Bruxelles: habitez-vous au sein d'un îlot de chaleur?

Bruxelles, comme la plupart des grandes villes, est soumise au phénomène des îlots de chaleur urbains. Un phénomène qui influence et influencera la manière de vivre et de penser la ville. Et vous, vivez-vous dans un îlot de chaleur urbain?

Par Nicolas Baudoux et Benjamin Verboogen Publié le 5 septembre 2023

Il suffit parfois de s'approcher d'un centre-ville, d'une zone densément peuplée ou industrialisée pour se rendre compte que la température a pu augmenter de quelques degrés. C'est ce que nous appelons les îlots de chaleur urbains (ICU), un micro-climat artificiel provoqué par les activités humaines (moteur, climatisation…) et des caractéristiques urbanistiques propres aux grandes villes (bétonisation, sol imperméable, manque de verdure…).

Bruxelles n'est pas en reste et subit aussi de plein fouet ce phénomène, qui réchauffe les rues et les habitations davantage qu'à quelques kilomètres de là, en périphérie.

Vivez-vous, travaillez-vous ou fréquentez-vous des quartiers plutôt chauds ou plutôt frais de la capitale? Recherchez une rue bruxelloise ci-dessous pour le découvrir. Une rue peut se retrouver dans plusieurs quartiers, choisissez la portion qui vous intéresse.


Plus un quartier est foncé, plus le phénomène d'îlot de chaleur se fait ressentir.

Pourquoi Bruxelles est-elle concernée par les îlots de chaleur?

Une étude montre que les températures de l'air “sont plus élevées de 3°C en moyenne au centre de la Région de Bruxelles-Capitale qu'à ses alentours ruraux en été”. Ce phénomène s'explique notamment par un centre urbain très minéral, peu végétalisé, avec des sols imperméables qui ne retiennent pas l'eau, mais aussi par une présence importante de véhicules à moteur thermique et de bâtiments climatisés - qui rejettent donc de l'air chaud vers l'extérieur.

C'est principalement le cas du centre-ville et de la première couronne (communes situées entre la petite ceinture et la grande ceinture), qui subissent des coups de chaud, alors que, sans surprise, les grands parcs, comme le Cinquantenaire et la Forêt de Soignes, sont des zones plus tempérées, plus respirables, tout comme les quartiers du sud de Bruxelles, qui sont moins denses et plus végétalisés.

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Moins de 10 kilomètres seulement séparent les Étangs Noirs de la Forêt de Soignes. Pourtant, le degré de confort passe d'un extrême à l'autre.

La nuit est le moment où l'effet de chaleur se fera le plus sentir, lorsque les matériaux comme l'asphalte ou le béton, très présents en ville, laisseront s'échapper l'énergie des rayonnements solaires accumulée durant la journée. Des bulles de chaleur se créent, avec des différences de températures de plusieurs degrés entre le centre et les zones rurales alentours.

Tout le monde ne subit pas l'îlot de chaleur de la même manière

Pour ce point, il y a deux aspects. Un enjeu sanitaire d'abord. En plus d'être écrasant, l'évènement est donc aussi dangereux pour la santé. Des problèmes respiratoires, voire de mortalité, peuvent toucher les personnes âgées, celles atteintes d'allergies ou encore les bébés et les enfants en bas âge. Sans compter les divers inconforts, troubles de sommeil, maux de tête, etc.

Deuxièmement, la population bruxelloise est inégale face à l'intensité de l'îlot de chaleur. En effet, les Bruxellois des quartiers les plus frais gagnent 31% de plus que ceux des quartiers plus chauds. Les habitants du Vivier d'Oie, à Uccle, ont un revenu médian de 25.768 euros, alors même que le quartier est l'un des plus frais de la capitale. Les Marolles, en plein centre et donc en première ligne face aux îlots de chaleur, est, lui, considéré comme un des plus pauvres, avec 15.664 euros de revenu médian.

Les personnes aisées sont donc mieux protégées face aux vagues de chaleur, grâce à des quartiers moins denses, plus verts, ou encore à des moyens financiers plus importants, qui permettent de mieux isoler les habitations afin de contrecarrer davantage les effets néfastes d'une canicule.

Comment lutter contre les îlots de chaleur?

“La chaleur est un enjeu récent, qui date d'il y a une dizaine d'années. C'est devenu une urgence d'aménager la ville”, constate Pascale van der Plancke, chargée de la coordination de la stratégie régionale d'adaptation à Bruxelles Environnement. Cartographier les îlots est une première étape pour identifier les zones à privilégier et les quartiers qui en ont le plus besoin.

La plantation d'arbres est l'une des solutions, pour l'ombre apportée et l'effet rafraîchissant de l'eau rejetée dans l'air par les feuilles. Un sacré défi néanmoins à Bruxelles. Une cartographie des sous-sols quasi inexistante empêche de connaître les meilleures zones, car le gaz, l'électricité, l'eau, ou encore les transports en commun saturent le sous-sol bruxellois, empêchant les racines de bien se développer. Le Plan Canopée, qui a pour but de “planter des arbres partout où cela est possible”, a lancé la cartographie de deux secteurs en 2020 pour identifier les endroits propices.

Les solutions semblent parfois interdépendantes. Rien ne sert de planter des arbres si la mesure n'est pas accompagnée d'une bonne gestion de rétention de l'eau pluviale. “L'eau ne doit pas aller dans les égouts, il faut qu'elle puisse s'infiltrer dans la parcelle pour créer un phénomène d'évapotranspiration qui va permettre aux plantations de rejeter la vapeur d'eau dans l'atmosphère et de la rafraîchir”, continue Pascale van der Plancke, qui embraie sur le PACE, le Plan air climat énergie adopté par le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale en avril. Un plan pour “améliorer la résilience du territoire en visant une meilleure perméabilité des sols, la gestion intégrée des eaux pluviales, l'augmentation de la végétalisation, etc.”.

Il faut éclaircir davantage la couverture de l'espace public et ventiler les villes pour permettre aux vents dominants de les rafraîchir.

Pierre Vanderstraeten
professeur émérite d'architecture et d'urbanisme à l'UCLouvain.

Deux autres solutions concrètes sont avancées par Pierre Vanderstraeten, professeur émérite d'architecture et d'urbanisme à l'UCLouvain. “Il faut éclaircir davantage la couverture de l'espace public. Les matériaux en ville sont trop sombres et retiennent la chaleur”. On peut penser à de la peinture blanche anti-chaleur, ou la pose d'un film réfléchissant sur les toits permettant de réduire la température des bâtiments, comme à Freetown, en Sierra Leone.

Enfin, Pierre Vanderstraeten insiste sur la nécessité de ventiler les villes. “Il faut aménager des couloirs de vent et proposer un maillage pour avoir des vents dominants qui amènent une ventilation naturelle la plus étendue possible”, explique-t-il. La ville de Stuttgart, en Allemagne, s'est adaptée de la sorte pour permettre au vent de venir rafraîchir la ville. “Il ne faut surtout pas bloquer son passage avec des constructions”, précise encore Pierre Vanderstraeten.

Remettre les rivières en plein air, repenser l'espace public pour le végétaliser, éclaircir les surfaces… Les solutions existent et les pouvoirs publics semblent avoir conscience de la nécessité de contrer ces îlots de chaleur, comme le montrent les travaux qui débuteront cet hiver pour déminéraliser et végétaliser la place Flagey à Ixelles, pourtant totalement rénovée il y a une quinzaine d'années.

Méthodologie Nous avons travaillé à partir de la carte des îlots de fraîcheur de Bruxelles Environnement, qui prend “en compte, non seulement, la température de l'air, mais également, l'exposition aux rayonnements solaires, le vent et l'humidité de l'air qui jouent un rôle sur le stress ressenti dû à la chaleur. Ces cartes sont plus adéquates et plus détaillées que celles intégrant la température uniquement.” (source).

Nous avons utilisé le logiciel libre de cartographie QGIS pour extraire les données et attribuer à chaque secteur statistique et à chaque quartier bruxellois une couleur RVB (du rouge au bleu selon l'intensité).

Les intensités en % ont été définies grâce à un script Python, qui a aussi été utilisé pour le classement des zones, des plus chaudes aux plus fraîches, pour faciliter l'analyse.

Excel a ensuite permis de rassembler les données: coupler la géolocalisation des secteurs statistiques (geojson) avec les noms des rues/quartiers/communes et l'intensité de chaleur correspondante, afin que le lecteur puisse effectuer facilement des recherches dans les données et se situer sur une carte de la Région bruxelloise. La carte a été dessinée grâce à Leaflet, une bibliothèque JavaScript libre de cartographie.

Pour simplifier le récit, le mot “quartier” a été utilisé au lieu de celui de “secteur statistique”.