Caroline Désir: "L'école n'est pas le moteur de l'épidémie"
Les plus jeunes reprennent l'école ce lundi à temps plein. À partir de la 3e secondaire, les élèves auront des cours en "présentiel" et à distance. D'après la ministre de l'Éducation Caroline Désir (PS), ce système hybride pourrait se poursuivre en 2021.
Les jeunes retrouveront ce lundi les bancs de l'école mais pas tous de la même façon. Dans le fondamental et en 1re et 2e secondaire, les cours seront donnés en présentiel à plein temps; à partir de la 3e secondaire, ce sera en "présentiel" et à distance. L'Écho fait le point sur cette année hors normes avec la ministre de l'Éducation, Caroline Désir (PS).
L'enseignement "hybride" sera maintenu jusqu'au 18 décembre. Une évaluation aura-t-elle lieu avant cette date?
Nous restons en contact constant avec les experts. Après dix jours, on procédera à une première évaluation de la situation.
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Le 1er décembre, on l'examinera également avec les acteurs de l’enseignement. On doit monitorer les évolutions au fur et à mesure, mais aussi pouvoir donner des perspectives un peu plus stables à ces acteurs. Comme il reste cinq semaines entre le 16 novembre et les vacances de Noël, on a décidé que l’organisation mise en place, avec l’hybridation des enseignements dès la 3e secondaire, serait maintenue pendant toute cette période. Cette perspective nous semble raisonnable car même si les chiffres baissent, les experts répètent qu’il ne faudra pas revenir à la normale trop vite. Le déconfinement devra être très progressif.
"Même si les chiffres baissent, les experts répètent qu’il ne faudra pas revenir à la normale trop vite."
Et après Noël, on peut s’attendre à continuer sur ce mode hybride?
C’est une des possibilités. Chaque décision est prise en prenant compte des avis et des rapports que nous remettent les experts. Ceux-ci ont permis que l’école reste une priorité et il est important que nous continuions à avancer ensemble. Je ferai ce qu’ils me disent sur le plan sanitaire. Il n'est pas question de prendre des risques inconsidérés. Dans cette crise, nous avons constamment cherché l'équilibre entre le maintien de l’éducation au centre des priorités et la nécessité d’assurer la sécurité des enseignants et des élèves.
Que sait-on exactement quant à la circulation du virus en milieu scolaire?
Il n’y a pas de consensus scientifique global. Les experts belges s'accordent cependant sur le fait que l’école n’est pas le moteur de l’épidémie.
Les mesures mises en place depuis la rentrée ont plutôt bien porté leurs fruits, mais à un moment donné, quand les taux de contamination sont devenus à ce point importants dans la société, l’école a aussi été victime de l’emballement de l'épidémie. Le monde scolaire s'en est trouvé désorganisé et il a fallu le mettre en pause afin de permettre aux équipes de se reconstituer.
Les scientifiques s'entendent également sur le fait qu’il y a un âge pivot, autour de la puberté, où le risque est plus important, d’où la différenciation de notre approche à partir de la 3e secondaire. En Belgique, nous avons clairement choisi de faire de l’éducation une priorité. C'est aussi le cas dans d’autres États européens, comme la France, l’Irlande, les Pays-Bas…
"L'école n'est pas le moteur de l'épidémie."
Des raisons économiques ne motivent-elles pas aussi cette approche?
Je n’opposerais pas les raisons les unes aux autres. Forcément, pour que les gens puissent travailler, c’est mieux que leurs enfants aillent à l’école. Toutefois, en tant que ministre de l’Éducation, ma principale préoccupation n’est pas là. Elle consiste plutôt à dire : c'est notre jeunesse, notre avenir, comment fait-on pour la préserver face à cette crise?
Fin octobre, la situation dans les écoles était assez chaotique avec beaucoup d’enseignants absents. Peut-on s’attendre à des améliorations dans les prochaines semaines?
Les enseignants sont désormais considérés comme du personnel prioritaire et ils pourront donc être testés s’ils ont eu un contact à risque, même s’ils sont asymptomatiques. Cela signifie qu’ils pourront revenir en classe plus rapidement lorsqu'ils sont testés négatifs.
"Les enseignants sont désormais considérés comme du personnel prioritaire et ils pourront donc être testés s’ils ont eu un contact à risque, même s’ils sont asymptomatiques."
Il y a aussi un débat sur les tests rapides et les tests antigènes qui permettraient potentiellement de réagir plus rapidement face à un cluster dans une école. Les discussions se poursuivent. Notre but premier reste de maintenir le fonctionnement des écoles et d'éviter des fermetures pour des raisons organisationnelles.
Parlons un peu des élèves. Devront-ils passer des examens en décembre?
Les établissements sont libres d’en organiser ou pas. Le réseau Wallonie Bruxelles Enseignement (WBE) a très vite dit qu’il n'en ferait pas. Pas mal d’autres ont ensuite suivi.
Nous avons décidé de laisser la liberté aux écoles de s’organiser à ce propos car les situations sur le terrain sont vraiment très variées. Si certains suppriment les examens, c’est aussi parce que les organiser prend quasiment un mois : il y a les révisions, le temps de passage des épreuves et puis les délibérations. Avec la crise, on a perdu du temps d’apprentissage. Ne pas faire les examens permet donc de récupérer un mois à cette fin.
Vous êtes donc plutôt favorable à l'annulation des épreuves en décembre?
Je trouve que ça a du sens, mais on a fait le choix de laisser les écoles gérer cette question. En général, elles les annulent. Je pense qu’il faut surtout donner de la stabilité et de la souplesse aux établissements.
Cette souplesse, elle prévaut aussi en ce qui concerne l'hybridation des enseignements. On a fixé le cadre en disant qu'il ne pouvait y avoir que 50% de la population scolaire présente simultanément à partir de la 3e secondaire, mais on a laissé la faculté aux écoles de l'organiser. On a donc des établissements qui travaillent un jour sur deux, d'autres trois jours par semaine, d’autres encore une semaine sur deux...
Au-delà des examens de décembre, qu'en sera-t-il des épreuves certificatives (CEB, CE1D, CESS) prévues en juin?
Nous y travaillons. L'idée est de maintenir ces évaluations externes, car elles font partie des indicateurs importants pour évaluer le niveau de notre enseignement. L'administration a déjà travaillé sur la définition des essentiels, c'est-à-dire les points sur lesquels il convient de se concentrer pour permettre aux élèves d'évoluer. Cela a été fait en concertation avec les personnes en charge des épreuves certificatives afin d'ajuster au mieux ce qu'on doit apprendre à ce qui est attendu en matière de connaissance pour ces épreuves.
Maintenant, on ne sait malheureusement pas comment évoluera la situation sanitaire après janvier. Potentiellement, on sera sorti de la deuxième vague et on pourra reprendre le présentiel normalement, ce qui nous permettra de passer ces épreuves quasi sans changement. Si ce n’est pas le cas, on travaillera pour les ajuster le mieux possible. L'idée est évidemment que les élèves n'accumulent pas un retard d'apprentissage qui mettrait en péril leur scolarité.
Pour réussir, ces élèves doivent pouvoir compter sur leurs enseignants. Certains d'entre eux ne sont-ils pas aussi en situation de décrochage?
On constate parfois un décrochage numérique chez les enseignants. Il ne faut pas le sous-estimer. On a des différences générationnelles, mais aussi de feeling avec l'outil numérique. Depuis mars, on a pas mal travaillé sur le sujet. Nous avons mis des formations en place dès le mois d'août, mais aussi demandé aux écoles de préparer une stratégie d'hybridation dès le mois de septembre. Elles ont eu peu de temps pour tout organiser concrètement après Toussaint, mais on leur avait demandé d'y travailler dès la rentrée, sachant qu’une reprise de l’épidémie était possible.
Elles sont toutes prêtes aujourd'hui?
C'est une question à laquelle il est plus ou moins impossible de répondre. Ce qui est sûr c'est qu'elles y ont toutes travaillé et qu'elles ont fait des bonds de géant par rapport à la situation dans laquelle elles se trouvaient au mois de mars.
"Les écoles ont fait des bonds de géant par rapport à la situation (numérique) dans laquelle elles se trouvaient au mois de mars."
Au-delà des formations pour les enseignants, nous avons mis en place la plateforme numérique "happi" pour les établissements qui ne disposaient pas encore d'un tel outil. Aujourd'hui, celle-ci est employée dans 759 établissements, ce qui représente 216.843 utilisateurs, un succès au-delà de nos espérances.
Sur cette plateforme, on a aussi mis un module de formation en e-learning pour les enseignants. Il explique aux profs comment facilement faire basculer un cours en présentiel en cours à distance. Ce sont des outils concrets et pratiques qui fonctionnent. En parallèle, nous accélérons le recrutement de référents numériques et de conseillers pédagogiques pour les écoles. Il faut qu'il y ait dans les équipes éducatives des personnes pouvant venir en aide à ceux qui sont décrochés.
Vous parlez de basculer des cours en présentiel en cours à distance. L'approche n’est-elle pas totalement différente?
Bien entendu, on ne fait pas un cours en visioconférence comme on le ferait en classe. Ça doit être plus court, l'attention des élèves est différente… Il faut aussi garder à l'esprit qu'on n'est pas obligé de recourir uniquement au numérique.
L'hybridation nous offre beaucoup plus de possibilités que celle d’un enseignement ‘full distanciel’. Ce qui est vraiment important, c'est de garder des allers-retours et des relations en présentiel entre les élèves et les enseignants, ce qui a beaucoup manqué pendant le premier confinement.
On peut faire beaucoup à distance, pour autant que la relation professeur-élève puisse être constamment réalimentée. Quand on a deux jours de cours avec les enseignants, ça permet de donner du travail à la maison en autonomie. Ça peut être via le numérique, mais ça peut aussi être lire un livre, rédiger quelque chose…
L’enseignement hybride équivaut-il en termes de qualité à l’enseignement classique?
Je crois que c’est la moins mauvaise solution, parce qu’on doit répondre aux difficultés sanitaires. Je préfère mille fois cette option avec laquelle on garde des possibilités de contacts plutôt que celle du 100% distanciel. Je privilégierai toujours l’enseignant dans sa classe, mais ce système hybride me paraît un palliatif raisonnable.
"Je privilégierai toujours l’enseignant dans sa classe, mais ce système hybride me paraît un palliatif raisonnable."
Malgré les efforts déployés, ne risque-t-on pas d’avoir une génération d’élèves disposant d’une formation moins complète?
Il faut faire confiance aux enseignants. On a aussi alimenté les professeurs sur les essentiels afin qu’ils puissent se recentrer sur ce qu’il faut absolument savoir. Si cette année, des parties ne peuvent pas être vues et qu’elles ne sont pas indispensables à la poursuite des apprentissages, on peut accepter que des solutions de crise soient prises.
Évidemment, on ne veut pas pénaliser le parcours des élèves. Là où on doit faire attention, c’est que cette crise agit comme un miroir grossissant des difficultés préexistantes. On a déjà un enseignement très inégalitaire, donc on doit surtout faire attention au public fragile, qui ne dispose pas nécessairement d’un environnement à la maison pour prendre le relais quand la situation est chaotique à l'école.
Au-delà des défis, cette crise a-t-elle eu des aspects positifs pour l'enseignement?
Évidemment, il y a eu l'investissement dans le numérique et sa stratégie. On peut aussi mentionner les moyens débloqués pour les installations sanitaires ou encore les avancées potentielles sur le dossier des rythmes scolaires.
À ce propos, on peut envisager des grandes vacances raccourcies dès 2021?
Il est prématuré de répondre à cette question. Le Pacte d’excellence prévoit bien de repenser les rythmes scolaires, mais le but n'est pas d'accélérer le processus et de faire appliquer une réforme dès cette année. Toute décision quant aux vacances 2021 devra faire l'objet d'une concertation avec l'ensemble des acteurs concernés.
Ceci étant dit, il y a clairement un consensus sur l’idée d’aboutir à terme à un meilleur équilibre entre les périodes d’école et de vacances, en alternant sept semaines de travail puis deux de congé. Naturellement, si on veut rajouter une semaine aux vacances de Toussaint et de Carnaval, il faudra pouvoir mordre sur les vacances d’été.
Par la force des choses, on a déjà dû passer à deux semaines à la Toussaint. Il n’est pas impossible qu’on doive en faire de même au Carnaval. En quelque sorte, on a déjà pu tester une nouvelle formule.
La durée de la crise vous a amenée à suspendre plusieurs réformes du Pacte d’excellence. N’y a-t-il pas le risque que cette législature soit perdue pour faire avancer ce grand chantier?
On a essayé, autant que possible, de maintenir le timing, mais la crise est telle que cela n’était plus réalisable. Un moment donné, tous les réseaux nous indiquaient que l’adhésion commençait à être perdue dans les équipes.
Comment voulez-vous qu’un directeur qui doit gérer des cas de contamination quotidiens puisse dans le même temps se mobiliser sur un plan de pilotage et sur d’autres sujets liés au Pacte? Il fallait être raisonnable et accepter de laisser les acteurs de terrain se concentrer sur le pédagogique et la gestion de la crise. Reporter d’un an des réformes, c’est une forme de renoncement, mais à l’impossible nul n’est tenu.
Qu’en est-il de la nouvelle mouture du décret inscriptions. Elle sera prête pour la rentrée 2022?
On y travaille d’arrache-pied. Un an a déjà été perdu par rapport au timing initial. Une note d’orientation est passée il y a peu et le but est d’avoir un projet de texte pour fin décembre.
On parle aujourd’hui beaucoup du plan de relance. L’Éducation en fera-t-elle partie?
Cela doit encore faire l’objet de négociations. Selon nous, un enjeu fondamental est de réduire les inégalités scolaires. Dans cette optique, on pourrait notamment chercher à pérenniser l’aide de 17 millions qui avait été dégagée pour l’accompagnement personnalisé des élèves qui connaissent des difficultés.