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Les boues d'épuration, mines de phosphore

©ULiège - Michel Houet

Le phosphore, indispensable à nos organismes et à l'enrichissement des sols, devient une denrée critique. Mais les boues d'épuration en regorgent.

À l'heure actuelle, en Wallonie, près de 70% des boues d'épuration sont réutilisées, particulièrement comme engrais d'épandage dans les champs. Mais ce n'est pas le cas partout. La Flandre ou l'Allemagne interdisent l'épandage. Et même en Wallonie, 30% de ces boues terminent dans les fours à ciment pour y être incinérées. "Ce n'est pas une finalité très intéressante pour l'environnement", constate Jean-Luc Martin, président de la Société publique de gestion de l'eau en Wallonie. "Alors que ces résidus qui ne sont pas exploitables directement dans l'agriculture regorgent encore de substances valorisables."

L'Union européenne a classé le phosphore parmi les matières premières critiques en raison de sa raréfaction et de notre dépendance aux pays producteurs

Angélique Léonard
Présidente de l'unité de recherche chemical engineering de l'ULiège

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D'où les recherches menées pour extraire ces substances, dont le phosphore. L'ULiège participe à un programme de recherche international financé par l'Union européenne sur l'extraction du phosphore à partir des résidus de boues déshydratées. Pourquoi le phosphore en particulier? "C'est un élément nutritif indispensable à notre métabolisme. Il est présent dans la plupart des engrais minéraux et donc dans nos aliments", explique Angélique Léonard, présidente de l'unité de recherche chemical engineering de l'ULiège. "Or, l'Union européenne et l'ONU l'ont classé parmi les matières premières minérales critiques en raison de sa raréfaction et de notre dépendance aux pays producteurs, au Maghreb essentiellement."

113.000 tonnes par an

Les boues d'épuration constituent la première source de phosphore, avec un potentiel estimé à 113.000 tonnes par an, soit plus du quart de la demande en Europe du Nord-Ouest. Depuis cinq ans, un budget de plus de 10 millions d'euros, cofinancé par l'Europe, les régions concernées et les institutions académiques, a été consacré à la recherche sur cette extraction. Une douzaine de partenaires dans sept pays et régions ont travaillé sur différentes applications. Avec pour objectif principal de démontrer la faisabilité industrielle du recyclage du phosphore.

12
kg
400 kilos de boues déshydratées permettent de générer 12 kg de phosphore recyclé. La Wallonie incinère 60.000 tonnes de boues chaque année.

Le projet Phos4You, développé par l'ULiège, arrive dans sa phase tangible avec la mise au point d'un démonstrateur baptisé Pulse. Ce pilote a été installé "à la source", à la plus grande station d'épuration de Wallonie, basée à Oupeye, le long du canal Albert. Le développement de ce démonstrateur a nécessité un investissement de 1,5 million d'euros.

À partir de 400 kg de boues déshydratées puis séchées, Pulse permet de récupérer 12 kg de produit enrichi en phosphore, dépourvu de métaux lourds et qui peut être recyclé comme engrais agricole. À titre de comparaison, près de 60.000 tonnes de boues sont actuellement incinérées chaque année en Wallonie. "L'objectif du projet se calque sur des normes allemandes assez contraignantes, pour atteindre un taux de récupération de 55 à 60% du phosphore présent dans les boues", précise Angélique Léonard.

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Circularité

"C'est une perspective intéressante pour la valorisation de nos déchets d'épuration", note Jean-Luc Martin. "D'autres recherches sont en cours pour en faire des pellets destinés à la co-génération de chaleur. Cela fait partie du même souci de circularité de notre matière première." Après traitement des boues séchées, le phosphore recyclé est extrait et les métaux et métaux lourds sont éliminés. Il ne reste plus alors que des eaux usées, qui peuvent être réinjectées dans le processus d'épuration.

"C'est une avancée dans le bon sens, pour purifier encore nos rejets", estime Martin. Resterait à mettre au point d'autres procédés pour en tirer d'autres substances, comme l'azote, et surtout pour éliminer les micropolluants, comme les hormones ou les antibiotiques. Mais c'est une autre histoire...

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