Maxime Prévot (Les Engagés): "Nous devons compter sur les compétences issues des flux migratoires"
Le président des Engagés en appelle à un débat sans retenue sur la stratégie migratoire de la Belgique. Notamment pour faire face aux pénuries de main-d'œuvre.
Semaine positive pour les Engagés. Le mouvement issu de la refonte programmatique du cdH vient de propulser l'ex-patron de l'Union wallonne des entreprises, Olivier de Wasseige, comme tête de liste pour les prochaines élections régionales dans la circonscription de Liège. Coup de barre à droite? Le président et député-bourgmestre de Namur, Maxime Prévot, se veut toujours "rassembleur de sensibilités de gauche et de droite" afin de redonner son poids politique au centrisme, qu'il estime être le garant de l'action politique, surtout au Fédéral. Entretien.
Le Conseil d’État a cassé la mesure de Madame de Moor sur l'accueil des demandeurs d'asile masculins. Réaction?
Ce n’est pas une surprise. Cela fait longtemps que les Engagés dénoncent cette mesure et son illégalité. Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable, il y a une difficulté dans la politique d’accueil, mais ce n’est pas avec des mesures restrictives qu’on va régler le problème. Cela pose une question globale : quelle politique migratoire ce pays souhaite-t-il assumer ? Or, on n’ose pas mener un vrai débat public sur cette stratégie. On vit les prémices d’une intensification des flux de migration à l’échelle globale. Des crises économiques, climatiques, sociales, politiques, alimentaires vont générer des déplacements. Beaucoup de politiques s’enferment dans un débat pollué par l’approche française qui veut que parler de migration, c’est faire le jeu des extrêmes. Je pense au contraire que refuser d’en parler avec sérénité et hauteur alimente le rejet.
L’enjeu est surtout européen. Le débat fait rage…
Enfin! Le Canada a compris depuis longtemps, comme l’Allemagne, que pour pouvoir équilibrer le système économique, alimenter les caisses de pensions, procurer à nos entreprises la main-d’œuvre qu’elles ne parviennent pas à trouver, il faut compter sur les compétences issues des flux migratoires.
Vous soutenez donc l’appel de M. Di Rupo concernant les régularisations ?
Je ne suis pas favorable à une régularisation massive et sans critères, mais je souscris à l’idée de pouvoir à la fois réactiver nos propres demandeurs d’emploi et de compléter les besoins de main-d’œuvre par des personnes qui viennent de l’étranger et disposent de compétences requises ou de la volonté qui fait parfois défaut.
"Comme bourgmestre, je reçois toutes les semaines des gens qui sont en demande de régularisation."
Même des illégaux ?
Évidemment. Un illégal travaille souvent en black pour subvenir à ses besoins. Comme bourgmestre, je reçois toutes les semaines des gens qui sont en demande de régularisation. Ils ont des compétences, ont parfois des enfants qui n’ont connu que la Belgique. Cette question doit faire l’objet d’une stratégie publique comme c’est le cas dans d’autres domaines. Depuis des années, nous plaidons, avec le secteur associatif et économique, pour des critères de régularisation clairs.
Quels genres de critères ?
Par exemple l’adéquation entre les profils et les métiers en pénurie. Il faut pouvoir être beaucoup plus réactif sur les permis de travail. J’ai des courriers d’employeurs qui signent des promesses d’engagement à destination de l’Office des étrangers. Comme la procédure patine parfois des années durant, on favorise le travail au noir, on prive l'État de recettes et cela précarise l’employeur.
Les communes doivent-elles faire plus pour accueillir les demandeurs d’asile?
Tout le monde doit jouer son rôle. Je suis très à l’aise pour en parler, Namur est la seule ville de Wallonie qui a accepté deux centres d’accueil. Au-delà des craintes que cela peut générer, à partir du moment où l’encadrement est garanti par la Croix-Rouge, que la population s’implique et que l’autorité communale s’engage, la cohabitation se passe de manière correcte.
Il y a un système de répartition par communes, qui ne semble ne pas donner les résultats escomptés.
Le problème, c'est que les prédécesseurs de Mme de Moor, au motif que nous n’étions plus face à un pic migratoire, ont fait fermer des capacités.
Faut-il offrir des chambres d’hôtel pour éviter la condamnation à répétition de l’État ?
Non, ce serait l’aveu de l’incurie de l’État, mais il est anormal que celui-ci se fasse condamner des milliers de fois.
Le PS entend faire campagne sur la réduction du temps de travail. Qu’en dites-vous ?
Je suis contre. Nous préférons la possibilité de concentrer sur quatre jours son temps plein au lieu de cinq (une possibilité qui existe depuis le jobs deal, NDLR). Ainsi, on libère un jour pour un meilleur équilibre avec la vie privée, avec un effet bénéfique sur la mobilité en permettant de mettre le travail en phase avec la réalité de beaucoup de familles recomposées. Et on reste rémunéré pour un temps plein, car on preste un temps plein. Allez expliquer que la recette miracle pour créer de l’emploi sans flinguer notre compétitivité, c’est de se lever le matin pour être payé cinq jours en n’en travaillant que quatre. Intellectuellement, je ne peux pas y souscrire.
Je préconise par ailleurs un droit au rebond deux fois dans la carrière. Il n’y a rien de plus aberrant que quelqu’un qui se sent mal au travail, refuse de démissionner parce qu’il perdra les allocations de chômage et bascule parfois en maladie.
"Je ne connais pas beaucoup d’entreprises qui restent rigides sur leurs principes de recrutement."
Les entreprises doivent-elles aussi se remettre en question ?
Elles le font. Je ne connais pas beaucoup d’entreprises qui restent rigides sur leurs principes de recrutement, surtout lorsqu’elles sont confrontées à une pénurie de main-d’œuvre. Pour réactiver nos demandeurs d'emploi, nous proposons la fin des allocations de chômage après deux ans. À la différence d’autres partis, pour ne pas ajouter de la précarité à la précarité, on préfère garantir 75 ou 85 % du salaire pour amortir le choc et plus facilement rebondir. Après deux ans, s’ouvrirait un droit à l’emploi, le pouvoir public devant faire des propositions. Si les refus se multiplient, ce sera le RIS. Il y a de moins en moins de personnes qui acceptent l’injustice entre un travail trop faiblement rémunéré et les montants des allocations. Il faut donc une réelle réforme fiscale. La nôtre porte sur plus de 40 milliards et a le courage de la crédibilité budgétaire. C’est une des choses qui ont convaincu Olivier de Wasseige de nous rejoindre.
Dans ses principes, votre projet n’est pas si éloigné de la réforme Van Peteghem.
Sauf que celle-ci s’est effritée après des chamailleries. Cela a fait pschitt.
M. Di Rupo annonce une réforme du Forem. Comment l’accueillez-vous ?
Avec bienveillance et un sourire en coin. Qu’enfin un socialiste daigne vouloir réformer le Forem doit être souligné, mais les années passées m’ont convaincu que sans approche radicale de changement, on va faire avec le Forem ce qu’on fait avec la fiscalité: des ajustements marginaux.
Il y a un vrai problème de fond au Forem?
Il y a trop de formations dispensées et certaines d’entre elles n'attirent quasi personne. Certaines ont davantage une vocation occupationnelle que stratégique par rapport au marché de l’emploi.
"La future patronne du Forem sera issue d’un cabinet ministériel socialiste, cela ne me donne pas confiance."
C’est un peu surréaliste, ce que vous dites…
Il faut questionner cette situation en acceptant de fermer certaines filières pour en développer d’autres. Attention, il y a aussi des choses bien qui sont faites par le Forem. Mais je doute de l’efficience, c’est-à-dire du résultat obtenu par rapport à l’argent public qu’on y injecte. Il faut une approche différente, et quand on annonce que la future patronne de l’outil sera issue d’un cabinet ministériel socialiste, cela ne me donne pas confiance. La personne a beaucoup de qualités, je ne la vise pas à titre personnel et il faut arrêter le bashing anticabinet, mais le moment n’est-il pas venu d’offrir une gouvernance différente au Forem ? On me répondra que l’organe de gestion est paritaire et que le président est extérieur, mais les réticences internes au changement et l'obstruction demeurent. On doit repenser la gouvernance du Forem.
Et dépolitiser le management?
Je pense.
Y a-t-il des choses qui vous gênent dans le manuel Evras ?
Ce qui m’indigne surtout, c’est qu’on s’en prenne à des écoles. Je condamne fermement ces actes. Et il faut remettre les choses en perspective. On parle de deux fois deux heures de sensibilisation sur un parcours scolaire de 12 ans. Ça me semble un minimum pour sensibiliser, éveiller, déculpabiliser une série d’enfants par rapport à des questionnements ou des vécus qui sont les leurs. J’ai eu le témoignage de quelqu’un de 35 ans qui aurait mieux vécu son homosexualité si on lui avait expliqué qu’il n’y avait pas de raison de culpabiliser. Hélas, à 12 ans, la plupart des enfants sont déjà allés sur des sites porno. Cette sensibilisation est nécessaire.
Trois de vos députés se sont pourtant abstenus sur ce texte.
Exact. Ce qui posait problème, c'est le statut du guide et la manière dont il était rédigé qui pouvait laisser penser que c’était le vocabulaire à utiliser avec les enfants. On a marqué des réserves au niveau méthodologique et la ministre a reconnu que c’était un guide à destination des professionnels qui ne devait pas faire l’objet de copier-coller. Mais nous avons soutenu la démarche.
"Ce n’est pas avec les slogans du clivage gauche-droite que l’on fera oeuvre commune."
Avec les profils que vous venez de recruter, vous assumez chasser sur les terres électorales du MR ?
Si le PS n’a pas le monopole du cœur, le MR n’a pas celui de l’entrepreneuriat. Ma formation résolument centriste aspire à rassembler des personnes qui ont des sensibilités de gauche et des sensibilités de droite pour faire progresser chacun, réhabiliter le bien commun plutôt que de servir une clientèle électorale. Nous sommes en opposition à une gauche qui se cramponne à des acquis et à une droite qui s’accroche à des privilèges. Ce n’est pas avec les slogans du clivage gauche-droite que l’on fera œuvre commune. On a cru qu’un gouvernement alliant des partenaires de gauche et de droite allait mener une politique du centre. Il n’en est rien, c’est une politique du blocage. La Belgique tournait mieux quand la force du centre était plus pesante, parce qu’elle était la seule capable d’obtenir des résultats entre une Wallonie qui penche de plus en plus à gauche et une Flandre de plus en plus à droite.
Le MR s’est-il déporté à droite, selon vous ?
La posture, la manière, les mots, l’agressivité interpellent beaucoup de libéraux, et singulièrement de libéraux sociaux qui me disent ne plus se retrouver dans cette ligne droitière, revendiquée populaire, parfois un tantinet populiste.
"À l’heure où je vous parle, Joëlle Milquet n’a pas manifesté le souhait d’être candidate."
On dit que la présidence du MR isole le parti de ses partenaires, c’est aussi le cas avec les Engagés ?
J’ai le devoir d’entretenir de bonnes relations avec tout le monde, mais il y a des manières de faire de la politique qui ne sont pas les miennes. Cependant, je n’exclus personne.
Vos nouvelles têtes sont surtout masculines, vous ne risquez pas un problème d’équilibre hommes-femmes sur vos listes?
Rassurez-vous, il y aura des femmes têtes de liste et à la Région et au Fédéral, mon objectif est de pouvoir annoncer toutes les têtes de liste d’ici le 7 octobre.
Madame Milquet sera-t-elle candidate ?
Elle ne sera pas tête de liste, mais à l’heure où je vous parle, elle n’a pas manifesté le souhait d’être candidate.
- "Nous prônons la possibilité de concentrer sur quatre jours son temps plein au lieu de cinq."
- "Sans approche radicale de changement, on va faire avec le Forem ce qu’on fait avec la fiscalité: des ajustements marginaux."
- "La Belgique tournait mieux quand la force du centre était plus pesante."
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