Quinze ans de glissade au PS, des scores en dents de scie pour le MR
L'année 2024 fut hautement électorale, avec ses ressacs, renversements, joies et déconvenues. Mais pour bien saisir la séquence, mieux vaut la replacer dans son contexte.
C'est une habitude que l'on vous suggère, notamment pour ses bénéfices en matière de santé mentale. À l'approche immédiate du scrutin, ne prenez pas trop au sérieux les déclarations politiques. Une période de prudence à étendre aux jours suivant le dépouillement des urnes. Parce que la tradition veut que les réactions à chaud l'emportent et que les partis racontent n'importe quoi: les perdants ont gagné – ils n'ont en tout cas pas connu l'échec – et les gagnants ont perdu, ou pas loin. Notez qu'on caricature à peine.
Afin d'y voir clair, rien ne vaut les charmes du recul et les perspectives du temps long. Dans quelles tendances s'inscrivent les scores des uns et des autres? L'Echo dézoome en compagnie de Pascal Delwit, politologue à l'ULB. Gloire et déchéance des partis francophones, c'est parti!
Au commencement, il y a les catholiques et les socialistes
Nous sommes en 1919, première élection où s'applique le suffrage universel... masculin. "Durant l'entre-deux-guerres, deux familles dominent, pointe Pascal Delwit. La sociale-chrétienne et la socialiste." Pesant chacune de 35% à 40% dans le paysage belge. Si l'on chausse des lunettes wallonnes, ce sont les socialistes du POB qui ont le dessus (entre 45% et 55%), avec des chrétiens démocrates tournant entre 30% et 36%. Le troisième larron, les libéraux, ont meilleure mine qu'en Flandre, entre 15% et 20%. Ajoutez à cela des communistes qui pèsent (jusqu'à 21,5% en 1946).
"Après la Seconde Guerre mondiale, on reste dans ce schéma." Avec des libéraux à un niveau un peu plus faible et des communistes qui déclinent.
1965, premier grand changement
La donne change en 1965, qui voit ces fameux blocs encaisser une défaite conjointe, tandis que les libéraux ont le vent en poupe et que des partis wallons entrent dans la danse, qui se fondront en 1968 au sein du Rassemblement wallon (RW). En Wallonie – démographie oblige, nous garderons ces lunettes par défaut –, le PS lâche dix points d'un coup, passant de 46,4% à 35,2%.
Que s'est-il passé? "Entre 1945 et 1958, la guerre scolaire et la question royale ont fortement polarisé." Mais voilà. Le pacte scolaire est signé en 1959, le clivage confessionnel s'essouffle et les thématiques socioéconomiques et linguistiques prennent le dessus. La charnière entre les années '50 et '60 voit le Parti libéral entamer sa mue, abandonnant sa posture anticléricale pour mieux embrasser le socioéconomique.
De 1965 à 1981, des dynamiques divergentes
Pour le PS, cela pourrait faire figure de paradis perdu. Celle de la stabilité, les socialistes oscillant entre 34,4% et 37,3%. Au contraire des chrétiens sociaux, qui déclinent jusqu'en 1971 pour mieux rebondir (26,9% en 1978).
Quant aux libéraux, ils ont du mal à consolider la victoire de 1965. Les années '70 ne sont pas folichonnes, sous la barre des 20%. Son positionnement plutôt belgicain lui joue des tours, souligne Pascal Delwit, dans cette décennie traversée d'amples débats sur la structure de l'État. "Ils sont confrontés au Rassemblement wallon, qui, avec 20,9% des voix, devient le second parti wallon en 1971, pour décliner à partir de 1977."
"Quand ils atteignent un pic, les libéraux peuvent occasionnellement devancer les socialistes en Wallonie."
Après 1981, cela secoue
En Belgique, le fédéralisme est lancé et l'aube des années '80 voit naître les régions flamande et wallonne. Même si une certaine tension communautaire subsiste, le socioéconomique revient sur le devant de la scène. Le RW s'effondre et disparaît. Disparition encore: le Parti communiste belge perd ses députés en 1985 et n'en finit pas de s'effilocher par la suite.
Socioéconomique on vous disait: les libéraux rebondissent. Signent, entre 1981 et 1999, des résultats compris entre 19,8% et 24,7%. Le XXIe siècle se montre plus agité pour les bleus. Cela fluctue sec. Les excellentes cuvées (28,5% en 2003, 31,1% en 2007 ou 28,2% en 2024) côtoient les plus âpres (19,8% en 1991 ou 20,5% en 2019), sans oublier les crus moyens (25,8% en 2014). "Quand ils atteignent un pic, les libéraux peuvent occasionnellement devancer les socialistes en Wallonie", relève le politologue.
Pour les socialistes, c'est en fini de la stabilité. De 1981 à 2010, les voilà embarqués dans des montages russes. Cela grimpe jusqu'au résultat exceptionnel de 1987 (43,9%) pour dégringoler jusqu'en 1999 (29,2%). Et ainsi de suite. De quoi nous propulser jusqu'en 2010, dernier sommet (37,7%). Depuis, le PS enchaîne les déconvenues. Réalisant son plus mauvais score en 2019 (26,1%), pulvérisant ce record en 2024 (22%). Malgré leurs fanfaronnades, les rouges sont en chute libre.
Ecolo et PTB s'invitent dans la danse
De nouveaux venus déboulent dans l'arène. À commencer par Ecolo, qui démarre timidement en 1977, mais se fixe autour des 6%-7% dans les années '80. Puis se met en branle la mécanique que l'on sait: dans des cycles assez courts, les verts alternent sommets et ravins. Carton en 1999 (18,3%); déculottée en 2003 (7,5%), 2014 (8,2%) et 2024 (6,9%); scores honorables (entre 12,3% et 13,5%) en 1991, 2007 ou 2010.
Autre acteur devenu incontournable, le PTB, qui se frotte aux urnes à partir de 1974 en Flandre, sous l'appellation TPO-Amada, autrement dit "Tout le pouvoir aux ouvriers". Résultat? Entre 0,5% et 1%. Changement de nom en 1979, puis de stratégie. Payant, puisque cela commence à bouger vers 2009-2010. Avant de devenir significatif en 2014: 5,5% en Wallonie. Décollage en 2019 (13,8%) puis tassement en 2024 (11,6%).
Par souci de précision, une parenthèse sur (feue) la droite radicale. À l'extrême, le Front national signe deux performances, en 1995 (5,5%) et dans la séquence 2003-2007 (5,6%). Quant au Parti populaire, il culmine en 2014, à 4,5%.
"L'idée majeure de la fédération PRL-FDF était de devenir incontournable à Bruxelles."
Et Bruxelles dans tout ça?
Ôtons donc ces binocles wallons pour nous pencher sur les destinées électorales bruxelloises, qui ont leur propre dynamique. La preuve en est avec le FDF, rebaptisé DéFI en 2015, qui fait ses premiers pas en 1964. La percée électorale a lieu dès 1970; en 1976, le FDF est propulsé premier parti de la capitale. "Les résultats sont spectaculaires, analyse Pascal Delwit, surtout dans le sud-est."
Reste que la gloire est éphémère; les premiers signes d'essoufflement se donnent à voir dès 1981, débouchant sur un recul en 1985 et 1987. Le FDF devient un "parti archipel", combinant zones de force et faible présence en dehors. De 1992 à 2011, le FDF fait alliance avec le PRL, le tout se muant en MR en 2002. Le divorce est consommé en 2011, sur fond de 6ᵉ réforme de l'État. La suite est connue. L'archipel tient bon, du fait des trois mousquetaires de l'époque: Bernard Clerfayt, Didier Gosuin et Olivier Maingain. Les zones de force disparaissent, ou sont victimes d'érosion. En 2024, c'est la double bérézina; le pronostic vital de DéFI est engagé. À ce sujet, le mariage avorté avec Les Engagés restera dans les annales comme une occasion manquée.
À propos de mariage de raison. "L'idée majeure de la fédération PRL-FDF était de devenir incontournable à Bruxelles", situe Pascal Delwit. Banco! En 1995, l'attelage dépasse le PS. Mieux: en 1999, le PS perd la ministre-présidence! Sauf qu'après, les libéraux sont relégués dans l'opposition de 2004 à 2024. Qu'importe si les libéraux doublent de nouveau le PS en 2009; le MR devra attendre 2024 pour décrocher la timbale.
À Bruxelles, le PS a vraiment mené deux campagnes différentes."
Affaibli dans les années '80, "le PS retrouve des couleurs avec Charles Picqué et l'évolution de la sociologie bruxelloise". Il y a des hauts et des bas, jusqu'au doublé de 2024 où le MR le déborde à tous les étages. Même si le PS fait de la résistance, le ressac dans ses bastions étant partiellement compensé par une petite poussée dans le sud-est. Nord-ouest versus sud-est. "Le PS a mené deux campagnes différentes", constate Pascal Delwit.
Pour cause, le PTB est sur ses talons. PTB qui a explosé en 2019 et 2024, même si sa présence n'est pas uniforme. Reste que le parti marxiste, désormais inquiet, n'a pas réussi à réitérer, en octobre, son succès de juin. "Logement, voiture, Gaza ou revendications de la communauté musulmane: ce positionnement du PTB, mais aussi du PS, a ses limites, estime Pascal Delwit. Chaque parti en a, des limites. Et vous trouverez toujours quelqu'un qui va plus loin que vous." Ce quelqu'un, en 2024, c'est la Team Fouad Ahidar. "PTB et PS ont un caillou dans leur chaussure. Reste à voir si ce phénomène sera pérenne. En attendant, la fracture bruxelloise se renforce." Le canal, plus frontière que jamais.
N'oublions pas Ecolo qui, au fil du temps, s'est durablement affirmé comme parti de ville, même si son implantation est plus faible dans les communes populaires. La séquence cruelle de 2024 n'empêche pas des scores honorables en octobre: entre 18% et 23% à Auderghem, Etterbeek, Forest, Saint-Gilles ou Woluwe-Saint-Pierre, plus une première place à 28,45% à Ixelles.
Terminons par Les Engagés. "En 1999, on pouvait s'interroger sur leur future disparition." C'était sans compter sur l'effet Joëlle Milquet, qui se sera estompé avec elle. Quid de l'effet Prévot en 2024? "Les Engagés ont rebondi, mais cela n'a rien à voir avec la Wallonie!" La voie du parti, également dans une situation d'archipel, est loin d'être toute tracée.
L'actualité sur les élections communales 2024 avec la rédaction de L’Echo. Les acteurs et enjeux dans chaque grande ville du pays.
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