Une retraite "tous soins compris" sous le soleil de Tunisie
Depuis 2009, des dizaines d'Européens âgés et plus ou moins dépendants décident de s'installer en Tunisie. Des maisons de retraite médicalisées leur proposent des soins personnalisés à moindre coût dans le confort d'hôtels en bord de mer. Le service séduit et offre des débouchés inespérés pour le tourisme local.
En ancien maçon, il pourrait apprécier les dimensions de la piscine devant lui, mais l'octogénaire préfère regarder un enfant russe s'ébattre dans l'eau pendant qu'un serveur lui apporte une menthe à l'eau et que Meniare, l'une de ses deux aides-soignantes attitrées, décale discrètement sa table pour qu'il reste à l'ombre. Peut-être piquera-t-il une tête tout à l'heure? "Des piscines, j'en ai construit dans ma vie, maintenant, c’est à moi d'en profiter", philosophe François Fernand. Le Français vit depuis juin au Palmyra Beach de Sousse, à 150 km au sud de Tunis. Non pas comme touriste, mais comme pensionnaire de Resort Medical, maison de retraite médicalisée installée au cœur de l'hôtel 3 étoiles.
"La Tunisie est la destination parfaite: c'est un pays francophone qui compte plus de 300 jours de soleil par an avec une main-d'œuvre médicale et un plateau technique à la hauteur."
Ils sont une petite centaine d'Européens à avoir traversé la Méditerranée pour passer leur fin de vie au soleil, dans un cadre relaxant et un suivi personnalisé. Médecin généraliste et gérant de cliniques en France, Jean-Pierre Delestang, défricheur du marché, a créé Resort Medical en 2008. "La Tunisie est la destination parfaite: c'est un pays francophone qui compte plus de 300 jours de soleil par an avec une main d'œuvre médicale et un plateau technique à la hauteur." Et un dinar qui a chuté de 85% depuis 2008. Autant d'arguments qui ont convaincu Jeanine, la femme de Fernand François, de tenter l'aventure. Atteinte d'un début de Parkinson, elle avait de plus en plus de mal à gérer sa maladie et son mari, touché par Alzheimer. "Un jour, je suis tombée dans le parking d'un supermarché. Je ne pouvais plus me relever et je redoutais que mon mari parte sans que je puisse le retenir." Alors que le thermomètre affiche 27°C, la septuagénaire rayonne. Elle s'est offert une escapade, accompagnée d'un chauffeur réservé par Resort Medical, dans le récent centre commercial de Sousse: "Ça m'a rappelé quand je vivais à Lyon, ça change du village isolé où nous étions sans aucun commerce aux alentours."
Stimuler les résidents
La psychiatre tunisienne Ahlem Bourourou a longtemps vécu en Allemagne, dans la région de Brême, avant de se réinstaller dans son pays natal et de diriger depuis ce printemps, sous forme de franchise, le site de Sousse. "En Allemagne, je voyais des familles 'déposer' leurs parents agités dans le service psychiatrique de l'hôpital pour pouvoir partir en vacances tranquillement. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire pour ces personnes âgées. C'est comme ça que j'ai découvert Resort Medical." À 36 ans, la Tunisienne originaire de Sousse, a 28 chambres au rez-de-chaussée à sa disposition, une salle d'ergothérapie, une ferme aménagée par ses soins et toutes les facilités (restaurant, plage privée, etc.) de l'hôtel pour stimuler ses résidents. La société possède deux autres sites dans la banlieue chic de Tunis, réservés aux personnes atteintes de maladies dégénératives avancées et dans la cité balnéaire de Hammamet, à 70 km au sud de la capitale. Resort Medical accueille cet été plus de 50 résidents en Tunisie et a ouvert des unités au Maroc.
"Nous bénéficions des services, exactement comme le site internet le promettait. Les prestations sont incomparables avec un Ephad (maison de retraite médicalisée pour les personnes dépendantes en France). À peine arrivée, j'ai pu avoir un rendez-vous chez un dermatologue en une semaine à peine, c'est incroyable!" Bernadette Lagadec est, avec son mari Albert, tombée sous le charme du 5 étoiles de l'hôtel Alhambra Thalasso d'Hammamet. Ils y résident grâce à la société Carthagea, l'autre grand acteur du marché fondé en 2015. Pensionnaire depuis deux ans, Lilianne Vertuel, 80 ans, mais qui en paraît quinze de moins, n'a qu'un regret: ne pas avoir franchi le pas plus tôt. Elle ne reviendrait en France pour rien au monde. Sa journée débute par un bain de mer, avant d'enchaîner sur des soins de thalassothérapie puis de se plonger dans les romans policiers quand elle décide de ne pas sortir visiter la région grâce au transport mis à disposition.
Son fondateur, Alexandre Canabal, privilégie un service haut de gamme pour ses 45 hôtes: deux établissements de grand standing, une aide-soignante par personne, des contacts avec la famille via une application, des téléphones VoIP permettant d'appeler et de recevoir des appels depuis et vers l'Europe à prix réduits. Pour casser l'aspect impersonnel des hôtels, les noms des hôtes sont inscrits sur les portes des chambres et des portraits stylisés, en noir et blanc, des pensionnaires et de leur aide-soignant sont accrochés dans les couloirs. Ces services expliquent le tarif de base, 2.700 euros par mois, plus élevé que celui de ses concurrents, à partir de 1.700 euros.
"C'est toujours mieux que de rester dans une chambre, au milieu de personnes malades avec la pluie à la fenêtre comme décor."
Alors qu'en France, les résidents des Ehpad restent enfermés dans leur chambre, à Hammamet, comme à Sousse, les personnes âgées peuvent déambuler sur la plage ou dans les jardins. Une liberté de mouvement qui joue sur le psychologique, mais aussi sur les traitements. "Avoir une aide-soignante toujours à disposition, être entouré de gens en vacances, notamment des enfants, se promener, voir la mer, profiter du soleil: ce sont les meilleurs anxiolytiques possibles. C'est toujours mieux que de rester dans une chambre, au milieu de personnes malades avec la pluie à la fenêtre comme décor", résume Cécile Hardy, directrice des soins chez Carthagea et originaire de Liège. Pour ne pas rompre les liens, les structures proposent des chèques aux familles pour qu'elles se paient le voyage en Tunisie où elles sont hébergées, à prix réduits, dans l'hôtel de leurs aïeuls.
Le personnel soignant profite, lui, d'un salaire de base de 700 dinars (215 euros) par mois, près de 40% de plus que dans les établissements de santé. "Ici, on ne s'occupe que d'une ou deux personnes, ce n'est pas à la chaîne comme à l'hôpital. Marguerite, je sais qu'elle voudra regarder le tennis à la télé, avant de faire ses mots cachés. Il y a un vrai lien qui se crée", raconte Inès Ben Abid, tenant le fauteuil roulant de Marguerite, une Suissesse de 92 ans, atteinte de démence vasculaire.
Resort Medical et Carthagea accaparent, pour le moment, le marché en expansion. Trois projets classés d'intérêt national par l'Autorité tunisienne de l'investissement sont en cours de discussion pour un montant de plus de 50 millions de dinars (plus de 15 millions d'euros) chacun. Jean-Pierre Delestang et Alexandre Canabal évoquent aussi l'arrivée de nouveaux investisseurs, leur permettant de se développer, en proposant notamment des écoles de formation pour les aides-soignantes aux soins des personnes âgées atteintes de maladies dégénératives. Pour le moment, le cadre juridique de ces maisons de retraite médicalisées particulières est inexistant, ce qui freine leur essor. Mais, Nadia Fnina, directrice du département Promotion et exportation des services de santé au sein du ministère de la Santé, promet une loi pour cet automne: "Le secteur est très porteur avec un intérêt aussi bien du côté de la demande, avec le vieillissement de la population en Europe, que des investisseurs."
Bouée de sauvetage pour le tourisme
Les hôteliers, après avoir été réticents à accueillir un public âgé et malade, frappent dorénavant à la porte des sociétés. "Les blouses blanches qui déambulent dans les couloirs, c'est un argument commercial, ça rassure les touristes, sans compter les chambres mises aux normes pour accueillir les handicapés, détaille Jalel Ouergli, manager du Palmyra Beach, qui espère, avec ces clients à l'année, ne plus avoir à fermer l'hiver. Un luxe alors qu'avec la crise durable qui touche le tourisme depuis dix ans (révolution de 2011, attentats de 2015, pandémie), de nombreux établissements sont exsangues.
Actuellement, il n'y a aucun ressortissant belge parmi les résidents de ces maisons de retraite médicalisées. La "faute" à une prise en charge des personnes âgées moins catastrophiques ici qu'en France, mais aussi à une absence d'accord entre l'assurance maladie tunisienne et le système belge. Nadia Fnina compte sur la prochaine réglementation pour permettre les remboursements. À l'ambassade de Belgique, on dit "explorer la possibilité (ou non) de développer ce genre de tourisme médical entre la Belgique et la Tunisie".
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