Philippe Leroy, CEO des Cliniques Saint-Luc: "Les hôpitaux reposent de manière majeure sur le mécénat pour financer la recherche"
Philippe Leroy ne manque pas de travail. Le premier chantier du nouveau patron des Cliniques universitaires Saint-Luc sera la rénovation en profondeur de l'hôpital, qui doit démarrer cette année.
2025 débute sur les chapeaux de roues pour Philippe Leroy. Le nouveau CEO des Cliniques universitaires Saint-Luc, à Woluwe-Saint-Lambert, a reçu dans les tout premiers jours de janvier le permis d'urbanisme pour la rénovation en profondeur du mastodonte hospitalier bruxellois, qui va sur ses 50 ans. Un chantier à plus de 800 millions d'euros qui va s'étaler sur près de dix ans.
Ce n'est pas le seul défi auquel est confronté le nouveau patron de Saint-Luc et le monde de la santé de manière générale. Financement, recherche ou préparation aux crises font aussi partie des enjeux de la gestion d'un hôpital en 2025.
"Le nouvel hôpital, ce n'est pas un projet d'infrastructure, mais un projet médical où on peut repartir d'une page blanche."
Les Cliniques Saint-Luc vont être rénovées de fond en comble. Pourquoi ce projet?
Nos infrastructures sont au bout de leur vie pour une activité hospitalière, puisque l'hôpital actuel a été construit en 1976. Il était temps de penser à l'avenir. Il y a une réponse qui porte sur l'infrastructure, avec des matériaux plus adaptés, de nouvelles technologies, un bâtiment plus éco-responsable et moins énergivore. Mais il y a aussi toute la question de pourquoi on fait ce projet. Les soins de santé changent, tant au niveau technique et technologique qu'au niveau des durées de séjour ou du mix entre soins ambulatoires et soins plus classiques. On est beaucoup plus sur une approche multidisciplinaire qu'il y a trente ans.
Le nouvel hôpital, ce n'est pas un projet d'infrastructure, mais un projet médical où on peut repartir d'une page blanche, où on se demande comment organiser les flux, les surfaces, les locaux, pour coller aux besoins du patient de XXIe siècle, tout en anticipant pour l'horizon 2030, 2040. C'est la partie intellectuellement hyper intéressante.Vu comme la médecine a beaucoup évolué sur les 50 dernières années, on a pensé un projet qui restera très modulable pour s'adapter aux évolutions à venir qui devraient aller encore plus vite.
Concrètement, comment va se passer le chantier?
Le centre de psychiatrie est déjà en service. Le centre pour l'oncologie sera mis en service au moins de juin. Fin 2025, nous commencerons à proprement parler la partie concrète de la construction de la nouvelle tour d'hospitalisation, qui est la dernière partie de l'hôpital qui reste à reconstruire. Cette tour va pousser entre 2025 et fin 2030. Quand tout ça sera prêt, il y aura un déménagement des gens qui travaillaient dans la tour actuelle vers la nouvelle tour. L'ancienne tour, qui appartient à l'UCLouvain, accueillera probablement des espaces de bureau, des laboratoires... Il n'y a pas encore de projet fixe pour cela.
Entre ces deux tours, il y a un socle avec trois niveaux de sous-sol, où sont nos plateaux médico-techniques et des espaces de consultation. Une fois qu'on aura fini la tour, on se concentrera sur la rénovation de ce socle.
Côté budget, qu'est-ce que cela donne?
Pour l'ensemble, avec les deux ailes déjà réalisées, c'est un investissement d'environ 885 millions d'euros. On va faire quelque chose de beau, de fonctionnel et de bien pensé pour les patients, mais on n'est pas là pour faire quelque chose de somptuaire. L'argent vient des pouvoirs publics à hauteur de près de 342 millions d'euros étalés dans le temps. Pour le reste, il y aura un apport en fonds propres et du prêt bancaire qu'on remboursera pendant 25 ans sur les rentrées financières ordinaires.
"Je voudrais un financement qui fonctionne plus par objectifs et qui nous donne de la latitude localement sur la façon dont on les atteint."
Le financement des soins hospitaliers est régulièrement remis en cause. Que faut-il réformer?
Le premier point, c'est le micromanagement de nos autorités de tutelle, qui sont dans un micro-contrôle contre-productif. En schématisant, on reçoit mille enveloppes pour mille choses différentes, sur lesquelles on doit tout justifier. On ne peut pas mélanger les enveloppes, alors que parfois, on a un peu trop dans une enveloppe et pas assez dans l'autre. J'aimerais bien, dans l'intérêt des patients, pouvoir déplacer un peu ces fonds, avoir plus d'autonomie pour prendre des initiatives, le tout en faisant du reporting et en me soumettant au contrôle. Je voudrais un financement qui fonctionne plus par objectifs et qui nous donne de la latitude localement sur la façon dont on les atteint.
Il y a un enjeu aussi sur la recherche puisque c'est l'avenir des soins. Un pays qui n'investit pas dans la recherche, c'est un pays qui se condamne à mort pour l'avenir. Les hôpitaux académiques reposent de manière majeure sur le mécénat privé pour financer la recherche. La recherche à Saint-Luc est financée à 50% par le mécénat, qui passe par la fondation Saint-Luc, que ce soit depuis des particuliers ou des entreprises. Cela représente 15 millions d'euros par an.
Quid des critiques récurrentes sur le financement à l'acte, qui peut provoquer une inflation des prestations?
La base d'un financement à l'activité peut rester intéressante. C'est un système qu'on connait bien et qui fonctionne assez bien, mais il faut l'adapter. L'exemple de l'agrément des résonances magnétiques (IRM) est celui qui concentre toutes les absurdités du système actuel. Les pouvoirs publics se disent que s'ils autorisent plus d'IRM, ils auront plus de prestations IRM et que ça va coûter plus cher. Ils sont donc dans une réflexion bête et méchante de dire que pour limiter le coût de la santé, il faut limiter le nombre de machines. C'est simple, mais c'est stupide.
Si on avait un grand forfait radiologie qu'on pourrait gérer comme on voulait, je sais que moi, je fermerais un scanner et j'ouvrirais une IRM. Sortons de la logique de la planification centrale. C'est un giga usine à gaz au niveau du Fédéral, où ils font des analyses déjà périmées quand elles sortent. Je ne demande pas plus d'argent, je demande plus d'autonomie sur l'appareillage lourd que l'on doit acheter et sur les médecins que l'on doit former pour demain.
Faut-il maintenir les quotas de numéros Inami qui limitent le nombre de médecins?
Je suis contre ce quota défini centralement. Les deux déterminants importants sont les besoins du terrain et la capacité des universités à former aux plus hauts standards de qualité. On a besoin de plus de médecins et les universités sont en mesure de former plus de médecins en maintenant une qualité top de la formation.
Aujourd'hui, en réalité, on est dans un système qui fonctionne déjà avec des vitesses différentes. Si vous avez les moyens de payer des suppléments d'honoraires, vous avez accès plus vite à un spécialiste à condition de payer des suppléments d'honoraires. Il y a un différentiel social d'accès aux soins. Si vous connaissez des médecins, si vous avez des amis médecins, vous pouvez faire jouer vos contacts pour vous faire intercaler. Si vous venez d'un milieu social où vous ne connaissez pas de médecin, vous avez un accès réduit aux soins. C'est tabou, mais c'est malheureusement comme ça que ça fonctionne. C'est comme toujours les populations les moins socioéconomiquement favorisées qui paient les conséquences.
"Quand vous avez une crise qui évolue de manière exponentielle, vous êtes obligés de faire confiance aux gens sur le terrain."
D'autres pistes de réforme?
C'est aussi un tabou, mais il faut pouvoir mesurer la qualité de la médecine et des soins et comparer les hôpitaux de manière transparente. Travailler sur la qualité et sur l'efficience économique des soins doit permettre d'arriver à des soins plus qualitatifs qui, au final, vont coûter moins cher puisqu'il y aura par exemple moins de complications. Mais réaliser des comparaisons entre hôpitaux n'est pas facile à faire.
On doit aussi aller plus loin dans l'organisation en réseaux des hôpitaux. C'était une bonne impulsion des pouvoirs publics, qui nous a secoués, mais c'était légitime et c'était une bonne secousse. Il faut aller plus loin, par exemple déplacer certains financements des hôpitaux vers les réseaux et laisser la liberté d'organiser les différents types de soin dans le réseau. À ce stade, on a jeté les bases, maintenant, il faut mettre en commun certaines ressources financières pour que les réseaux puissent vraiment fonctionner.
Nous sommes cinq ans après l'explosion de la pandémie de coronavirus qui a fait plus de 34.000 morts en Belgique. Est-on mieux préparés aujourd'hui?
En termes d'organisation en interne, on a tiré énormément d'enseignements. Si demain, il devait y avoir une pandémie de type covid, on est beaucoup mieux préparés pour y faire face. On sait comment séparer les flux de patients, réorganiser les urgences, augmenter la capacité des soins intensifs... On a toute la recette qui est capturée dans un plan pandémie tip top.
Là où le bât blesse toujours, c'est l'état d'esprit des autorités. Il y a trop de micro-management en temps normal. En temps de crise, c'est la catastrophe. C'est une forme de bureaucratie qui a bloqué les initiatives locales pendant le covid. C'est très dangereux, parce que quand vous avez une crise qui évolue de manière exponentielle, vous êtes obligés de faire confiance aux gens sur le terrain et de les soutenir.
On ne peut pas vouloir réagir en temps de crise comme si on était en temps normal, c'est un état d'esprit qui est extrêmement dangereux. La vague est arrivée jusqu'à un niveau qui était supportable pour les hôpitaux, mais c'était un peu par hasard. Si la vague était montée 50% plus haut, on aurait eu un problème notamment de disponibilité des respirateurs pour les patients les plus critiques, alors que des médecins et des ingénieurs avaient conçu des prototypes de respirateurs d'appoint qui ont été rejetés par les autorités parce qu'ils ne pouvaient pas être homologués. Or, c'était mille fois mieux que rien.
- "Fin 2025, nous commencerons la construction de la nouvelle tour d'hospitalisation, qui est la dernière partie de l'hôpital qui reste à reconstruire."
- "Avec les deux ailes déjà réalisées, c'est un investissement d'environ 885 millions d'euros. L'argent vient des pouvoirs publics à hauteur de près de 342 millions d'euros."
- "Il y a trop de micro-management des autorités en temps normal. En temps de crise, c'est la catastrophe."
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