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interview

Maggie De Block: "Je travaille dans l'intérêt des femmes francophones"

©Dieter Telemans

Fustigée pour ses projets de réformes, notamment celui du dépistage du cancer du sein, la ministre de la Santé et des Affaires sociales livre sa version des faits. "Battling Maggie" grimpe sur le ring.

Docteur Maggie a eu le blues. Cela n’a pas duré – quelques jours tout au plus – mais elle a eu ce fameux coup de bambou, celui qui vous frappe et vous laisse titubant à l’image d’un boxeur qui chancelle. "Franchement, je n’ai pas compris. Je me suis retrouvée toute seule à devoir défendre ce projet alors que c’est pour le bien de toutes les femmes, et notamment les francophones."

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Alors, Maggie De Block a esquissé un repli stratégique – à la manière du boxeur qui regagne son coin du ring.

"J’ai mis le projet au frigo le temps que l’émotion retombe."

Mais la voilà déjà qui prépare la prochaine charge. "Je suis fâchée. Vous savez, tout ce qui a été mis en avant par les opposants au projet de réforme du dépistage du cancer du sein est faux."

Ce jeudi midi, la ministre de la Santé et des Affaires sociales est dans son bureau, au huitième étage de la tour des Finances.

Vue sur le parc du jardin Botanique.

Il fait gris et venteux.

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Elle dit: "Pour le moment, j’ai beaucoup de travail, je dors peu."

"Tous ceux qui ont travaillé et imaginé le projet pendant des années ont évité de le défendre tellement c’est devenu violent. Je me suis retrouvée seule à devoir le défendre. Toute seule."

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"Je n’ai fait qu’approuver un projet rédigé et accepté dans le consensus, y compris par toutes les mutualités. L’idée est d’améliorer le dépistage du cancer du sein chez les femmes, ce n’est pas le contraire. En Wallonie, on sait que beaucoup de femmes préfèrent aller chez le gynécologue ou radiologue de leur choix plutôt que de participer au dépistage systématique (le mammotest). En Flandre, on est à 50% de dépistage, 10% à Bruxelles et à seulement 8% en Wallonie. Alors qu’on sait que pour vraiment se battre contre le cancer du sein, on doit atteindre un niveau de 75% de dépistage des femmes. On veut donc augmenter le taux de participation et encore améliorer la qualité du dépistage en ajoutant une deuxième lecture. Car on dépiste beaucoup mieux quand un second spécialiste lit également la mammographie."

Elle souffle. "ça a commencé par un pamphlet contre moi. Et puis les réseaux sociaux se sont emballés. Tous ceux qui ont travaillé et imaginé le projet pendant des années ont évité de le défendre tellement c’est devenu violent. Je me suis retrouvée seule à devoir le défendre. Toute seule. On m’a attaquée. C’est normal, j’ai la responsabilité politique. Mais qu’on laisse dire que je veux des choses mauvaises pour la santé des femmes wallonnes, ça je ne peux pas accepter."

"Erreur de communication"

Elle place une première offensive contre l’opposition francophone.

"On a instrumentalisé ce projet pour essayer de faire croire que je voulais faire du communautaire, alors que je veux faire l’inverse. En Flandre, on va arriver à de bons taux de dépistage! Mon objectif, c’est qu’on arrive à rattraper ce bon taux en Wallonie. Il y a une conscientisation en Flandre par rapport à ça: des communes aux provinces, tout le monde pousse vers le dépistage. Moi-même j’avais déjà posé pour une campagne en faveur du dépistage avec d’autres femmes politiques dans ma commune."

©Dieter Telemans

"Il y a une différence de culture entre la Flandre et la Wallonie par rapport au dépistage, on le sait. Du coup, on a laissé à partir de 45 ans la possibilité d’aller chez le spécialiste de son choix et de se faire rembourser. Mais avant cet âge, c’est aussi possible s’il y a un risque élevé ou les personnes qui ont des symptômes. Arrêtons les caricatures."

Là, le projet est au frigo.

"Vu l’émotion, j’ai préféré poursuivre avec ce projet une fois que tout sera calmé. L’opposition francophone raconte des mensonges là-dessus."

On lui dit: mais vos projets, c’est quand même pour réaliser des économies budgétaires…

"Non, non et non. C’est dingue de dire cela! J’ai injecté de l’argent pour le dépistage: 8 millions d’euros dans des équipements digitaux. Ça permet d’avoir des images d’une meilleure qualité. Les diagnostics sont beaucoup plus rapides. On veut tout mettre en œuvre pour améliorer le dépistage. On a juste dit qu’il n’y avait pas de raison de faire systématiquement une échographie à côté de la mammographie. On sait aussi que ça ne sert à rien de commencer avant l’âge de 45 ans. Mais bon, j’ai mis le projet au frigo le temps que l’émotion retombe quelque peu. Je veux éviter la confusion chez les femmes."

On insiste: il y a quand même un problème de communication – à tout le moins – pour que le projet ait dû être mis au frigo.

Elle admet: "Oui, c’est vrai. Mais naïvement, j’ai cru que comme les syndicats, les associations scientifiques et les mutualités étaient d’accord et que ça passerait. C’était une erreur."

"Je veux que les femmes francophones soient aussi bien dépistées que les flamandes! La protection et la qualité des soins doivent être la même au nord du pays, c’est cela la santé publique."

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L’idée relayée par l’opposition est qu’on avance vers une médecine à deux vitesses. Une super-médecine flamande et une médecine francophone moins performante.

Elle sort de ses gonds.

"Mais c’est justement pour éviter cela que je veux ce projet. Je veux que les femmes francophones soient aussi bien dépistées que les flamandes! La protection et la qualité des soins doivent être la même au nord du pays, c’est cela la santé publique. Ce n’est pas du cas par cas. On doit avoir une politique générale dans l’intérêt des gens. Je ne veux pas deux niveaux de médecine, je lutte contre cela. Mais quand je vois un taux de dépistage si bas, je ne peux pas rester sans prendre de mesure pour la qualité des soins. Je travaille dans l’intérêt des femmes francophones."

"Encore des mensonges"

On lui glisse sous le nez un autre exemple que l’opposition avait brandi il y a quelques mois pour démontrer qu’elle s’attaquait aux plus pauvres: le non-remboursement du Pantomed. "Mais c’était encore des mensonges! Il s’agit seulement des grandes boîtes de 98 comprimés! C’est pour éviter que les gens en prennent plus que 8 semaines parce que ça crée des problèmes de santé." Tout juste si elle ne sort pas son stéthoscope: "Regardez, on a tous besoin d’acidité dans le corps. Et dire que je reçois encore des mails de gens qui me disent que je leur ai pris leur Pantomed… C’est faux. C’est encore remboursé en boîte de 28 et de 56 comprimés. Si on prend du Pantomed à vie, il y a un risque pour l’estomac. Je parle des comprimés de 40 mg."

©Dieter Telemans

Docteur Maggie monte (encore) dans les tours.

Et elle place un nouveau crochet contre l’opposition.

"Cette opposition qui communique en disant que j’attaque les plus pauvres, c’est pénible. Je sais que l’opposition doit s’opposer, mais là franchement, ça devient ridicule. Quand je vois Nollet qui chaque minute crie au scandale… Il avait déjà fait paniquer toute la Belgique avec les œufs au fipronil maintenant il fait la même chose avec la viande."

On lève un sourcil.

Et même les deux.

"Mais la santé publique n’a jamais été en danger! Mais non! Tout peut toujours être amélioré, l’Afsca aussi. Mais ici c’est une fraude! Qu’on soit plus dur avec les fraudeurs! Qu’on dépiste mieux les fraudeurs, c’est cela qu’il faut faire. L’opposition crie tellement au scandale qu’à l’étranger on pense que tout ce qui vient de Belgique est pourri, or ce n’est pas vrai."

Rationalisation, c’est un mot que Maggie De Block adore.

"Je ne rationalise pas pour le plaisir mais pour augmenter la qualité des soins de santé et améliorer l’accès aux soins. On vit dans un pays où ce sont toujours les plus vulnérables qui ne savent pas où aller se faire soigner. Il faut oser dire cela. Et c’est pour cela que je veux changer les choses. Je n’aime pas le mot gratuit parce qu’au final il y a toujours quelqu’un qui doit payer, mais on investit beaucoup dans la santé en Belgique."

"Le modèle du Danemark"

On la ramène en 2014. "En arrivant au ministère de la Santé il y a quatre ans, j’ai trouvé 8 plans dont le plan sida, le plan cancer, le plan maladies chroniques, etc. Huit plans sans aucun budget et sans aucune concertation avec l’administration. Aujourd’hui, on a mis tout ça en œuvre et on a des résultats. Regardez sur le sida: on a de moins en moins de nouvelles personnes infectées. Je me suis battue pour le remboursement de la reconstruction mammaire des femmes atteintes d’un cancer."

On branche la ministre sur sa "remise en ordre du secteur hospitalier".

©Dieter Telemans

"Un tiers des hôpitaux connaissent des difficultés financières. S’il s’agissait de citoyens ou des entreprises, on dirait qu’ils sont en faillite. Avec l’explosion des technologies, on s’est retrouvé face à des hôpitaux qui ont tous voulu tout faire. On a dû dire que ce n’était pas possible. On a pris l’exemple du Danemark mais il faut savoir que ça leur a pris 20 ans pour mettre en œuvre leur système. On veut qu’à l’avenir le patient puisse garder le libre choix pour ses soins de base, choisir l’hôpital qu’il souhaite. Mais pour les soins spécialisés, on va orienter les gens vers des pôles d’excellence qu’on va créer. Voilà la philosophie. On sait que les chances de survie, par exemple pour un cancer du pancréas, sont bien supérieures si on se fait opérer dans un hôpital dont c’est la spécialité plutôt que dans un hôpital qui n’en pratique quasiment jamais. On veut des hôpitaux de référence pour chaque pathologie."

Alors, quand attendre cette réforme mammouth? "Le cadre légal est prêt, la concertation est en cours avec les 3 coupoles des hôpitaux francophones et la coupole flamande. On parle aussi avec les syndicats des médecins et les associations de patients." Atterrissage en vue. "Je pense qu’on aura l’architecture et le cadre légal à Pâques. On pourra dès lors faire approuver la réforme du secteur hospitalier par le Parlement. C’est indispensable pour la qualité des soins de santé du futur. Et je précise que ce n’est pas pour réaliser des économies."

On prend de la hauteur. Les réformes de la libérale conduiront-elles à une meilleure qualité des soins de santé en Belgique à l’avenir? That’s the question.

"Nous voulons passer à un système moins pyramidal où tout le monde coopère au profit du patient."

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"Si toutes les réformes passent, oui. La réforme de la législation sur les professions médicales est aussi importante. Par exemple, donner la possibilité aux infirmières d’effectuer des autres tâches. Maintenant c’est le médecin qui prescrit et l’infirmière qui applique. Nous voulons passer à un système moins pyramidal où tout le monde coopère au profit du patient. Aujourd’hui, le médecin, l’infirmière et le pharmacien ne sont pas assez coordonnés. On va travailler par discipline à améliorer tout cela."

On lui balance: dans la sécurité sociale, vous avez fait des économies drastiques.

Ses yeux s’allument comme des loupiotes.

"54.000 emplois"

Elle dit: "Le credo de ce gouvernement, c’est de créer de l’emploi. Et on y parvient. On a diminué les cotisations sociales pour les employeurs, on a diminué la pression fiscale pour augmenter le pouvoir d’achat des gens, surtout les bas salaires. Et ça fonctionne."

Elle sourit.

"Quand j’ai commencé à ce poste, il y avait des trous. La meilleure méthode pour équilibrer, c’est de remettre des gens au travail."

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Elle exhibe les chiffres de l’ONSS: 54.000 emplois supplémentaires entre les 3e trimestres de 2016 et de 2017, dont 40.000 dans le privé. "Et ce qui est important, c’est que ce sont de vrais emplois: 90% d’entre eux sont des temps plein ou des emplois à temps partiel d’au moins 2/3 temps. Tout ceci montre comme nos recettes fonctionnent. Avant, on ne créait que des mini-jobs."

Et les économies? "Dans la sécurité sociale, on n’économise pas, la dotation reste et il y avait tout ce qui était la grande jungle du financement alternatif, on avait la TVA, le précompte mobilier, etc. On a nettoyé mais on n’a pas économisé dans cette réforme. La sécurité sociale, on a des revenus et on a des dépenses. Ce qu’il faut trouver c’est l’équilibre. À la fin de l’année, la sécu doit être à l’équilibre. Quand j’ai commencé à ce poste, il y avait des trous. La meilleure méthode pour équilibrer, c’est de remettre des gens au travail. Vous gagnez doublement: non seulement, ils cotisent mais en plus ils ne sont plus sur le régime des allocations sociales. On est sur la bonne voie. On doit travailler davantage sur les jeunes allochtones et sur les femmes de plus de 55 ans. Ce sont les groupes sur lesquels on doit progresser."

"100 milliards d’euros"

Finalement, Open Vld et N-VA, c’est bonnet bleu et bleu bonnet, lui dit-on. Y a-t-il une feuille de papier à cigarette entre les libéraux flamands et les nationalistes?

©Dieter Telemans

"Je ne suis ni obnubilée ni même fixée sur la N-VA, je suis peut-être la seule mais je suis comme ça. Ils ont d’autres priorités et un autre programme que le mien. Je suis une libérale sociale, je l’ai toujours été. Je vois les deux faces de la médaille. C’est peut-être parce que j’avais un grand-père socialiste. J’ai le bon mélange. Vous savez, j’ai eu dans mes compétences la lutte contre la pauvreté, c’est vraiment un domaine dans lequel j’ai beaucoup œuvré, surtout pour les enfants. Dans mes compétences aujourd’hui, je veille au stress des gens, au côté bien-être, la réinsertion. Tout ça, pour moi, c’est capital. Je suis sociale, c’est un fait. Je sais que les syndicats, par exemple, c’est dans leur ADN de manifester. Le mardi, ils manifestent et le vendredi ils viennent négocier l’accord social. Je constate surtout que le modèle de concertation belge fonctionne. Je n’ai jamais été dans un syndicat mais je comprends leur rôle, le modèle belge nous a apporté notre système de sécurité sociale et je veux le préserver."

Au Panthéon de la popularité perdue, Maggie De Block occupe une place de choix – elle qui caracolait en tête de tous les sondages lorsqu’elle était en charge de l’Asile.

Difficile d’être populaire quand on est ministre de la Santé? "Souvenez-vous, au début, quand j’étais à l’Asile, c’était très dur, la crise était énorme. On était avec les socialistes au gouvernement et j’ai réglé le problème en deux ans. Aux élections de 2014, ce n’était pas un sujet porteur, puis c’est venu dans l’actualité avec l’Irak et la Syrie. La politique d’asile de ce gouvernement, c’est la continuité de celle que j’ai moi-même imaginé avant 2014. Après, il y a une différence aujourd’hui dans la communication. Je ne juge pas: chacun son caractère. L’asile, c’est un département difficile mais très visible. Voilà pourquoi il rend les politiciens populaires ou pas du tout: très rapidement, on peut tout gagner ou être liquidé. Tandis que dans les Affaires sociales, c’est moins visible et les gens se sentent bousculés dans leur quotidien."

Encore un mot sur le budget, alors que le gouvernement entre en conclave budgétaire. "Les Affaires sociales et la Santé, c’est 100 milliards d’euros, un quart du budget de l’État. Quand on cherche quelques milliards, on essaye toujours de me trouver. Alors, oui, j’ai parfois envie de me cacher en dessous de la table."

Elle a dit cela avec le sourire.

Pas de doute: le blues du docteur a disparu.


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