Séance chahutée au Parlement bruxellois, ce vendredi après-midi. Les députés régionaux ont voté à 45 voix pour, 16 voix contre l'ordonnance qui vise à lutter contre les loyers abusifs.
Le texte a été porté par les socialistes PS et Vooruit, le tandem Ecolo-Groen, le PTB-PVDA et la Team Fouad Ahidar. Les députés MR, N-VA et Vlaams Belang n'ont pas pris part au vote dans l'espoir que le quorum ne soit pas atteint et que le vote ne puisse pas avoir lieu. Zakia Khattabi (Ecolo) avait dû quitter la séance pour des raisons de santé. Elle a finalement regagné les bancs du Parlement pour assurer la tenue du vote.
L'ordonnance fixe une date d'entrée en vigueur, le 1ᵉʳ mai, pour une série d'articles d'un texte déjà voté en 2021, mais pour lesquels le précédent gouvernement n'a pas pris les dispositions pour une implémentation. Plus concrètement, "le bailleur est tenu de ne pas proposer un loyer abusif".
"En cas de manquement à cette obligation, le preneur aura la possibilité de demander un avis de la Commission paritaire locative sur une révision du loyer."
20% des baux bruxellois concernés
Un loyer est présumé comme abusif dans deux cas de figure, précise le texte. Soit s’il dépasse de 20% son loyer de référence, lui-même déterminé par la grille des loyers. Mais cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que la différence entre le loyer pratiqué et le loyer de référence est justifiée par des éléments de confort substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement. Soit s’il n’excède pas de 20% ce loyer de référence, mais qu’il accuse des défauts de qualité substantiels intrinsèques au logement ou à son environnement.
Environ 20% des baux bruxellois pourraient tomber dans ce périmètre de "loyers abusifs", d'après des chercheurs de l'ULB impliqués dans la confection de l'outil.
"En cas de manquement à cette obligation, le preneur (locataire, NDLR) aura la possibilité de demander un avis de la Commission paritaire locative (CPL) sur une révision du loyer ou de saisir immédiatement le juge de paix. Si les parties ne parviennent pas à un accord après la conciliation organisée par la CPL, le preneur peut encore demander une révision au juge de paix", explique Gilles Tijtgat, consultant juridique spécialisé dans l’immobilier.
Et un juge pourra donc accorder une augmentation de loyer si le bailleur peut justifier un niveau de prix supérieur à la grille des loyers en raison d'éléments de confort ou d'environnement.
"La gauche du Parlement est sur le point de faire une énorme connerie (...) par idéologie et par opportunisme"
Une grille indicative qui ne l'est plus
Jusqu’ici, la grille des loyers n’avait qu’un titre indicatif. Seul le loyer de référence devait être indiqué dans le contrat de bail depuis le 2 décembre 2021. "Loyer fixé par une grille indicative dont les critères sont, de l’aveu même des autorités, incomplets", poursuit Gilles Tijtgat. D’où l’obligation, pour les bailleurs bruxellois toujours, d’enregistrer leurs baux sur une plateforme régionale depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, afin d’améliorer la pertinence de cette grille.
"La gauche du Parlement est sur le point de faire une énorme connerie pour un fanion à gauche toute, coûte que coûte, par idéologie et par opportunisme, vu les affaires courantes", a taclé la cheffe de groupe MR, Clémentine Barzin. "Notre exigence, c'est une grille des loyers représentative", a-t-elle résumé, en avançant que, d'après certaines sources, la régulation pourrait toucher plus de la moitié des baux bruxellois.
"C'est vrai, la grille date de 2020, mais elle a été mise à jour", a, lui, exposé le socialiste Martin Casier, coauteur de l'ordonnance. "La grille des loyers représente l'évolution du marché depuis 2018, sans le moindre doute. (…) L'ordonnance n'est pas un encadrement strict des loyers, c'est un encadrement fin des loyers. Le texte permet une analyse au cas par cas. L'objectif de cette ordonnance est que chaque Bruxellois paye un loyer juste pour le bien dans lequel il vit", a-t-il encore défendu.
"L'absence de régulation efficace perpétue les inégalités et la précarité."
Risque de réduction de l'offre
Le débat fait aussi rage en dehors de l'assemblée régionale. Les différents acteurs du secteur poussaient cette semaine leurs points de vue respectifs par communiqués de presse interposés.
Le syndicat des propriétaires, les fédérations de la construction et des promoteurs immobiliers, l'Union des entreprises bruxelloises (Beci) et d'autres ont mis en garde contre des mesures qui auront "l'effet inverse de l'effet souhaité". "Renforcer l’application d’une grille des loyers obsolète ne mènera pas à des loyers moins abusifs. Au contraire, cela réduira encore l'offre de logements locatifs, pour finalement renforcer la pression sur le marché du logement."
Le syndicat des locataires a, lui, rappelé son soutien au texte, parlant d'une "situation intenable". "De nombreux Bruxellois sont confrontés à des loyers exorbitants, qui pèsent lourdement sur leur budget. L'absence de régulation efficace perpétue les inégalités et la précarité."
Le Parlement tourne malgré l'absence de gouvernement
Près de dix mois après les élections régionales de juin dernier, et alors que la formation d'un gouvernement bruxellois est toujours dans les limbes, la Région bruxelloise franchit donc une étape supplémentaire dans l’encadrement des loyers, après avoir déjà interdit aux bailleurs mettant en location un logement avec un bail de courte durée d’augmenter le loyer entre deux locataires.
Au-delà de la thématique du logement, le Parlement avait également pris une mesure forte en décidant du report, en septembre dernier, de l'entrée en vigueur d'une nouvelle phase de la zone de basses émissions.