement
Le vieillissement dégarnit les comptes de la Sécu

Sortie de route

Les pensions ne sont pas les seules à figurer en première ligne. Le grisonnement des Belges pèsera également de tout son poids sur les soins de santé, avec des besoins grandissants en termes de dépendance et de démence sénile notamment, illustre François Perl, directeur général du service «indemnités» au sein de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami). Et les difficultés s’annoncent pour le secteur hospitalier.

«L’hôpital constitue le réceptacle de problèmes de plus en plus nombreux. Oui, on vit plus longtemps, mais pas forcément en bonne santé. Et il existe une série de maladies que l’on soigne, mais ne guérit point. Résultat, la demande globale de soins, ambulatoires ou hospitaliers, ne fait qu’augmenter. Ce qui est bien, mais pose un souci de financement.»

Souci qui est généralisé. «La structure de financement de la Sécu ne tient plus la route face à l’évolution démographique, poursuit François Perl. Sa principale source, le travail, se contracte. Les gens entrent sur le marché du travail de plus en plus tard, pour y mener des carrières de plus en plus atypiques, et ne partent toujours pas plus tard. Ajoutez à cela le phénomène d’ubérisation de l’économie. En 2017, seuls 13% des personnes ayant pris leur pension, quel que soit leur âge, prestaient un temps plein. 13%. Cela veut dire que l’on perd en route 87%: 65% qui n’exerçaient plus aucune activité et 22% qui cumulaient travail et périodes assimilées.»

Le vieillissement dégarnit les comptes de la Sécu

L’âge, pas le seul coupable

Ajoutons qu’en termes de santé publique, l’âge n’est pas le seul coupable. Les avancées technologiques peuvent s’avérer coûteuses pour la Sécu. «Le budget médicaments ne fait que croître. De nouvelles molécules vont arriver; cela va être complexe à gérer dans le cadre d’une enveloppe fermée.»

Soulignons pour la route qu’il ne faut pas attendre 2040 pour que le poids des cheveux blancs ne se fasse sentir. Entre 2019 et 2024, les dépenses de la Sécu devraient croître de 21,3%, projette le Bureau fédéral du Plan, tirées par les pensions et les soins de santé.

Entre 2019 et 2024, les dépenses de la Sécurité sociale devraient croître de 21,3%

Déficit prévu: 2,2 milliards, à moins que la dotation d’équilibre ne fasse défaut, portant ainsi le solde à financer à 5,5 milliards.

2. Une vision trop partielle
et statique

Outre le vieillissement, un mal bien belge frappe la sécurité sociale. Dont on a une vision parfois trop statique, quitte à ignorer les notions de dynamique des flux et de vases communicants. Une coupe dans un régime préférentiel ici aura forcément des répercussions dans un régime résiduel là-bas.

Ou comment, par exemple, durcir les conditions d’accès à la prépension ou renforcer la dégressivité du chômage revient à mettre la pression sur l’invalidité, soit l’incapacité de travail de plus d’un an, dont le coût a dépassé, depuis quelques années, celui du chômage.

«C’est comme de l’eau, illustre François Perl. Si vous placez un barrage à un endroit, elle va s’écouler autre part.»

3. Investissement social,
un vilain mot?

Ce mal-là, lui, ne sévit pas qu’en nos contrées. Vous rappelez-vous d’Emmanuel Macron évoquant «le pognon de dingue» que représentent les aides sociales en France? La sécurité sociale est souvent présentée comme un centre de coûts dans le langage politique actuel.

Une dépense, et de taille, dans laquelle il devrait bien être possible de tailler un peu. D’où le discours des mutualités et des syndicats belges qui ne cessent de marteler que la Sécu constitue un salaire différé. Servant, quelque part, à payer de potentielles prestations futures.

“Je ne vois pas en quoi investir dans le bien-être de la population serait moins valable qu’un investissement productif.” François Perl
Directeur général du service «indemnités» de l’Inami

Une vision que partage François Perl. «C’est une affaire de pédagogie. La Sécu ne constitue pas un centre de coûts, mais un investissement social. Je ne vois pas en quoi investir dans le bien-être de la population serait moins valable qu’un investissement productif.»

Investissement social, un vilain mot?

L’hôpital, cette entreprise

Surtout qu’une partie des coûts en question est transmutée en richesse nationale, ou retombe en tant qu’externalité positive pour l’économie.

«Un hôpital est une entreprise fournissant de l’emploi, fonctionnant avec des fournisseurs et faisant avancer la technologie.»

Début 2014, le Bureau du Plan tentait d’objectiver la chose et de cerner l’impact des soins de santé sur l’économie belge (entre autres). On peut lire, dans l’étude en question, que les branches «soins de santé» et «action sociale» représentaient, en 2011, 12% dans l’emploi total – devançant l’industrie manufacturière –, ainsi qu’en 2012, une part de 7,8% dans le produit intérieur brut (PIB).

«Comme ces branches d’activités achètent des biens et services d’autres branches d’activité, une hausse de la demande finale en soins de santé de 100 euros entraînerait une augmentation de la production totale dans l’économie belge estimée à 145 euros. De même, si l’emploi dans les branches d’activité soins de santé et action sociale venait à augmenter de 100 personnes, 22 autres emplois seraient créés dans le reste de l’économie belge.»

Et c’est le Plan qui l’écrit.

4. Et les indépendants?

Quand la classe politique expose ses projets pour la Sécu, un trio revient invariablement sur le tapis. Faire passer les allocations minimales au-dessus du seuil de pauvreté, et garantir une pension de minimum 1.500 euros.

Réponse systématique de l’opposant dubitatif: très bien, mais comment finance-t-on le tout? La troisième ambition, elle, passe plus facilement: continuer à aligner certaines prestations pour les indépendants au niveau de celles pour les salariés. Sans que se pose avec autant d’acuité la question budgétaire.

Dessin d’un avocat ? Architecte ? Juste un compas et des trucs pour mesurer ?

À tort. «Si l’on continue à aligner les deux régimes, cela va poser un problème de financement, avertit Maxime Fontaine, chercheur et doctorant (ULB) spécialisé dans le financement de la Sécu. À l’heure actuelle, les cotisations sociales totales d’un travailleur indépendant sont, au mieux, près de deux fois moins élevées que celle d’un salarié. Pour des prestations différentes, certes, mais de moins en moins.»

La part de l’impôt est proportionnellement plus importante dans le financement du régime des indépendants que des salariés, confirme François Perl. «Ce qui signifie que la solidarité nationale est plus grande.» De fait. «Avec une prise en charge relative plus importante par le budget de l’État, le système des indépendants est favorisé par rapport à celui des travailleurs contractuels», appuie Alain Jousten, professeur de finances publiques à l’ULiège. Davantage «insoutenable», aussi.

Surtout que les plus gros revenus y sont fortement avantagés. «La structure des cotisations y est régressive et celles-ci sont plafonnées. La différence de traitement avec le régime salarié est difficilement justifiable face à un alignement progressif des prestations-clefs.»

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