Malik Ben Achour: "Une réforme de l'État peut servir à la réindustrialisation de la Wallonie"
Pour Malik Ben Achour, député PS, une réforme de l'État n'est pas prioritaire, mais le PS n'est pas opposé au principe de donner plus d'autonomie aux Régions.
Malik Ben Achour, 44 ans, est député PS de Verviers. Il s'est montré particulièrement offensif en commission Affaires extérieures lors de l'affaire des visas iraniens qui a secoué la majorité fédérale avant la trêve estivale. Il a répondu aux questions de L'Echo.
Comment vous sentez-vous en tant que socialiste dans cette coalition Vivaldi?
C'est ma première mandature et celle-ci a été particulière, car marquée par le covid qui nous a tenu à distance des dynamiques de majorité. Ces deux dernières années, on a pu travailler normalement. Au sein d'une majorité difficile, à sept partis, avec une aile gauche et une aile droite, on a obtenu des réformes importantes comme l'augmentation de la pension et du salaire minimum, la taxe sur les comptes-titres qui sont à la fois symboliques, concrètes et qui pourront être amplifiées à l'avenir. On a un bilan très bon.
La question budgétaire ne vous inquiète pas? On accuse le PS de se moquer des déficits.
Pas du tout. On s'en moque d'autant moins que, dans l'affaire des visas iraniens, cet enjeu a été un des éléments qui nous ont motivés à ne pas faire tomber le gouvernement. On serait partis pour plusieurs mois d'affaires courantes, budgétairement, cela aurait été être un désastre.
L'absence de réformes structurelles marque aussi la législature...
On ne peut pas l'imputer aux socialistes.
Et au niveau dépenses, l'effort en pensions paraît insuffisant. Le budget doit-il absorber le choc budgétaire du coût du vieillissement?
Le PS ne sera jamais un partenaire pour faire porter cette charge-là aux pensionnés. Faire des pensions une variable d'ajustement budgétaire, pour nous ce n'est pas imaginable.
"Notre ambition est de diminuer les impôts sur le travail sans nuire au financement de la Sécurité sociale."
Quelle est votre lecture de l'échec de la réforme fiscale?
C'est lamentable compte tenu de l'objectif qui était de diminuer les impôts sur les revenus des travailleurs, c'est une occasion manquée pour les classes moyennes. Nous sommes toujours partisans d'une réforme fiscale qui aille chercher des recettes nouvelles là où il y a de l'argent. Ce n'est pas nous l'élément bloquant. L'idée qu'on n'augmente pas les impôts est une escroquerie du MR. Cela ne veut rien dire. Les impôts ça n'existe pas. Il y a des impôts qui impactent de manière variée différentes catégories de population.
Ce qu'on veut au PS, c'est aller chercher de nouvelles recettes sur les plus hauts revenus et patrimoines pour permettre aux travailleurs de mieux vivre de leur travail et par ailleurs augmenter les moyens de l'État. On ne peut pas dissocier la question budgétaire de l'enjeu fiscal. Notre ambition est de diminuer les impôts sur le travail sans nuire au financement de la Sécurité sociale et des services publics. Il est déplorable que le MR ait refusé d'augmenter la taxe sur les comptes-titres de plus d'un million d'euros. Il était question de passer de 0,15 à 0,30%. Ça n'a quand même rien de confiscatoire! Le MR a décidé de protéger les super riches.
Suite à l'affaire des visas iraniens, la Belgique doit-elle revoir ses relations avec l'Iran?
J'ai croisé Hadja Lahbib juste après la séance plénière. Elle était bousculée et je lui ai tout de suite dit que je ne comprenais pas pourquoi il fallait porter le débat sur le terrain de la morale. Bruxelles a un statut diplomatique, il est normal qu'y soient reçues des délégations de pays qu'on n'aime pas. Pour moi, ça n'a jamais été l'enjeu. En matière de relations internationales, je suis un réaliste. Le problème n'est pas tellement d'avoir accepté la venue de cette délégation, mais la manière dont ça s'est fait. L'octroi de visa sur deux jours, une absence totale de screening avec des conséquences graves sur la sécurité de certaines personnes, en plus des mensonges et des versions différentes de la ministre.
Le Moyen-Orient est une région complexe où les choses bougent à grande vitesse. En mars, Arabie saoudite et Iran ont signé un accord sous l'égide de la Chine, il faut anticiper ce rapprochement et ajuster notre relation à l'Iran, faire preuve d'une grande fermeté et d'une vigilance permanente. Mais on doit maintenir les canaux de communication, notamment vu l'échec de la politique de "maximal pressure" de Donald Trump. L'Iran n'a jamais été aussi proche de l'arme nucléaire et une répression terrible s'est abattue sur la population. Certains préconisent aujourd'hui de rompre tout dialogue, Trump l'a fait sans que cela n'affaiblisse le régime.
"En décidant de soutenir sa ministre contre l'évidence, le MR a pris un tournant dangereux."
Comment Madame Lahbib pourra-t-elle poursuivre sans la confiance d'une partie de sa majorité? Quid de la prochaine présidence belge de l'Union européenne?
On verra comment les choses évoluent, mais la confiance sera difficile à retisser. Malgré sa crédibilité et sa parole abimées, elle a décidé de poursuivre sa mission. Je crois percevoir que dans ses services, il y a aussi quelque chose qui est abimé. Si cela provoque des dégâts sur l'image du pays, ce sera sa responsabilité.
Et la confiance vis-à-vis du MR?
En décidant de soutenir sa ministre contre l'évidence, le MR a pris un tournant dangereux. Cela veut dire qu'aujourd'hui, on peut mentir au Parlement, raconter n'importe quoi, se prendre les pieds dans le tapis sans qu'il y ait de conséquence. C'est un mauvais signal qui pourrait faire jurisprudence. Pas pour le bien de la gouvernance en Belgique.
La Belgique en fait-elle assez pour soutenir l'Ukraine? Le niveau de son soutien mine-t-il sa crédibilité au sein de l'Otan?
Ce n'est pas ce que je ressens. La Belgique fait ce qu'elle peut et ce qu'elle doit. Elle n'a jamais eu des expressions de nature à affaiblir le front de soutien à l'Ukraine. J'ai des contacts avec des députés ukrainiens qui n'ont pas fait de remarque en ce sens. La Belgique est considérée comme un partenaire solide et important.
"Agiter un drapeau ‘peace and love’ n'arrêtera pas Poutine."
Assiste-t-on à un changement de paradigme au PS sur la vision de l'armée?
Une guerre a éclaté sur le sol européen et la question des investissements militaires se pose de manière différente. Je n'ai pas de complexe par rapport à cela. Les codes du monde d'avant s'écroulent, je ne suis pas militariste, mais j'admets qu'on doit pouvoir se défendre puisque la Russie vient de démontrer qu'une agression sur le sol européen était encore possible.
On doit tendre vers les 2% de PIB pour la Défense et inscrire cet objectif dans une optique de réindustrialisation. Particulièrement en Wallonie où on a énormément d'atouts comme la FN Herstal, Cockerill.
Y a-t-il encore des pacifistes pur jus au PS?
Oui, mais quelle est l'alternative à partir du moment où la Russie a décidé d'entrer chez son voisin, et faire rouler des colonnes de chars sur la capitale? Si Kiev tombe, Poutine pourrait ne pas s'arrêter là. Agiter un drapeau "peace and love" n'arrêtera pas Poutine. Notre responsabilité est de permettre à l'Ukraine de construire le rapport de force le plus favorable possible. Une fois que les belligérants se diront l'un et l'autre qu'ils ne savent pas militairement améliorer leur situation, des négociations politiques pourront s'engager.
"Je ne crois pas que la campagne électorale doit se focaliser sur le débat institutionnel."
Que pensez-vous de la livraison par les États-Unis de bombes à sous-munitions?
C'est un problème majeur. À ce niveau, la Belgique est engagée via un traité que les grandes puissances n'ont pas signé. Ces armes font des dégâts majeurs, potentiellement sur des civils. Je prends toute la mesure de la difficulté éthique soulevée par cette question. De l'autre côté, je constate que ces armes sont déjà utilisées sur le terrain par la Russie. Dans l'idée de permettre à l'Ukraine de faire face, les USA ont tranché souverainement.
Faut-il une réforme de l'État?
Pour nous, le débat institutionnel n'est jamais une fin en soi. Par contre, s'il est posé comme un moyen pour améliorer l'efficacité de l'État vis-à-vis des travailleurs, je n'ai pas d'opposition de principe. Mais je ne crois pas que la campagne électorale doit se focaliser là-dessus. Les citoyens attendent des réponses par rapport à leur situation concrète, en termes de pouvoir d'achat, de soins de santés, etc. Je ne suis pas fermé, mais ce n'est pas une priorité.
Vu la situation budgétaire de la Wallonie, faudra-t-il le soutien du Fédéral? Le PS critique la loi de financement.
C'est un sujet d'inquiétude. Je ne suis pas hostile à une grande réforme institutionnelle qui permette aux Flamands de gagner l'autonomie qu'ils réclament. Dans ce cas-là, elle peut servir à un grand mouvement de redéploiement économique de Bruxelles et de la Wallonie sur base d'un projet profond de réindustrialisation.
Des moyens considérables ont déjà été engagés pour le redressement wallon.
Et qui donnent des résultats, peut-être pas suffisants, mais ces efforts commencent à porter leurs fruits.
- "L'idée qu'on n'augmente pas les impôts est une escroquerie du MR. Cela ne veut rien dire."
- "Faire des pensions une variable d'ajustement budgétaire, pour nous ce n'est pas imaginable."
- "La crédibilité et la parole de Madame Lahbib sont abimées. Si cela provoque des dégâts sur l'image du pays, ce sera sa responsabilité."
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