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Soupçons de corruption par le Qatar: la vice-présidente du Parlement européen inculpée et écrouée

Eva Kaili dormira en prison ce soir, après son inculpation pour blanchiment, organisation criminelle et corruption. ©Photo News

Le juge Claise a inculpé et écroué quatre personnes pour organisation criminelle, blanchiment et corruption. La vice-présidente du Parlement Eva Kaili en fait partie.

Cette fois-ci, la bombe a bel et bien explosé. Le juge Michel Claise a inculpé et placé quatre personnes sous mandat d'arrêt, dans le cadre de l'enquête sur des soupçons de corruption menée par le Qatar au cœur du Parlement européen. Ils devront répondre de très lourdes prévention: organisation criminelle, corruption et blanchiment d'argent. Selon nos infomations, la Grecque Eva Kaili, vice-présidente du Parlement européen est écrouée.

Parmi les six personnes qui avaient été interpellées dans le cadre du Qatargate, figuraient son père, ainsi que son compagnon italien, F. G., un assistant parlementaire. Les deux derniers sont aussi italiens: Luca Visentini, récemment élu secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, ainsi que Pier Antonio Panzeri, parlementaire européen durant 15 ans, ancien président de la sous-commission "droits de l'homme" au Parlement.

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Le domicile de l'eurodéputé Marc Tarabella, 59 ans, a par ailleurs fait l'objet d'une perquisition, ce samedi soir, par les enquêteurs de l'Office central de répression de la corruption, selon des informations du Soir et de Knack, confirmées à bonnes sources par L'Echo. la Commission de Vigilance fédérale du PS a décidé, ce dimanche, de convoquer Marc Tarabella sans délai.

Le montant total de la somme retrouvée dans des sacs au domicile d'Eva Kaili est considéré par une source proche du dossier comme étant à six chiffres.

Ce membre du PS et des sociaux-démocrate européens (S&D) intéresse de près le juge d'instruction Michel Claise et le parquet fédéral, qui mènent l'enquête. Les perquisitions ont permis la saisie de matériel informatique qui devra être analysé de près avec l'appui de la Federal computer crime unit. M. Tarabella, qui bénéficie de l'immunité parlementaire, n'a pas été interpellé.

Eva Kaili a été rapidement exclue de son parti, le Pasok, ainsi que du groupe social-démocrate (S&D). Ce samedi, l'argent liquide saisi dans des sacs retrouvés à son domicile n'avait pas encore été compté, en attente du résultat d'expertises techniques sur les billets de banque. Le montant total de la somme retrouvée est cependant considéré, selon les informations de L'Echo, comme étant à six chiffres. 600.000 euros en cash avaient été retrouvés vendredi matin, au domicile d'un autre suspect.

La police s'intéresse à la sous-commission "droits de l'homme"

L'enquête est très loin d'être achevée et pourrait réserver d'autres surprises. Les limiers de l'Office central de répression de la corruption (OCRC) continuent à s'intéresser aux activités du Parlement européen, notamment celle des parlementaires de la sous-commission des droits de l'homme (DROI), faisant partie de la commission des Affaires étrangères, et dont fait partie Marc Tarabella.

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Aujourd'hui, le cœur de l'enquête réside dans le décryptage des discours de parlementaires européens qui ont pris publiquement le parti du Qatar, alors que ce pays est soupçonné, affirment plusieurs sources proches du dossier, d'être au cœur d'un système visant à corrompre des personnalités centrales du parlementarisme européen afin d'améliorer l'image du pays dans l'opinion publique et de peser sur des dossiers-clés.

"Le Qatar a déjà réalisé l'impossible."

Eva Kaili çS&D)
Vice-présidente du Parlemen européen, en plénière, le 21 novembre

Ainsi, alors que des éléments de langage décrivant la position du Parlement avaient été rédigés à sa destination par des fonctionnaires européens, ceux-ci n'avaient pas été suivis par Eva Kaili, lors de sa visite au Qatar, le 1ᵉʳ novembre dernier, où elle devait représenter la présidente du Parlement. Au contraire, elle a salué le travail du ministre du Travail qatari, Ali bin Samikh Al Marri.

Le Qatar, ces "pionniers en matière de droit du travail"

Les enquêteurs s'intéressent surtout aux déclarations émises en séance plénière, le 21 novembre dernier. Eva Kaili avait salué l'évolution du pays à la tribune du Parlement: "Aujourd'hui, la Coupe du monde de football au Qatar est une preuve concrète de la façon dont la diplomatie sportive peut aboutir à une transformation historique d'un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe." Elle est même allée jusqu'à qualifier le Qatar de "pionner en matière de droit du travail", de "négociateurs de paix", de "bons voisins et partenaires" qui ont "déjà réalisé l'impossible".

Toujours selon nos informations, l'enquête s'intéresse aujourd'hui de près à d'autres parlementaires, alors que les bureaux des assistants parlementaires de deux députés européens socialistes belges, Marie Arena et Marc Tarabella, ont été placés sous scellés. Tous deux bénéficient de l'immunité parlementaire, alors que celle d'Eva Kaili a été brisée par le flagrant délit et la découverte d'argent liquide.

"La situation n’est pas parfaite au Qatar aujourd’hui, loin de là. Beaucoup de progrès restent à faire, mais c’est quand même le pays qui s’est engagé sur la voie des réformes."

Marc Tarabella (S&D)
Parlementaire européen, en plénière, le 21 novembre

Le 21 novembre, à la suite d'un débat houleux, la plupart des sociaux-démocrates (S&D), dont les socialistes belges Marie Arena et Marc Tarabella, mais aussi Eva Kaili, s'étaient opposés à une résolution du Parlement sur les droits de l'homme au Qatar, deposée par Manon Aubry (Les Insoumis, GUE), pour une fois suivie par les chrétiens-démocrates, les verts et certains libéraux. "Le Qatar souhaitait par-dessus tout éviter une telle résolution, et a notamment agi par son ambassade", indique une source proche du Parlement européen.

Marc Tarabella s'étaient notamment distingué par des discours très à l'avantage du Qatar, alors que la gauche parlementaire européenne était jusqu'ici critique envers l'État moyen-oriental. En séance plénière, le 21 novembre, le natif d'Ougrée et ancien ministre wallon de la Formation, avait salué les "progrès sur le droit des travailleurs" réalisés par le Qatar.

"La situation n’est pas parfaite au Qatar aujourd’hui, loin de là. Beaucoup de progrès restent à faire, mais c’est quand même le pays qui s’est engagé sur la voie des réformes", avait-il scandé, fustigeant "le discours unilatéralement négatif" qui lui "apparaît préjudiciable à l’évolution des droits dans l’avenir au Qatar". Son discours était auparavant nettement plus critique vis-à-vis du Qatar.

Un lobbying actif sur l'exemption de visa

Marie Arena, présidente de la sous-commission des droits de l'homme après avoir succédé à Antonio Panzeri, aujourd'hui détenu, a eu des termes plus mesurés, mais c'est elle qui avait invité à s'exprimer à la tribune le ministre du Travail Ali bin Samikh Al Marri. Elle a salué "des avancées", avant de nuancer: "Il y a eu des violations, des morts et il faut des compensations. Nous devons travailler avec le Qatar pour que ces compensations aient lieu."

Le 1er décembre, la commission "Libertés civiles" (LIBE) a adopté, par ailleurs, un règlement accordant au Qatar la fin de l'obligation de visa en arrivant sur le sol européen, une disposition attendue de longue date par les Qataris. La commission européenne avait proposé au Parlement d'adopter cette exemption dès le mois d'avril dernier. Derrière cette proposition se trouvait le commissaire européen aux "questions migratoires" et à la "promotion du mode de vie européen", le Grec Margaritis Schinas. Ce dernier avait, lui aussi, rencontré le fameux ministre du Travail Ali bin Samikh Al Marri, le 20 novembre dernier, la veille du débat houleux sur la Coupe du monde au Qatar.

"Toute allégation de mauvaise conduite de la part de l'État du Qatar témoigne d'une grave désinformation", a réagi un membre du gouvernement qatari, samedi.

De son côté, le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, a qualifié de "très inquiétante" la nouvelle de cette enquête.

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