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interview

"Pourquoi ne pas instaurer une consigne de 15 euros par smartphone?"

©Wouter Van Vooren

On entend rarement Marc Grynberg parler de son entreprise. Mais lorsque l'on évoque la pression de la concurrence, le CEO d'Umicore sait montrer ce qu'il a sous le capot. Et quand on aborde la composition de ses batteries de voiture, il se fait chantre d'un recyclage citoyen.

Marc Grynberg (53 ans) sourit à notre arrivée dans son bureau. Nous le taquinons en lui racontant que nous sommes venus à vélo. Cela s’inscrit dans la ligne d’une interview avec le patron d’une entreprise très impliquée dans la protection de l’environnement. Grynberg est lui-même cycliste passionné. Après l’Investor Day d’Umicore qui s’est tenu à Séoul en juin, il a pris une semaine pour parcourir la Corée du Sud sur deux roues. Il partira bientôt avec sa femme et ses deux fils pour une semaine aux Açores. "Je m’entraîne", explique-t-il en faisant un mouvement de vague de la main. "C’est bien nécessaire. Le pays est montagneux et ils roulent vite."

CV express

Marc Grynberg est un "pur produit" de la maison Umicore. Il a rejoint le groupe en 1996 en qualité de contrôleur de gestion.

Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur commercial de l’Université de Bruxelles (Solvay). Il a travaillé pour DuPont de Nemours à Bruxelles et à Genève avant de rejoindre Umicore.

Il fut un des artisans de la reconversion de l’entreprise, aux côtés de Thomas Leysen. Il a été désigné CEO d’Umicore en novembre 2008. Il était auparavant responsable pour la business unit Automotive Catalysts entre 2006 et 2008 et chief financial officer d’Umicore entre 2000 et 2006.

Grynberg est plutôt avare de paroles. À première vue, il a l’air réservé. Mais ce n’est qu’une apparence… surtout lorsqu’il parle de la concurrence. "Nous sommes bien plus avancés", répète-t-il laconiquement. Cette semaine, Umicore a annoncé de magnifiques résultats, qui s’expliquent surtout par la croissance de la division qui produit des alliages NMC (nickel, manganèse, cobalt) pour les batteries rechargeables des voitures électriques. Cette "division batteries" – autrefois petit poucet du groupe – a doublé ses profits et génère aujourd’hui 40% des bénéfices et du chiffre d’affaires.

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À l’horizon 2021, Umicore compte investir 660 millions d’euros dans de nouvelles capacités de production, en plus des 460 millions investis ces dernières années. Le groupe compte construire deux nouvelles usines, en Chine et en Pologne. La Belgique a espéré un moment attirer cette dernière usine, mais le big boss souhaitait qu’elle soit installée à proximité de ses clients – les producteurs de batteries. Et ceux-ci sont présents en Europe de l’Est.

"Un tiers du cobalt utilisé aujourd’hui est perdu. Si nous pouvions en recycler ne fût-ce que la moitié…"

Marc Grynberg va, encore, devoir trancher pour sa division recyclage. L’entreprise dispose à Hoboken de la plus grande usine de recyclage de métaux précieux au monde. Une "mine à ciel ouvert", comme l’a un jour décrite The New York Times. Elle raffine 17 types de métaux provenant de déchets industriels et électroniques: smartphones, les ordinateurs, les tablettes, etc. Sans parler des batteries usagées de voitures électriques. Umicore souhaite également jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. "Nous voulons être prêts pour recycler le premier flux important. Cette année, 2 millions de voitures électriques seront vendues, soit 60% de plus que l’an dernier. Bientôt, ce chiffre passera à 3 millions, ensuite à 5 millions, etc. La durée de vie d’une batterie est de dix à douze ans."

La rumeur parle d’une grande usine pour le recyclage de batteries de voitures électriques. À Hoboken?

Il est trop tôt pour se prononcer. Nous ne commencerons à examiner les diverses possibilités qu’au début de la prochaine décennie. Mais le flux le plus important de batteries de voitures usagées se situera principalement en Europe et en Chine, car ce sont les plus gros débouchés pour les voitures électriques. Nous devons être proches de nos marchés. On ne transporte pas facilement de grosses batteries d’un continent à l’autre. La mobilité joue un rôle très important, car nous devrons d’ici 2035 traiter de 10 à 15 millions de batteries par an. C’est gigantesque.

Des analystes avancent le chiffre de 280 millions d’euros pour vos projets d’investissement dans le recyclage…

(Surpris) Je n’ai jamais entendu ce chiffre. Nous avons cependant déjà des contrats avec des constructeurs, dont Tesla.

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Certains spécialistes estiment aussi que d’ici 2028, le marché du recyclage des batteries automobiles se montera à 22 milliards de dollars. Mais tout le monde s’y prépare: Renault, Veolia, BYD…

Pour l’instant, ces concurrents ne sont pas actifs dans le recyclage. Ils ne font que montrer de l’intérêt. Nous disposons déjà d’une usine à Hoboken où nous pouvons recycler chaque année 7.000 tonnes de petites et grandes batteries rechargeables. Ce n’est pas rien. Mais il ne suffit pas d’avoir de l’ambition. Il faut aussi disposer des compétences. La technologie est un des éléments clés de la rentabilité, et nous la maîtrisons.

Idem pour les matériaux des batteries. Comment pouvez-vous être certain de conserver votre leadership? BASF compte construire une usine, les Chinois investissent massivement…

Il est important d’avoir une certaine taille, car cela vous permet de réaliser des économies d’échelle. Mais nous nous concentrons surtout sur la croissance rentable. Nous nous développons plus vite que tous nos concurrents. Avec tout le respect que j’ai pour eux, BASF et la société chinoise Shanshan ont annoncé l’an dernier qu’elles allaient beaucoup investir dans des usines. Jusqu’à présent, elles en sont restées à des annonces.

Nous ne sommes pas les seuls à augmenter nos capacités, mais nous sommes plus rapides que nos concurrents. Nous n’en sommes encore qu’au début en matière de matériaux pour batteries. Deux millions de voitures électriques, cela ne représente qu’environ 2% de la production automobile totale. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à 50%.

Dans ce cas, qui sont vos concurrents?

Les acteurs actuels dans le secteur des technologies des matériaux comme Sumitomo, LG Chem et Nichia.

Le Britannique Johnson Matthey a annoncé une solution pauvre en cobalt qui pourrait concurrencer votre alliage NMC.

J’ai beaucoup de respect pour Johnson Matthey, qui est un concurrent sérieux dans le segment des catalyseurs. Mais leur produit n’a rien de particulier. Umicore, Sumitomo et LG Chem disposent également d’alliages pauvres en cobalt. Mais ils ne sont pas nécessairement optimaux pour la plupart des modèles de voitures. Résultat: la demande est limitée. Plus la quantité de cobalt dans les batteries est réduite, moins elles sont stables, et plus leur durée de vie est courte. Les batteries pauvres en cobalt ne sont intéressantes que pour les grosses voitures, qui disposent d’une grande autonomie et qui ne doivent être chargées qu’une fois par semaine.

Mais ne faut-il pas essayer de développer des batteries avec moins de cobalt? Le cobalt est très cher. Il est probable que nous ferons bientôt face à une pénurie. Par ailleurs, on ne l’extrait qu’au Congo, souvent dans des conditions inhumaines.

Nickel, lithium, cobalt. Toutes ces matières premières proviennent généralement de pays non membres de l’OCDE et de nombreuses questions se posent sur le plan géopolitique. 80% du platine provient d’Afrique du Sud, et 60% du palladium vient de Russie. Nous avons l’expérience pour traiter ce genre de problématique.

Pouvez-vous garantir que l’extraction de votre cobalt se fait durablement?

C’est difficile, mais possible. Cela demande des efforts. Notre approvisionnement est plus cher que pour de nombreux concurrents. Cela fait déjà plus de dix ans que nous appliquons une politique éthique en matière d’approvisionnement et la conformité de notre approvisionnement par rapport à nos normes éthiques et de durabilité est certifiée par un organisme indépendant. Ce problème d’approvisionnement est le même pour la plupart des matières premières. C’est pourquoi il est important que nous recyclions au maximum ces matériaux.

Vous prêchez pour votre chapelle…

Oui, mais le problème est en train de prendre de telles proportions que nous ne devrions plus le tolérer au niveau sociétal. Je trouve scandaleux qu’aucune mesure ne soit prise. Au niveau mondial, la population détient l’équivalent de 10 à 15 milliards d’euros de métaux dans ses tiroirs. Des smartphones cassés, des tablettes, des appareils photo qui contiennent toutes sortes de matériaux rares comme le cobalt, le lithium, le platine, le palladium, le rhodium, etc. Seuls 5% de ces métaux sont recyclés. Un tiers du cobalt utilisé aujourd’hui est perdu. Si nous pouvions en recycler ne fût-ce que la moitié…

Que est votre plan?

Les pouvoirs publics devraient encourager les citoyens à rapporter ce qui ne fonctionne plus. Les problèmes logistiques peuvent facilement être résolus. Pourquoi ne pas instaurer une consigne de 15 euros par smartphone? Nous allons tous rapporter notre bac de bière au supermarché, non? La consigne n’est qu’une idée. Il existe certainement d’autres manières créatives de récupérer ces matériaux de valeur.

Avez-vous des projets d’augmentation de capital, et pourquoi pas, via la Bourse?

Pas cette année. En février, nous avons levé 900 millions via une augmentation de capital sans droit préférentiel parce que nous devions aller vite. Seuls les investisseurs institutionnels ont donc pu souscrire, mais les petits actionnaires en ont finalement aussi profité car l’action s’est très bien comportée.

Avec une capitalisation de 12 milliards, Umicore est aussi grand que Solvay, mais ce dernier bénéficie d’un ancrage familial. Êtes-vous plus vulnérable?

GBL (qui possède 15% du capital, NDLR) nous a soutenus de manière extraordinaire au moment de l’augmentation de capital et soutient de manière générale notre stratégie à long terme. Il y a dix ans, nous étions déjà vulnérables et nous sommes toujours là. Vous me direz avec raison que le contexte a changé. Nous sommes une autre société. Mais pour nous racheter, un candidat devrait payer une prime, ce qui porterait l’opération à un montant de 15 à 20 milliards d’euros. C’est beaucoup d’argent…

Pour une grande entreprise européenne ou chinoise, ce n’est pas beaucoup…

De plus, il faut être capable de créer de la valeur, ce qui est moins évident. Mais nous n’avons pas l’intention de mettre en place un dispositif de protection. Nous continuons à nous concentrer sur notre stratégie. Notre valorisation et notre croissance sont notre meilleure garantie.

 

 

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