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interview

"Il faut être honnête: on ne sait pas quelle va être la durée de l'épidémie"

Les mesures prises par le Conseil national de sécurité étaient nécessaires, estime le virologue. Il faudra attendre une semaine environ pour savoir si elles sont suffisantes. ©Photo News

Les mesures qui entrent en vigueur pour trois semaines devront-elles être prolongées, voire renforcées? Tout dépend de leur effet sur la progression du virus, qui devrait être clairement observable d'ici une semaine, explique l'épidémiologue Marius Gilbert (ULB).

Les mesures décidées par la Belgique pour lutter contre le coronavirus étaient nécessaires, estime l'épidémiologiste Marius Gilbert, de l'Université libre de Bruxelles. Seront-elles suffisantes et devront-elles être prolongées ? On devrait y voir plus clair d'ici une semaine, si l'augmentation du nombre de cas ralentit significativement, explique-t-il.

Des mesures fortes sont prises en Belgique contre la propagation du coronavirus, c'est la réponse qui était nécessaire?

Pour qu'il y ait un ralentissement, il faut que le nombre de contacts potentiellement infectieux soit réduit de 60% à 80% sur l'ensemble de la population.

Marius Gilbert
ULB

C'était effectivement des mesures fortes comme celles-là qu'il fallait. L'alternative était de prendre des demi-mesures, de se retrouver dans une situation problématique dans deux semaines et de devoir prendre des mesures plus fortes plus tard. Il y a eu un choix stratégique: en faisant cela, on se donne les meilleures chances d'infléchir la courbe épidémique rapidement.

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Le restaurateur qui doit fermer peut-il se consoler en se disant que plus tard on prenait cette mesure, plus longtemps il aurait dû fermer ?

Le monde de la santé va être au combat dans les prochaines semaines, mais c'est une mobilisation générale. C'est une épidémie qui concerne tout le monde (...).

Marius Gilbert
ULB

On se donne la possibilité de frapper relativement fort sur l'épidémie pour qu'elle n'ait pas une extension trop importante, un peu irrattrapable. Le monde de la santé va être au combat dans les prochaines semaines, mais c'est une mobilisation générale. C'est une épidémie qui concerne tout le monde, qu'on soit employé, indépendant, chômeur, enseignant, dans le secteur associatif. Et il n'y a pas de raison que certains en paient un prix plus lourd que d'autres d'un point de vue économique. Le rôle de l'État est d'assurer une sorte de solidarité collective dans la réponse à cette épidémie. Mais c'est une considération générale qui sort de mon domaine de compétence, évidemment.

Agir tôt permet-il de restreindre la durée totale de confinement? Les mesures sont prises pour trois semaines...

Il faut être honnête: on ne sait pas quelle va être la durée totale de cette épidémie. On espère que ces mesures seront assez fortes pour que l'augmentation des cas diminue, qu'on ait un plafond, puis que le nombre de cas baisse. Dès le moment où le nombre de cas diminue significativement, on peut commencer à relâcher la pression sur les différentes mesures mises en place. De façon parcimonieuse, parce que si on relâche tout d'un coup, ça va remonter tout aussi vite. À ce moment, il y aura des arbitrages pour savoir de quel côté relâcher en premier.

Pour l'instant, le nombre de cas continue d'augmenter fortement, faut-il s'attendre à ce que la progression exponentielle se poursuive dans les jours qui viennent?

On peut en tout cas s'attendre à une augmentation des cas pendant encore cinq ou six jours. Les cas que vous détectez aujourd'hui se sont infectés il y a en moyenne cinq jours. 

Si dans six jours, l'augmentation des cas ne ralentit pas clairement, faudra-t-il en conclure que les mesures n'étaient pas suffisantes ?

Effectivement, si on se rend compte que les mesures ne ralentissent pas l'épidémie, il faudra peut-être passer par des choses plus fortes.

Marius Gilbert
ULB

Peut-être, il faudra voir comment les choses évoluent. Après une bonne semaine, si ça ne ralentit toujours pas, il est vraisemblable qu'il y aura encore énormément de transmissions. Pour qu'il y ait un ralentissement, il faut que le nombre de contacts potentiellement infectieux soit réduit de 60% à 80% sur l'ensemble de la population. De "contact", c'est-à-dire d'interactions directes ou indirectes qui peuvent amener à la transmission de la maladie. C'est impossible de le faire sans passer par des mesures assez fortes.

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La France ferme ses crèches, l'Autriche ferme des commerces non essentiels, certains pays ferment leurs frontières... Faut-il se préparer à ce que d'autres mesures puissent être demandées aux Belges?

Il y a une cohorte de pays qui sont dans une situation analogue à la Belgique en termes de progression de l'épidémie: des pays qui ne sont pas dans la situation italienne, mais dans lesquels l'épidémie augmente à une vitesse exponentielle et dans lesquels il fallait absolument la ralentir. Si on se rend compte que ces mesures ne ralentissent pas l'épidémie, il faudra peut-être passer par des choses plus fortes. Parmi l'éventail, on travaille principalement sur le taux de contacts. Les fermetures aux frontières sont relativement inefficaces, surtout dans un contexte où la maladie circule dans la plupart des pays. Généralement, ces mesures servent plus à rassurer l'opinion publique qu'à agir efficacement contre l'épidémie.

En Belgique, on ferme (en partie) les écoles, mais pas les crèches, comme en France...

Je pense que ce ne sont pas nécessairement des critères épidémiologiques qui sont intervenus dans ce cas, mais plutôt des critères de faisabilité. Le choix clair a été de maintenir malgré tout un minimum d'activité économique.

La fermeture de villes, voire de quartiers, comme en Chine ou en Italie: peut-on dire aujourd'hui qu'on ne va pas vers ça en Belgique ?

On ne peut jamais dire jamais. On va d'abord voir quel est l'effet des mesures qui sont prises ici. Les fermetures totales ont des conséquences tellement fortes sur la vie sociale qu'elles ne sont envisagées qu'en tout dernier recours. Je ne vois pas le gouvernement décider des mesures de ce type à moins de passer dans une situation absolument critique au niveau hospitalier. C'est la situation dans laquelle se retrouve l'Italie. On a la chance d'être en avance là-dessus et de pouvoir essayer de prendre des mesures qui nous évitent d'arriver dans une situation aussi critique.

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