Georges-Louis Bouchez (MR): "Il faut une pause législative pour les agriculteurs"
La grogne des agriculteurs, le programme des libéraux francophones et l'après-9 juin, autant de sujets abordés avec le président du Mouvement Réformateur.
Alors que les tracteurs déferlent sur Bruxelles, nous rencontrons Georges-Louis Bouchez au siège de son parti. En pleine préparation de son congrès programmatique, le président des libéraux francophones semble prêt à se lancer à corps perdu dans la campagne: "C'est un moment que j'ai longtemps attendu." Actu oblige, on entame notre discussion en évoquant la colère du monde rural.
Votre parti détient le portefeuille de l’Agriculture au Fédéral depuis 2003, vous sentez-vous responsables ?
Les ministres libéraux successifs ont préservé les agriculteurs et défendu leurs intérêts. Tout n’a peut-être pas réussi, mais ce n’est clairement pas le MR qui a promu l'accumulation de normes environnementales de plus en plus lourdes. Même chose pour les règles administratives.
Il faut se mettre à la place des agriculteurs, qui sont confrontés à une inflation législative. Vous avez la PAC, qui change régulièrement, mais en plus on ajoute le Green deal, la restauration de la nature, le plan érosion… Encaisser cinq à dix changements législatifs sur une courte période, cela remet en cause tout votre business model. C'est plutôt le lobby environnemental qui est à la manœuvre sur cela et peu de gens osent s’y opposer car ce n'est pas de bon ton. Les Ecolo ont une responsabilité colossale.
Ce qu'il faut, c'est un pacte de stabilité pour les agriculteurs, un stop législatif de cinq à dix ans afin de leur permettre de s'organiser.
Vos députés ont voté la dernière PAC...
"On peut vouloir sauver le climat, mais si on dégrade la capacité de l’Europe à s’alimenter, on n’aura juste rien gagné."
Si c'était la PAC toute seule, on pourrait s'en sortir. Mais on rajoute sans cesse des couches. C'est alimenté par un état d'esprit qui relève de l'agribashing. Un exemple: les écologistes, dont Zakia Khattabi, avec la bénédiction de Caroline Désir (PS), font distribuer dans les écoles des présentations où l’on dit que l'agriculture pollue fortement et où on demande aux enfants de calculer le niveau de déforestation pour un kilo de viande mangée.
Je ne dis pas que l'agriculture n'a pas des conséquences environnementales, mais elle nous nourrit. On peut vouloir sauver le climat, mais si on dégrade la capacité de l’Europe à s’alimenter, on n’aura juste rien gagné.
Ce que vivent les agriculteurs peut aussi s’appliquer aux industriels qui sont confrontés à toute une série de réglementations, parfois plus strictes qu’ailleurs. À un moment, ils ne s’en sortent plus.
Les accords de libre-échange doivent être remis en cause ?
"On a parfois l’impression d’assister à une course où certains ont une Formule 1 et d’autres une deux chevaux au moteur bridé."
En Belgique, on a besoin de commerce international et les accords de libre-échange le facilitent. Notre agriculture est en surproduction, donc si on ne peut pas vendre à l’étranger, on n’y arrive pas. Je suis pour la concurrence, mais pas pour la concurrence déloyale. Elle doit se faire dans des conditions, si pas équivalentes, semblables ou dans des marges acceptables.
Ici, on a parfois l’impression d’assister à une course où certains ont une Formule 1 et d’autres une deux chevaux au moteur bridé. Que ce soit pour l'industrie ou l'agriculture, on doit beaucoup plus travailler à ce qu'on appelle des "clauses miroirs". C'est absurde de s'imposer des règles et ensuite d’importer des produits qui ne respectent rien. La vision qui voudrait qu’il faut des traités commerciaux à n'importe quel prix est stupide, tout comme celle qui prétend qu'il n'en faut pas.
Le modèle agricole "à la belge" a-t-il encore du sens ?
"Penser qu’on pourrait imposer un modèle américain de méga fermes en Wallonie, c’est juste débile."
Il ne faut pas opposer les types d’agriculture : il y a les petits, les gros, mais aussi le bio, le circuit court, l'intensif. On aura besoin de tout pour alimenter les citoyens en Europe et au-delà. Il convient de ne pas tomber dans le piège, comme beaucoup de Verts le font, de dire qu’il faut tuer l’intensif. En faisant cela, on génèrerait des famines. À côté, les fermes familiales ont aussi leur place, elles apportent une offre diversifiée, font perdurer un terroir. Penser qu’on pourrait imposer un modèle américain de méga fermes en Wallonie, c’est juste débile, ça ne marcherait pas. On n'a ni l’espace, ni les gens, ni la culture pour procéder de la sorte.
Certains agriculteurs wallons semblent dépassés par les évolutions de leur métier. Est-ce qu’on ne leur en demande pas trop, dans la pression permanente du marché ?
Certains ont encore une image d’Épinal de l'agriculteur qu’ils voient comme un bouseux avec une casquette et un cure-dent au bord de la bouche. La réalité, c’est que maintenant, beaucoup de nos agriculteurs sont des ingénieurs.
Certains témoignages disent tout de même que c’est devenu plus compliqué…
Oui, mais tout s'est complexifié. Un agriculteur peut aussi très bien décider d’éviter de devoir surveiller les cours de bourse en s’organisant en coopérative par exemple. Il y a différents types de gestion possibles.
D’aucuns reprochent à la grande distribution de "se sucrer" sur les exploitants agricoles. Est-ce qu’il y a un problème à ce niveau ?
À un moment, il faudra aussi, via l’éducation, rappeler à nos concitoyens qu'on ne peut pas avoir de l'alimentation de qualité sans en payer un peu le prix. Aujourd'hui, la première préoccupation des ménages, c'est le pouvoir d'achat. Et donc que fait-on, dans une approche un peu schizophrénique, en politique? On cherche tout le temps à faire baisser les prix. Dans le même temps, les agriculteurs souffrent. À force de faire pression sur les prix de vente, ce sont tous les échelons qui prennent. Et pourquoi l’agriculteur subit le plus ? Parce qu’il est le dernier de la chaîne et qu’il ne peut plus rien répercuter. Les agriculteurs ne vont pas se retourner sur leur vache et lui demander de fournir plus de viande.
C’est en partie la faute des consommateurs?
Non. La course à la promotion, on fait tous cela. On essaie de dégager des moyens à certains endroits pour s’acheter d’autres choses. Il faut arrêter d’être dans un jugement de valeur morale, mais accepter un vrai débat de société.
Vous êtes moins virulent avec les actions des agriculteurs qu’avec d’autres manifestations, organisées par les syndicats…
Parce que cette colère me parle d’autant plus qu’elle correspond à deux sujets majeurs. Un : s’occuper du climat sans s’occuper du reste, c’est mort. Deux : il y a une différence entre ces gens qui bossent et ceux qui ne bossent pas. Les agriculteurs sont touchés par la PAC, mais ils prennent aussi dans la figure tout le reste : le coût du travail, la fiscalité élevée, les prix de l’énergie plus élevés qu’ailleurs…
S’il y a des débordements, il faut faire preuve de la même rigueur. Mais il y a selon moi une différence majeure entre un agriculteur qui gagne 500 euros par mois en travaillant 80 heures par semaine et des syndicats qui manifestent pour réformer la loi sur les salaires. On est ici face à des gens qui nous disent qu’ils sont en train de mourir.
Bloquer Bruxelles ou le port de Zeebruges, c’est une prise d’otages ? La prise à partie de Céline Tellier, un débordement?
Si c’est une matinée, à titre symbolique, on ne va pas envoyer la cavalerie. Mais si le but est de créer des pénuries dans les magasins, comme le font les Français, alors l’autorité doit reprendre ses droits. La loi est la même pour tout le monde.
Par ailleurs, je suis en opposition totale à Céline Tellier. Elle ne devrait plus être ministre, mais elle mérite le respect, les intimidations physiques et les injures ne sont pas acceptables.
Charles Michel qui renonce à être tête de liste aux européennes, c’est un coup dur pour vous ?
"Je n'ai jamais caché ma préférence pour une coalition suédoise."
C’est une déception à titre personnel parce que c’est un ami. J’ai défendu loyalement l’action du gouvernement quand il était Premier ministre. Je n’ai d’ailleurs jamais caché ma préférence pour une coalition suédoise.
C’est aussi une déception sur le plan politique car aucun parti normalement constitué n’aurait pas voulu faire du président du Conseil sa tête de liste aux européennes. Après, ce n'est pas pour autant une catastrophe, la liste européenne n’est pas la plus déterminante pour l’avenir gouvernemental du MR aux différents niveaux de pouvoir. Si nous obtenons trois sièges à l’Europe mais qu’on est hors de tous les gouvernements, aucun journaliste ne viendra me dire qu’un eurodéputé en plus constitue une belle victoire.
Comment expliquer ce revirement?
Je pense qu’on est potentiellement dans une question de ras-le-bol face à une certaine médiocrité politico-médiatique.
Vous avez dit que vous comptiez amener le MR à 30%, ce qui était vraiment très ambitieux et semble difficilement atteignable. Aujourd’hui, vous diriez que c’est quoi un bon résultat ?
Les 30%, certains vont peut-être me les rappeler. Cela dit, les sondages actuels n'ont rien de déterminant. Mais je ne vais pas fuir la question. D'abord, il vaut toujours mieux être en progrès qu’en recul. Ensuite, l'objectif est que la mathématique électorale nous amène à avoir un rôle central, voire incontournable. C’est la cartographie électorale dans sa globalité qui doit être prise en compte.
N'est-ce pas compliqué d'incarner un changement en étant présent dans quasi tous les gouvernements sortants?
"J'ai souvent considéré notre rôle dans les différents gouvernements via notre capacité d'être une minorité de blocage"
Quand vous avez quatorze sièges au Fédéral, ce n’est quand même pas la même musique que quand vous en avez vingt. Même chose en Wallonie quand vous avez suffisamment de sièges pour faire une majorité avec les Engagés, plutôt qu’avec le PS et Ecolo. C'est un peu comme dans une entreprise : avoir une minorité de blocage ou être majoritaire, ce n'est pas du tout la même histoire. J'ai souvent considéré notre rôle dans les différents gouvernements via notre capacité d'être une minorité de blocage. Pas un blocage négatif, mais qui permet de redéployer des dossiers différemment, par exemple sur le nucléaire ou la fiscalité.
Si tout le monde joue ce jeu de minorité de blocage, c'est le pays qui est bloqué…
C’est ce que vous avez vu sous ce gouvernement.
Et c’est ce qu’on risque encore de voir?
"Pourquoi le citoyen disperse-t-il son vote ? Ça vient aussi d’un affaissement idéologique. Mais la politique sans idéologie, ce n’est pas possible."
L’électeur a la main. Il a la capacité de donner une orientation claire. Quand j’ai évoqué les 30%, ce n’était ni par distraction, ni par arrogance, mais parce que dans notre modèle politique, on a besoin d’un, ou peut-être deux, partis démocratiques entre 25 et 30%, et un ou deux petits qui viennent faire l'appoint, apporter une tonalité, rééquilibrer les choses. Quand tout le monde est entre 10 et 20%, ce sont des appoints sur des appoints.
Pourquoi le citoyen disperse-t-il son vote ? Ça vient aussi d’un affaissement idéologique. Mais la politique sans idéologie, ce n’est pas possible. À un moment donné, il faut définir un projet de société et on ne peut pas uniquement être pragmatique et résoudre les problèmes. Ou alors vous devenez fonctionnaire.
Vous dites qu'il y a le MR et "50 nuances de gauche", mais vous semblez proche des Engagés sur un certain nombre de points. Ce pourrait être un allié ?
Maxime Prévot (président des Engagés, NDLR) parle de prolonger le nucléaire, ce n'est pas avec les Ecolo qu'il y parviendra. Il dit qu'il veut réformer le chômage, ce n'est pas avec le PS qu'il aura du succès. S'il est sincère et qu'il veut faire ce qu'il dit alors il n'a pas d'autre choix que s'associer à nous. En revanche, s'il le fait pour gagner quelques voix et ensuite faire une majorité avec le PS et Ecolo, je pense qu'il a un problème.
Vous redoutez un tel scénario ?
"Dans un exécutif avec le PS et Ecolo, je pense qu'il y en a au moins un des deux en trop."
Je ne crains rien, je demande juste qu'on fasse preuve de transparence. Je souhaite les majorités les plus au centre droit possible. Dans un exécutif avec le PS et Ecolo, il y en a au moins un des deux en trop pour moi. Est-ce qu'on peut éviter les deux ? Je reste réaliste. Si la N-VA devait remplacer Ecolo au Fédéral, je ne serais pas fondamentalement malheureux.
Vos relations avec les autres présidents de parti ne risquent-elles pas de vous être défavorables ?
Nous sommes à la fois collègues et concurrents et je suis clairement celui qui remet le plus en cause leur vision du monde. Cela dit, je ne connais pas un seul président du MR qui ait eu de bonnes relations avec ses homologues.
Vous semblez moins tranchant que d'habitude. Le Bouchez de campagne police son discours ?
Je suis peut-être moins dur en période de campagne parce que je n'ai pas de dossiers à gagner tout de suite. Maintenant, je dois convaincre. C'est une question de contexte en fait.
La thématique du travail occupe une place centrale dans le programme que le MR soumettra dimanche à ses militants lors d’un congrès. "C'est nous qui l'avons mise au centre du débat politique", affirme Georges-Louis Bouchez.
Dès le préambule du programme, le ton sera donné : "On y indique clairement que si on n’augmente pas notre taux d’emploi, tout ce qu’on expose ensuite pendant une centaine de pages ne pourra pas se produire", explique le président du MR.
À ses yeux, le principal problème de la Belgique reste que le nombre de travailleurs au sud du pays est trop faible, ce qui impacte les dépenses publiques et entraîne un niveau de fiscalité trop important sur les travailleurs.
Refusant l’approche du PS qui justifie parfois les différences de taux d’emploi entre les Régions en les inscrivant dans une perspective historique, Bouchez réclame plus de rigueur. "Les socialistes peuvent essayer de se rassurer en invoquant la fermeture des charbonnages, mais c'est absurde, c'était il y a 40 ans!" Avant de poursuivre : "Le problème de la Wallonie, c'est la machine syndicale et mutuelliste, le niveau d'allocations sociales, mais aussi le niveau de discours qui est constamment dans la cause d'excuse et jamais dans la responsabilisation."
Que préconisent donc les libéraux pour inverser la tendance ? Un classique tout d’abord : limiter les allocations de chômage dans le temps, mais aussi garantir une meilleure activation de ceux qui se retrouvent aux CPAS. "Les personnes au chômage depuis plus de deux ans ont besoin d'un accompagnement individualisé et les CPAS sont les plus à même de s’en charger", estime la figure de proue du MR. Pour leur permettre d’assurer cette mission, il préconise même un transfert d’une partie de fonds en provenance du Forem.
Autre point d’attention: le niveau d’aide sociale global. À l'entendre, ce niveau serait tellement confortable que certaines personnes ne voient pas l’intérêt d’aller travailler. D’où l’idée d’agir sur les prestations matérielles (logement social, tarif social énergie, tarif social télécom, …) qui ne pourraient plus être cumulées sans limite.
La fiscalité sur le travail serait, quant à elle, réduite. L'indexation des salaires serait par contre préservée, si l'on suit le MR, et la loi encadrant les augmentations de salaires aussi.
Entend-il que le rapport au travail a changé suite au covid? Que les jeunes refusent de se lancer dans un "bullshit job", et que cela peut aussi expliquer les pénuries, qu'en tout cas les conditions de travail jouent pour partie un rôle? Bouchez balaie : "Le vrai bullshit dans la vie, c'est de se lever le matin et de ne pas savoir ce qu'on va faire, de ne pas savoir à quoi l’on sert."
"Des milliards d'euros de gaspillage"
Deuxième grand axe du programme libéral : la meilleure gestion des dépenses publiques. Concrètement ? Le MR évoque "plusieurs milliards d'économies sur des gaspillages en tous genres": non-indexation de certains budgets, des dotations publiques revues à la baisse ou encore l’interruption des délégations de missions publiques aux syndicats et aux mutuelles.
Pour améliorer les finances, les Bleus rejettent par contre l’idée de recourir à ce que la gauche brandit sans cesse comme "une carte magique" : la taxation des riches. "Ce n’est pas crédible de faire croire qu’on pourra par exemple financer la transition environnementale grâce à cela. Nous, par contre, on a un élément crédible et chiffré : chaque emploi peut rapporter 40.000 euros."
Les bases de ce "programme vérité", travailler plus et mieux gérer les dépenses publiques donc, permettraient ensuite de financer le bien-être, l’égalité des chances ou encore une baisse des impôts. Les libéraux avancent un certain nombre de propositions de mesures à cinq ans pour la législature à venir et d'autres à dix ans pour revenir à l'équilibre budgétaire. Un assainissement des finances publiques progressif, "pas un programme d'austérité", assure Bouchez.
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