Les secrétariats sociaux, ces partenaires (trop) privilégiés de l'Etat?
À l’opposé des mutualités et des syndicats qui perçoivent des frais d’administration pour services rendus à l’Etat, les secrétariats sociaux sont rémunérés par le biais des intérêts générés par la manne d’argent public passant entre leurs mains. Un système pour le moins opaque.
En 2015, l’ensemble des secrétariats sociaux agréés actifs en Belgique ont dégagé pour 60,37 millions d’euros de produits financiers, soit les intérêts générés par leurs placements. Jusque-là, rien de fantastique. Là où cela devient intéressant, c’est lorsqu’on se penche sur l’origine des sommes ayant ainsi "fait des petits". S’agit-il de fonds propres, ou bien des flux massifs d’argent public transitant via les comptes de tiers détenus par ces institutions?
Les deux, mon général.
Quelle part de ce revenu financier est due à des fonds publics, et ce qui est le fruit des fonds propres.
Sans qu’il soit possible de distinguer qui a fait quoi. Autrement dit, quelle part de ce revenu financier est due à des fonds publics, et ce qui est le fruit des fonds propres. Interpellant, quand on sait que ce sont justement les intérêts générés par cet argent public qui constituent la rémunération des secrétariats sociaux, pour la mission d’utilité publique effectuée pour le compte de l’Etat.
Le "scandale belge du siècle" pour ce citoyen, Yves Genard, qui a pris contact avec nous et tente de faire vivre son "BelgiumLeaks" sur internet. "Opaque", a déjà tranché la Cour des comptes, qui suggère que l’on introduise plus de clarté dans ce mode de financement. On a donc tenté de faire le point – logique, quelque part, puisque L’Echo a déjà décortiqué les flux d’argent public transitant via les syndicats et les mutualités.
1/ Qu’est-ce qu’un secrétariat social agréé (SSA)?
Nés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les secrétariats sociaux sont des organismes dont la raison d’être est de faciliter la vie des employeurs dans la gestion de leurs obligations fiscales et sociales, comme le calcul des salaires ou les déclarations sociales – "dimona" et autres joyeusetés.
Moyennant le respect d’une série de conditions, imposant notamment un statut d’ASBL, ils peuvent être adoubés par le SPF Affaires sociales. Ces secrétariats sociaux agréés (SSA) disposent alors du droit de percevoir les cotisations sociales dues par les employeurs et de les reverser eux-mêmes à l’Office national de sécurité sociale (ONSS). Même combat avec le précompte professionnel et le fisc.
Tâche simplifiée pour l’employeur, qui n’encourt plus le risque de pénalités en cas de retard ou d’erreur. Tâche simplifiée pour l’Etat, qui délègue ainsi une grande partie de sa mission de perception.
En 2015, la Belgique comptait 32 secrétariats sociaux agréés (SSA) – ils ne sont à l’heure actuelle plus que 30, suite à des fusions intervenues dans le secteur. Et sont représentés par l’Union des secrétariats sociaux (USS), qui totalise 29 membres. En Belgique, la plupart des employeurs font appel à un SSA (voir infographie), moyennant rémunération évidemment.
2/ Comment les SSA sont-ils rémunérés?
Les employeurs paient le service qui leur est rendu. En 2015, à hauteur de 636,07 millions d’euros, ce qui constitue le chiffre d’affaires du secteur et représente 85,63% de ses rentrées. L’Etat passe également à la caisse, mais de manière indirecte.
Les SSA disposent d’un délai supplémentaire pour verser les cotisations à l’ONSS. Pour l’acompte mensuel, 6 jours ouvrables de plus que les employeurs payant directement l’ONSS.
Les SSA disposent d’un délai supplémentaire pour verser les cotisations à l’ONSS. Pour l’acompte mensuel, 6 jours ouvrables de plus que les employeurs payant directement l’ONSS. Et 14 jours ouvrables pour le solde trimestriel – jusqu’en 2012, ce délai était de 20 jours. Comptez également une dizaine de jours (ouvrables) pour le précompte professionnel, filant ensuite vers le fisc.
Cette rémunération publique est donc "intégrée" aux produits financiers empochés par les SSA. Des produits en chute libre depuis que les taux d’intérêt jouent au rase-mottes. En 2008, ils pesaient encore 132 millions (près de 35% des revenus), contre 60,37 millions (8,13%) en 2015.
3/ Quels sont les flux d’argent public passant par leurs mains?
Plus fort que les mutualités et les syndicats, réunis: en 2015, les SSA ont vu transiter pour 57,5 milliards d’argent public par leurs comptes. 25,76 milliards d’acomptes ONSS, 11,04 milliards de soldes ONSS et 20,7 milliards de précompte professionnel.
4/ Les SSA sont-ils contrôlés? Comment, et par qui?
Evidemment. L’ONSS réalise chaque année une batterie de contrôles, qu’ils soient administratifs, techniques ou financiers. Afin de formaliser et d’homogénéiser le tout, un "baromètre de qualité" a été lancé début 2017, listant toute une série d’indicateurs, avec pour objectif de devenir un instrument servant à mesurer, et maintenir, la qualité du service.
Pas question de placer l’argent n’importe où. Qu’il s’agisse d’argent public, mais aussi des fonds propres. Une série de lignes de conduite ont été établies.
Le processus s’étalant sur 2 ans, la première livrée de ce baromètre est attendue pour la fin 2018. Cela n’a pas été évident, cela dit. Cette naissance a été précédée d’une dizaine d’années de palabres.
Côté finances, on ne rigole pas non plus. Pas question de placer l’argent n’importe où. Qu’il s’agisse d’argent public, mais aussi des fonds propres. Une série de lignes de conduite ont été établies. La diversification doit être de mise. Oubliez les placements à risque; pas question de descendre en deçà du rating "double A".
Quant à l’échéance des placements, elle ne peut excéder trois mois pour les fonds publics – une certaine tolérance s’applique aux fonds propres, pour lesquels l’horizon peut s’étendre à une année ou deux, mais pas beaucoup plus. Tous les trois mois, un rapport financier est rédigé à l’attention de l’ONSS.
5/ Quel est le problème?
"D’une manière générale, la Cour recommande de reconsidérer, sur la base d’une analyse des données récoltées, ce mode particulier de financement des secrétariats sociaux en vue d’en réduire l’opacité", écrit la Cour des comptes dans son cahier 2014 dédié à la sécurité sociale. Même à l’ONSS, on s’avoue incapable de chiffrer la rémunération consentie par l’Etat pour les services rendus par les SSA. Sur les 60,37 millions de produits financiers, combien constituent ce "salaire"? Mystère.
La question n’est pas ici de remettre en question l’utilité du travail fourni. Mutualités, secrétariats sociaux ou syndicats, le modèle belge fonctionne avec des intermédiaires. Seulement, côté syndicats et mutualités, tout est extrêmement codifié et suivi de près.
En 2015, les syndicats ont procédé à des paiements d’allocations pour 8,07 milliards, et ont perçu pour ce faire 208,38 millions de frais d’administration. En 2016, les mutualités ont versé pour 33,2 milliards, recevant 1,09 milliard de frais.
De manière générale, les liquidités des mutualités ne peuvent excéder 2,5% de leurs dépenses annuelles – tout ce qui dépasse est reversé à l’Inami. Des produits de placements? Les mutualités en ont perçu pour 32,4 millions… entre 2002 et 2014, soit sur 13 années.
Et les secrétariats sociaux? En 2015, ils ont perçu 636,07 millions de la part des employeurs. Mais la contribution publique nage dans le brouillard le plus complet.
"Les intérêts issus de la gestion de fonds propres représentent quelque 97% des produits financiers engrangés."
Pourtant, l’USS s’ingénie à faire croire le contraire. A écouter le représentant du secteur – inutile d’aller interroger les membres en direct, SD Worx a refusé de nous répondre et Securex s’est réfugié derrière son union – le calcul est pourtant simple. Prenez 25,76 milliards restant 6 jours, 11,04 milliards pour 14 jours, ainsi qu’une autre tranche de 20,7 milliards dormant en moyenne 13,65 jours. Multipliez le tout par un taux d’intérêt à court terme (0,17%) et amputez du précompte mobilier.
Résultat: un petit 2 millions d’euros. "Les intérêts issus de la gestion de fonds propres représentent quelque 97% des produits financiers engrangés", assure Jos Gijbels, directeur général de l’USS, laissant un petit 3% aux fonds publics.
Sauf que ce raisonnement ne tient pas la route et ne résiste pas à l’analyse. En 2015, les fonds propres du secteur s’élevaient à 568,94 millions, qui auraient généré un bon 58 millions d’intérêts. Ce qui fait tout de même un rendement de 10,19% dans un monde où les taux d’intérêts rasent le plancher – en 2015, l’OLO belge à 10 ans était à 0,86%.
Si vous désirez donner un petit coup de fouet à vos économies, allez trouver le secteur, qui a visiblement trouvé la formule magique.
Soit franchement plus que la performance de l’indice boursier européen Stoxx 600, qui a bondi de 6,79% en 2015, et ce malgré les limitations en termes de placement qui s’appliquent aux SSA. Bref, si vous désirez donner un petit coup de fouet à vos économies, allez trouver le secteur, qui a visiblement trouvé la formule magique.
La vérité est en fait ailleurs. "En théorie, les comptes de tiers des secrétariats sociaux devraient se vider tous les trois mois", indique-t-on de source officielle. Mais ça, c’est en théorie. Parce que, dans la pratique, s’est constituée au fil des ans une sorte de matelas d’environ 3 milliards d’euros qui ne se dégonfle plus – au 31 décembre 2015, le secteur détenait pour 3,31 milliards sur ses comptes de tiers.
Ce n’est pas tout. Les soldes trimestriels à verser à l’ONSS arrivent en trois vagues; la première reste en moyenne 90 jours sur les comptes des SSA, la deuxième, 60 jours et la troisième, 30 jours. En moyenne toujours, voilà donc 2,5 milliards qui génèrent des intérêts durant 60 jours, et ce 4 fois par an, soit 240 jours – si on ramène cela en base annuelle, c’est l’équivalent de 1,67 milliard.
Résumons donc. 568,94 millions de fonds propres, plus 1,67 milliard de soldes ONSS, plus un matelas de 3 milliards, cela donne la coquette somme de 5,24 milliards d’euros. Voilà sans doute ce qui est à la genèse des 60,37 millions d’intérêts perçus en 2015.
Là-dedans, les fonds propres des SSA ne pèsent que 10,86%. Même si ces fonds bénéficient de règles de placement un tantinet moins restrictives, on peut imaginer que la proportion 89%/11% (89% de rémunération publique, 11% d’intérêts propres) est nettement plus proche de la vérité que celle (3%/97%) brandie par le secteur.
Reste cette question: comment justifier le flou entourant les prestations des secrétariats sociaux agréés, alors que mutualités et syndicats sont passés à la loupe? On cherche encore.
Les plus lus
- 1 Gouvernement wallon: la note de Pierre-Yves Jeholet prônant un contrôle plus serré des chômeurs est validée
- 2 Belfius refuse de financer Mons après l'arrivée du PTB au pouvoir
- 3 La Cour pénale internationale émet un mandat d'arrêt contre Benjamin Netanyahou
- 4 Voici les profils (avec salaires) les plus recherchés dans le secteur financier pour 2025
- 5 Le plan de Donald Trump pour expulser en masse les sans-papiers