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Sophie Wilmès: "On n'improvise pas l'organisation de la société sur un coin de table"

Sophie Wilmès et le CNS sont sous le feu des critiques. ©jonas lampens

Les décisions du Conseil national de sécurité ont été fortement critiquées cette semaine. Fin difficile pour Sophie Wilmès qui défend ses positions dans cette gestion de crise Covid. Elle attend un baromètre pour baliser les mesures sanitaires en fonction de l'évolution de la maladie. Et lance un appel aux experts.

Sophie Wilmès entre dans la longue salle de réunion du 16 rue de la Loi. Et met d'emblée les choses au clair, ce sera distance sociale maximale pour tous les protagonistes de cette interview qui sera sans doute parmi les toutes dernières de son mandat de Première ministre.

À la fin de l'entretien, elle se refusera à tout commentaire sur les négociations en cours et sur la position de son président Georges-Louis Bouchez. La libérale francophone souffre cette semaine. Les critiques fusent quant à la gestion de la crise et l'incompréhension qui naît de la communication, mercredi, du Conseil national de sécurité (CNS), alimenté par le groupe d'experts Celeval.

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"Le rapport du Celeval n'offre pas de vision."

On attendait un signal de ce CNS. Mais on a surtout vu et entendu beaucoup de critiques...

Il y a toujours la volonté d'inscrire la gestion de la situation de la manière la plus fluide possible. Que les gens sachent que dans telle ou telle situation, il se passera ceci ou cela et surtout qu'il y ait une convergence de points de vue sur l'analyse de la situation. Avoir des données n'est pas suffisant, car l'analyse même de ces données fait l'objet de divergences. Sans accord sur le constat, c'est très difficile d'avoir un accord sur les mesures à prendre. Nous avions donc demandé un baromètre et des mesures liées à ce baromètre. Il ne faut pas nier les choses, on a reçu un rapport du Celeval qui nous dit que nous sommes en zone jaune et nous fait une proposition mais qui n'offre pas de vision. Quand passe-t-on d'une zone à l'autre? La proposition est là, mais on s'est rendu compte que certaines choses ne fonctionnaient pas. Dans la proposition actuelle, il y a deux éléments qui bougent en fonction du code couleur: les contacts rapprochés et la présence au m² pour les professionnels. C'est encore loin de l'organisation de la société telle qu'on doit pouvoir la percevoir dans la population.

Vous n'aviez pas anticipé ces manquements du Celeval par rapport au timing de la communication du Conseil national de sécurité?

On a reçu un premier draft lundi. Si les choses ne sont pas suffisamment étayées, complétées et font l'objet de discussions, c'est très difficile mercredi d'en faire une construction pour toute la société. Il ne faut pas pour autant jeter la pierre, les membres du Celeval ont travaillé, ils ont fait le maximum. Il y avait une proposition pour le code jaune. On s'est demandé si cela convenait, si c'était assez. On a gardé les principes sous-jacents du code couleur et nous avons dû compléter l'information. On a gardé la limitation de 10 personnes pour les réunions privées. Au départ, cette règle était au m², ce qui est très difficile à gérer. On est donc partis du rapport pour essayer de redessiner les contacts sociaux. La règle de base reste la même: gardez vos distances, et si vous ne savez pas le faire, portez un masque. Ce qui permet de voir autant de gens que vous voulez. En Belgique, on a conscience que c'est une règle qui ne peut être absolue. Car, en dehors de leur foyer, les gens ont des contacts rapprochés avec d'autres personnes. On ne le souhaite pas, parce que cela favorise la circulation du virus, mais on en tient compte. Dans d'autres pays, vous n'avez pas cette notion de contact rapproché. On dit juste: gardez vos distances. Les psychologues avaient indiqué que si nous souhaitions de l'adhésion et de la compréhension , on ne pouvait pas se contenter de dire aux gens de limiter leurs contacts rapprochés. Il faut donner un référent, un chiffre. Ce que nous avons fait. On a obligé les gens à porter des masques en toutes circonstances, dehors. Avec un effet de rejet: quand on va promener son chien à 23 h, on ne croise personne, est-ce donc bien utile? Les discussions prises par les bourgmestres doivent s'inscrire dans une volonté d'adhésion.

"Être strict n'est pas une mauvaise décision épidémiologique. Cela le devient si personne ne suit la règle."

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La Région bruxelloise a pris cette décision pour tout son territoire, c'était une erreur?

Plusieurs villes l'ont décidé. Je ne vais pas me permettre de juger les raisons qui ont sous-tendu ces décisions. Je constate juste que cela a fait l'objet d'énormément de rejet. Quand on prend des décisions pour les meilleures raisons qui soient, mais qu'en définitive, on crée du rejet, il faut se remettre en question. Être strict n'est pas une mauvaise décision épidémiologique. Cela le devient si personne ne suit la règle. Il vaut mieux une règle un peu plus souple suivie par une grande partie de la population qu'une règle trop stricte qui fait décrocher les gens. On a parlé d'assouplissement. Si les gens l'ont vu comme une respiration, tant mieux, mais cela ne correspond pas à la réalité. La Belgique est un pays extrêmement strict. À raison. Le raisonnement au niveau national doit s'inscrire dans du long terme en gardant la possibilité de serrer les mesures dans les endroits où un problème se pose. Cela prend du temps. J'espère avoir vite ce baromètre validé par tous. Nous continuons à demander au Celeval de compléter son tableau pour la gestion de l'épidémie.

"On n'improvise pas l'organisation de la société sur un coin de table."

Les contaminations augmentent, jusqu'à nous faire entrer dans la zone orange, selon le rapport du Celeval. Mais le renforcement des mesures ne vient pas.

Je comprends ce sentiment. Mais le rapport dit que nous sommes en phase jaune. Il dit aussi que quand il y a des problèmes dans des endroits spécifiques, on doit s'en occuper directement. La situation évolue très rapidement. Au fur et à mesure de l'évolution de la pandémie, on devra prendre des règles plus strictes. Si nous passons dans une autre phase, nous travaillerons sur la base d'un rapport et du CNS, mais, mercredi, nous avons travaillé sur la situation telle que nous l'avons reçue. Nous souhaitons un baromètre, il y a des corrections à faire, j'espère que ce sera fait pour le début de la semaine prochaine. Mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de baromètre que nous n'analysons pas précisément la situation. Si la situation change, on prendra les décisions qui s'imposent. Il faut laisser le temps aux experts de se mettre d'accord. C'est complexe et cela prend du temps, on ne peut pas leur en vouloir. On n'improvise pas l'organisation de la société sur un coin de table.

L'Allemagne a développé un baromètre dès le mois de juin, n'avons-nous pas perdu des mois?

Quand des difficultés sont apparues à Anvers, des décisions ont été prises à Anvers. À l'époque, on avait dit que l'évolution de l'infection pouvait être différente d'un endroit à l'autre. On ne réagit pas de la même manière si l'infection augmente parce qu'il y a un cluster dans tel type de communauté, dans une zone de travail ou dans une école ou si elle est généralisée. Au fur et à mesure, les bourgmestres avec les gouverneurs doivent prendre ensemble ces décisions. Le CNS n'est là que pour des décisions au niveau national. On s'est rendu compte qu'il y avait parfois un manque de réactivité au niveau local, et on avait mis en place une boîte à outils disponible pour les bourgmestres et les grandes villes. Si ce n'est pas suffisant, nous avons demandé au Celeval de faire quelque chose de plus harmonisé. On ne peut pas dire qu'on a perdu du temps. Les lignes opérationnelles sont prêtes. Ce qui manque, c'est une perspective: "À quoi est-ce qu'on doit s'attendre s'il se passe ceci ou cela?" C'est le travail qu'on a demandé au Celeval.

"Les lignes opérationnelles sont prêtes. Ce qui manque, c'est une perspective."

Avec le recul, y a-t-il des choses que vous auriez faites différemment? La trêve estivale n'était-elle pas l'occasion de remettre les choses à plat?

Il est dangereux de réécrire l'histoire. Il y a eu énormément de travail durant l'été. préparer les hôpitaux pour une deuxième vague, la gestion d'Anvers et Bruxelles. Il faut admettre que des centaines de personnes dans tous les milieux connaissent une fatigue. Les gens du Celeval, du Gees, ils le disent, ils sont fatigués. Vous ne pouvez pas reprocher aux gens qui ont tout donné de ne pas travailler 24 heures sur 24 pendant 8 mois. Pendant l'été, les gens ont dû prendre un peu de recul. C'est normal.

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Quelles leçons ont été tirées de cette période?

On a dû tout construire. Les règles pour les hôpitaux ont été adaptées, les maisons de repos ont fait le boulot, les outils statistiques ont été créés et affinés. L'achat des masques, la connaissance du virus, l'organisation de la société, le télétravail, les mesures de soutien aux familles, aux entreprises. Le travail a été colossal et mené au fur et à mesure. On aurait bien aimé recevoir un rapport disant "voici comment on va organiser la société avec un baromètre prêt et des mesures précises qui correspondent à ce nous attendons", oui bien sûr. Mais on ne doit blâmer personne. Les gens ont travaillé d'arrache-pied dans des difficultés énormes. Le piège est de penser que puisqu'il n'y a pas ce plan, il n'y a rien. Ce n'est pas exact. Va-t-on attendre trois semaines pour faire un nouveau CNS? Je ne pense pas. La situation évolue.

Dans les écoles notamment?

Dans le milieu scolaire, il y a beaucoup de contaminations, mais il y a aussi des mesures prises pour stopper rapidement la propagation du virus. Mais je ne suis pas ministre de l'Enseignement, je n'oserais pas empiéter sur les compétences de mes collègues. Par contre, au niveau macro, nous avons axé le CNS sur la gestion de la première ligne. Celle-ci est débordée, notamment parce que des classes entières ferment. Nous assurons un travail de soutien aux généralistes en facilitant les règles de quarantaine, notamment. Un travail de développement des zones de test doit se faire, soit par de nouveaux villages de tests, soit par l'augmentation de la capacité des villages. On est dans un goulot d'étranglement, il faut du personnel et toute une logistique. La demande va augmenter à l'automne.

"Certains pays qui nous entourent comme la France ou le Royaume-Uni sont dans des situations plus graves et prennent des mesures qui se rapprochent de celles que nous avons prises il y a longtemps."

Dans le même temps, certains virologues s'expriment parfois durement au sujet de cette gestion de crise...

Quand on participe à la prise de décision, expliquer que ce n'est pas une bonne décision, c'est compliqué. Quand on n'a pas participé à la décision, cela reste compliqué parce que ça brouille le message. Nous sommes en démocratie, le débat est sain. Mais si on pouvait utiliser cet espace médiatique pour critiquer, certes, mais aussi pour rappeler les règles sanitaires de base et faire passer les bons messages. À chaque CNS, on dit soit que c'est trop dur, soit que c'est trop faible, ou qu'il n'y a rien. C'est faux. La Belgique est un des pays les plus stricts. Certains pays qui nous entourent comme la France ou le Royaume-Uni sont dans des situations plus graves et prennent des mesures qui se rapprochent de celles que nous avons prises il y a longtemps.

Mais nous sommes un des pays les plus touchés par la remontée du virus. Vous avez une explication?

C'est une question que nous avons adressée aux experts. Nous n'avons pas encore de réponse. Nous savons qu'en août, les courbes sont montées dans certains pays, pas en Belgique, grâce aux mesures.

Cette crise a aussi miné la confiance de la population envers le politique. Vous le comprenez?

Cette confiance ne s'érode pas seulement en Belgique. Malheureusement, cela a comme conséquences l'émergence de partis extrêmes et l'adhésion à des discours clivants. Quand le monde politique expose ces règles, il y a du rejet, mais aussi de grandes adhésions. À chaque CNS, on a eu un flot de critiques et un flot de gens qui adhéraient. Les experts ont un capital confiance très important, pourtant ils portent des messages différents, parfois contradictoires. Le politique doit donc pouvoir reprendre son rôle, parfois en décrochage avec les experts. C'est très lourd pour le monde scientifique, je lui suis reconnaissante, même si les avis divergents ont brouillé les messages. Je préférerais qu'on regarde tous dans la même direction et qu'on travaille plus ensemble, qu'on répète tous certaines choses fondamentales ensemble.

En Flandre, on a parfois souligné un manque de leadership au 16, que répondez-vous?

Des personnalités politiques qui ne faisaient pas partie du gouvernement ont diffusé ce spin dans la presse. C'est une attaque comme une autre. Je ne passe pas beaucoup de temps à les analyser. La gestion de la crise était inédite. Et pour moi, la solution, c'est l'équipe. On pourra critiquer les décisions du CNS, mais il a bien fonctionné. Il faut penser au résultat, la cohérence et la dynamique de groupe qui s'est installée en Belgique. Elle n'est jamais parfaite, mais elle était inédite au niveau de la collaboration entre les entités fédérées et le Fédéral.

"Le poste de Premier ministre n'est pas un graal."

Un nouveau gouvernement se forme, souhaitez-vous continuer au 16?

Je ne me pose pas la question. Je réponds toujours présente pour travailler à un projet collectif, mais pour cela, vous n'êtes pas obligé d'être Premier ministre. Mon ADN politique, c'est créer des dynamiques positives et faire partir de la solution. Je ne dois pas être la solution. Ce n'est pas mon obsession. Être Premier ministre, c'est énormément de sacrifices. Ce n'est pas un graal, c'est une fonction et un devoir.

Comment se passe votre collaboration avec Georges-Louis Bouchez pour la formation du gouvernement?

Il y a une atmosphère de travail constructive et positive.

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