Les recours contre les exports d'armes wallonnes mettent la pression sur CMI
Les licences d’export d’armes wallonnes vers Riyad sont toujours contestées devant le Conseil d’Etat. Est notamment en jeu le méga contrat de tourelles de chars de CMI Defence, en sous-traitance pour GDLS. Plusieurs centaines d'emplois sont concernés...
Les licences d’exportation d’armes vers des pays non européens restent une problématique difficile. La Ligue des droits de l’homme et la CNAPD (Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie) ont attaqué devant le Conseil d’Etat le feu vert donné par la Région wallonne à 28 licences d’export d’armes vers l’Arabie saoudite.
Les deux ONG ont concentré leurs actions dans 14 recours: entre-temps, quatre de ces recours sont devenus sans objet car les livraisons ont déjà été effectuées. Pour les dix actions restantes, en suspension, le Conseil d’Etat a déjà rejeté, contre l’avis de l’auditeur, deux moyens sur trois. C’était au début du mois de mars. Il a rouvert les débats au sujet du troisième moyen.
Si d’aventure la Ligue et la CNAPD perdent à nouveau ici, elles sont déterminées à poursuivre leur action en annulation, disent-elles.
→ Quels sont les contrats concernés?
On en sait plus, depuis, sur les principaux contrats concernés. L’un de ceux-ci est un méga contrat conclu par CMI Defence, la division défense du groupe liégeois CMI: il s’agit de la livraison de systèmes de tourelles-canons pour chars, un contrat où CMI opère comme sous-traitant pour le groupe canadien General Dynamics Land System (GDLS). Signé en 2015, il court sur dix ans et implique le transfert au Canada de tourelles conçues par CMI, pour y être intégrées sur les chars avant leur envoi vers l’Arabie saoudite, le client final.
Si l’Arabie saoudite ne peut pas se fournir en Wallonie, elle passera commande en France, au Royaume-Uni ou ailleurs tant qu’une position internationale ne sera pas commune.
Arguments sociaux vs éthiques
Différentes logiques s’opposent dans ces dossiers. Pour CMI, qui a fait intervention volontaire dans le recours, l’argument économique et social est crucial. Grâce à cette commande, CMI Defence a doublé son volume d’emplois, passé de 336 personnes en 2013 à 670 l’an dernier. Si elle devait la perdre suite à l’action des deux ONG, la division devrait "fortement réduire son effectif", selon son conseil qui a évoqué un plan social susceptible d’impacter "plusieurs centaines d’emplois". CMI Defence devrait en outre indemniser ses fournisseurs et sous-traitants et verrait, in fine, sa structure financière ébranlée.
Pour la Région wallonne, dont le ministre-président est en cette affaire le décideur final après avoir pris connaissance de la position de la Commission d’avis ad hoc, le dossier est sensible. Interpellé par les ONG, Willy Borsus a certes convenu que la Chambre a voté la proposition de résolution demandant aux entités fédérées de mettre fin aux ventes d’armes au régime saoudien, mais il a ajouté qu’il est nécessaire d’avoir une attitude coordonnée avec les autres pays européens. "Un embargo d’une seule région ou d’un seul pays n’aura hélas aucun impact international, notamment sur le respect des droits de l’homme, a-t-il déclaré. Si l’Arabie saoudite ne peut pas se fournir en Wallonie, elle passera commande en France, au Royaume-Uni ou ailleurs tant qu’une position internationale ne sera pas commune." Autrement dit, il refuse de prendre, le premier en Europe, l’initiative.
Les arguments des ONG
Pour les deux ONG, ces exportations contreviennent à une série de critères définis dans la position commune du Conseil européen de 2008 et repris dans le décret wallon du 21 juin 2012 sur l’importation et l’exportation d’armes civiles et militaires. C’est précisément l’objet de leur troisième moyen, en cours d’examen.
Un de ces critères exige le respect des droits de l’homme et du droit humanitaire international dans le pays de destination: s’il existe un risque que les équipements militaires à exporter servent à la répression interne (Riyad est accusée de réprimer la minorité chiite), il faut refuser la licence. Idem s’il existe un risque que le destinataire les utilise de manière agressive contre un autre pays (l’Arabie est suspectée d’être impliquée dans la guerre au Yémen). Idem enfin si le destinataire soutient ou encourage le terrorisme (le rapport fédéral belge sur les attentats à Bruxelles évoquait des liens entre ce pays et le terrorisme).
Les ONG ont aussi saisi l’occasion pour dénoncer le manque de transparence de la Commission d’avis, tant sur sa composition que sur le contenu de ses travaux. Les parlementaires wallons ne peuvent exercer qu’un contrôle a posteriori sur ses décisions, déplorent-elles. Elles plaident pour une révision de son mode de fonctionnement.
La défense de CMI
Il nous revient, enfin, que la défense de CMI argue que les actes attaqués sont des licences de renouvellement, alors que les licences d’origine ont été données deux ans plus tôt sans contestation. Elles ne nécessitent dès lors plus de motivation particulière, sauf si des éléments nouveaux seraient intervenus entre-temps.
C’est sur cette base que le Conseil d’Etat a disqualifié un des deux premiers moyens en suspension. Pourtant, les ONG ne pouvaient pas être au courant de l’existence de ces licences à l’époque, vu la discrétion de la Commission d’avis… Vous avez dit complexe?
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