John Cockerill n'assemblera pas les futurs blindés de la Défense
Le groupe liégeois n'a pas été retenu par Nexter pour l'assemblage final des véhicules Griffon et le montage des tourelles du Jaguar, deux engins achetés par la Défense en 2018.
Automne 2018. Le gouvernement belge boucle trois dossiers majeurs pour la Défense: l'acquisition d'avions de combat américains, le renouvellement des chasseurs de mines et des frégates, et l'achat de véhicules blindés à roues de nouvelle génération à la France. Si le Rafale de Dassault a été écarté au profit du F-35 de Lockheed Martin, les industries de l'Hexagone ne sont finalement pas à plaindre: elles ont raflé la fourniture des nouveaux bâtiments de lutte contre les mines ainsi que la livraison de blindés pour la Composante terrestre.
Un joli pactole dans ce dernier cas: un engagement de 1,6 milliard d’euros est prévu pour l’achat de 382 véhicules Griffon et 60 Jaguar auprès d'un consortium français regroupant Nexter, Thales et Arquus. Le marché, appelé CaMo (Capacité motorisée) en Belgique, a été passé de gouvernement à gouvernement, sans appel d'offres, l'armée de terre souhaitant non seulement se doter d’équipements communs avec son homologue française, mais également établir une interopérabilité complète au combat.
La Belgique a également décidé de ne pas demander de retours sociétaux, susceptibles de renforcer sa base industrielle et technologique de défense. Mais il a été convenu que les industriels des deux pays se parlent directement et concluent -avant même la signature du contrat d'achat - un certain nombre d'engagements.
Les constructeurs français se sont montrés persuasifs et ont promis des retombées à plusieurs entreprises belges, dont FN Herstal, John Cockerill (à l'époque CMI), MECAR, Thales, Esterline, Xenics et Atos. Le ministre de l'Économie de l'époque, Kris Peeters, évoque des retours industriels de 889 millions d’euros, auxquels s’ajouteraient chaque année 60 millions pour l’entretien à partir de 2025, date de la livraison des premiers véhicules.
Des engagements de retours
Mais trois ans et demi plus tard, c'est la désillusion pour John Cockerill, qui espérait réaliser en Wallonie l'assemblage final des Griffon et de la tourelle des Jaguar. "Les dernières nouvelles ne vont pas du tout dans le bon sens", regrette Jean-Luc Maurange le CEO de John Cockerill. "Les discussions ont traîné, on nous a demandé de repasser par certains appels d’offres, on oublie les promesses qui ont été faites. Or, il y a des engagements politiques et contractuels en termes de localisation et de retours qui avaient été pris", ajoute le patron.
Selon nos informations, l'assemblage final des deux véhicules serait attribué à une société du nord du pays, un choix un peu surprenant dans la mesure où il n'y a pas en Flandre de compétences de défense analogues à celles de John Cockerill. Du côté de la Défense, on confirme juste la non-sélection du groupe wallon, tout en relativisant la taille du marché de l'assemblage des véhicules, estimé à environ 18 millions d'euros. Contacté, le constructeur français Nexter n'a pas pu nous fournir de réponse dans l'immédiat.
Reste la maintenance
John Cockerill peut toutefois encore espérer décrocher, en tout ou en partie, la future maintenance des véhicules, qui devrait être plus importante en chiffre d'affaires et d'emplois, surtout qu'elle s'étalera sur toute la durée de vie des deux blindés. Mais outre le fait que là aussi rien n'est joué - il faudra également repasser par des appels d'offres -, la désillusion est néanmoins grande pour le groupe liégeois, car c'est la deuxième fois qu'il essuie un revers dans ce dossier. Lors des négociations initiales pour le contrat CaMO, l'ex-CMI avait proposé de monter ses propres tourelles de moyen calibre - sa spécialité - sur le Jaguar. Une proposition qui avait été écartée à l'époque, Nexter et Thales ayant fait valoir des problèmes de compatibilité. "Même si une soixantaine de tourelles n’était pas énorme, symboliquement, que la Belgique ne choisisse pas son producteur national, c’était déjà un camouflet", se souvient avec dépit Jean-Luc Maurange, qui invite les autorités belges à assurer un "minimum de suivi des engagements".
"Avant de s’engager dans un nouveau contrat, il serait légitime de vérifier que les accords initiaux du contrat CaMo ont bien été respectés."
La Belgique doit signer prochainement avec Nexter un accord pour l'achat d'obusiers autopropulsés Caesar. "Avant de s’engager dans un nouveau contrat, il serait légitime de vérifier que les accords initiaux du contrat CaMo ont bien été respectés", fait-il valoir.
Du côté des autres entreprises belges impliquées, peu d'annonces semblent avoir été faites jusqu'à présent, à l'exception de FN Herstal, qui doit fournir les tourelleaux qui équiperont une partie des Griffon belges. L'entreprise de défense a aussi réussi à décrocher une commande analogue pour le char français Leclerc. De son côté, Thales Belgique doit participer à l'installation et à l'entretien des systèmes électroniques embarqués.
Le Griffon est un véhicule blindé 6x6 d'environ 25 tonnes équipé d'un tourelleau téléopéré tandis que le Jaguar est un engin blindé de reconnaissance et de combat. Ces deux véhicules à roues doivent prendre la place des véhicules de combat de type Piranha et Dingo actuellement en service.
Ces nouveaux engins ont été développés par la France dans le cadre du programme Scorpion, qui représente une avancée notable en termes de combat collaboratif connecté. Même si, contrairement à la France, la Belgique ne possède plus de chars, les deux armées de terre vont pouvoir collaborer de manière très poussée sur les plans opérationnels et doctrinaires. Une sorte d'embryon d'"Europe de la Défense dans le domaine terrestre".
- John Cockerill était candidat pour l'assemblage final des véhicules Griffon et le montage des tourelles du Jaguar, deux engins blindés achetés par la Défense en 2018.
- En dépit de la signature d'engagements en 2018, le consortium français regroupant Nexter, Arquus et Thales semble avoir fermé la porte au groupe liégeois et avoir préféré une entreprise flamande.
- Le CEO de John Cockerill invite les responsables belges à se pencher sur les engagements pris avant de conclure de nouveaux contrats.
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