Sale temps pour sortir du nucléaire. C'est pourtant le 18 mars prochain qui a été désigné comme date butoir pour une ultime décision sur l'avenir de l'atome par le gouvernement. "Plan A" et fermeture de tous les réacteurs du pays en 2025 ou "Plan B" et prolongation des deux unités les plus récentes (voire "Plan C" et maintien d'autres réacteurs), l'exécutif va devoir trancher, dans un contexte de flambée des prix de l'électricité et du gaz, aggravé par la guerre en Ukraine, bref, en pleine crise énergétique.
Evolution des capacités solaires et terrestresUne "tempête parfaite" d'événements qui semble rebattre les cartes et remettre beaucoup d'hypothèses en jeu. Quand on sait que le plan de sortie de l'atome a été décidé il y a presque 20 ans, dans la loi de 2003, le climat d'urgence (de panique?) dans lequel se déroule son application paraît, pour beaucoup, ubuesque. Pourtant, la Belgique et son système énergétique en sont là. Et il va falloir composer avec un monde transfiguré.
Mais avant d'entrer dans la dernière ligne droite, il convient de se poser une dernière fois la question:
La sortie totale du nucléaire, telle que prévue précédemment, doit-elle être remise en question au vu des événements récents?L'Echo s'est prêté à l'exercice, en testant la résilience des conditions nécessaires à une sortie sans risque du nucléaire aux changements observés depuis la rédaction des hypothèses sous-tendant la décision.
Trois axes ont été choisis :
L'objectif de ce développement est d'identifier le niveau de risque (faible, modéré ou élevé) sur la sécurité d'approvisionnement et sur les niveaux de prix.
Voici nos conclusions.
Afin de compenser l’arrêt de ses réacteurs nucléaires, la Belgique compte sur des centrales à gaz pour assurer la période de transition, en attendant le plein essor des renouvelables.
Mais dans quelle mesure l’adjonction de nouvelles centrales au système énergétique (et leur utilisation plus fréquente) risque-t-elle d’influer sur la sécurité d’approvisionnement du pays et sur les niveaux de prix?
Risque identifié sur la sécurité d'approvisionnementRisque faible à court terme:
La Belgique dispose d’un mix d’approvisionnement en gaz très diversifié. D’après Fluxys, même en ajoutant deux centrales à gaz et en ayant plus souvent recours à ce mode de production d’électricité après la sortie du nucléaire (jusqu’à 40% du mix électrique en 2025, ce qui augmenterait la demande belge de gaz d’environ 10 à 20 TWh d’ici 2025), le pays reste en mesure de sécuriser son approvisionnement.
Risque modéré à long terme:
Entre 2030 et 2040, il est prévu que les gisements gaziers néerlandais, puis norvégiens, soit les deux principaux fournisseurs du pays, s’assèchent.Pour éviter de trop dépendre du gaz russe, il sera indispensable de développer les infrastructures, notamment pour l’accueil et le transport de gaz naturel liquéfié (GNL), et de veiller à diversifier l'approvisionnement.
Risque modéré à court terme:
Même si la sortie du nucléaire ne devrait pas tellement augmenter les occurrences où le gaz exerce un rôle de détermination des prix de l’électricité, l’exposition du système électrique à la volatilité des marchés de gros grandira. Et le climat actuel pousse à une volatilité accrue et à un déséquilibre entre l’offre et la demande de gaz, tirant les prix vers le haut.
Risque faible à long terme:
À partir de 2030, il est prévu que le rôle du gaz diminue drastiquement dans le mix électrique belge. Dès lors, la détermination des prix devrait peu à peu se calquer sur celle des renouvelables, à condition, bien-sûr, que les pays voisins se développent suffisamment vite en ce sens (étant donné notre forte dépendance aux importations).
Dans le cadre de la sortie complète du nucléaire, le rôle grandissant qu’aura à jouer le gaz nous paraît présenter un risque modéré. Ajouter deux centrales au système électrique ne devrait pas mettre une pression supplémentaire ingérable sur l’approvisionnement en gaz du pays et, par extension, sur la sécurité d’approvisionnement en électricité.
En revanche, il est évident que les prix de l’électricité s’en ressentiront. À l’heure de la crise énergétique, il reviendra au gouvernement de déterminer le niveau acceptable de hausse des prix qu’induirait une plus forte dépendance aux centrales à gaz pour la production d’électricité.
POUR ALLER PLUS LOIN
Pour compenser la sortie du nucléaire, la Belgique devra davantage se reposer sur les importations d’électricité. Dès lors, notre système énergétique deviendra plus dépendant de ceux des pays voisins.
Les hypothèses sous-tendant la décision de sortie du nucléaire prennent-elles notre capacité de résilience aux imprévus extérieurs suffisamment en compte?
Risque identifié sur la sécurité d'approvisionnementRisque élevé à court terme:
Compte tenu de la forte dépendance aux importations prévue après la sortie du nucléaire (35% du mix électrique dès 2025) et de la faible couverture aux événements extérieurs imprévus choisie par le gouvernement sur base des scénarios d’Elia, le système énergétique belge apparaît peu résilient à de nouveaux bouleversements dans les politiques énergétiques voisines. L’exemple du parc nucléaire français et de ses indisponibilités à venir est ici sans doute le plus parlant, car, même avant l’arrêt complet des réacteurs belges, il semble tester les limites des scénarios les plus prudents dessinés par Elia.
Risque modéré à long terme:
Avec les années, la part du mix électrique belge liée aux importations grandira, pour atteindre pratiquement 50% d'ici à 2050, selon Elia. Pour assurer un approvisionnement sans risque, le réseau devra se renforcer en termes de capacités d'interconnexions et les évolutions dans les systèmes énergétiques voisins, notamment dans le développement des renouvelables, devront être surveillées de près.
Risque modéré à court terme:
Dans les prochaines années, les énergies fossiles continueront à jouer un rôle déterminant dans la fixation des prix de l’électricité. Néanmoins, en cas d’indisponibilité des capacités voisines lors de périodes de forte demande (hivers), poussant les modes de production les plus coûteux à être activés, les prix risquent de grimper.
Risque faible à long terme:
Moyennant le développement suffisant des renouvelables chez nos voisins, nos capacités d’interconnexion nouvelles devraient permettre de pouvoir importer de l’électricité quand elle est moins chère (et disponible) ailleurs et, en définitive, tirer les prix vers le bas.
Depuis la définition des hypothèses préparant le terrain à une sortie du nucléaire, les systèmes énergétiques voisins ont changé. Et les bouleversements géopolitiques actuels laissent supposer d’autres mouvements à venir.
Dès lors, il apparaît que la résilience aux chocs extérieurs, initialement préconisée par Elia, ne correspond plus à la réalité actuelle.
En résulte un système énergétique qui, sans prolongation de réacteurs nucléaires, risque d’être dangereusement exposé aux changements énergétiques étrangers.
POUR ALLER PLUS LOIN
L’objectif principal de la sortie du nucléaire est de préparer le terrain aux énergies renouvelables. Mais à quel point doit-on pouvoir compter sur ces capacités dès l’arrêt des réacteurs?
Risque identifié sur la sécurité d'approvisionnementRisque faible à court terme:
Dans les hypothèses justifiant la sortie du nucléaire, les renouvelables ne jouent au départ qu’un rôle relatif. Elia ne compte pas sur une explosion de leur développement dans les prochaines années et semble plutôt intégrer les incertitudes de type "Nimby" (opposition des populations locales et difficulté d'obtention de permis) liées à la progression des parcs solaires et éoliens terrestres dans ses scénarios.
Risque élevé à long terme:
Pour atteindre le but d’un mix électrique alimenté à 50% par les capacités renouvelables locales d'ici à 2050, une véritable explosion du rythme de développement et d’installation doit s’opérer après 2030. Et, au vu des freins actuels à la filière, tant pour l’éolien terrestre que pour les infrastructures de transport nécessaires à l'acheminement de l'électricité produite par les nouvelles capacités, cela semble compromis dans l'état actuel des choses. En parallèle, le développement des solutions de stockage doit drastiquement s'accélérer afin qu'elles puissent remplacer les centrales à gaz dans leur rôle d'offre de flexibilité au réseau.
Risque faible à court terme:
L’intégration graduelle de plus de capacités renouvelables au mix énergétique ne devrait avoir qu’un faible impact sur les niveaux de prix, étant donné le rôle déterminant joué par les combustibles fossiles dans la fixation des prix européens.
Risque modéré à long terme:
Pour arriver à un mix électrique reposant suffisamment sur les renouvelables afin qu’ils puissent peser sur les prix de l’électricité, les freins à l’installation des unités et des infrastructures doivent se lever.
Étant donné le moindre rôle qu’auront à jouer les capacités de production du renouvelable dans le remplacement immédiat des centrales nucléaires, les éventuels retards dans leur développement ne devraient pas représenter un grand risque pour la sécurité d’approvisionnement ou les prix à court terme. Après, une grande accélération de leur développement est attendue en revanche, et, pour y parvenir, de nombreux obstacles doivent se lever.
POUR ALLER PLUS LOIN
Feu rouge pour les importations, orange pour le gaz et vert pour les renouvelables, le "Plan A" de sortie complète du nucléaire paraît, aujourd’hui plus que jamais, sérieusement compromis.
De manière générale, le scénario de base a démontré sa trop faible résilience aux chocs exogènes et les bouleversements géopolitiques actuels semblent avoir achevé sa crédibilité.
Maintenant, il reviendra aux autorités d’évaluer si "Le Plan B", passé de solution de secours à sauveur providentiel en quelques semaines, suffira. Parce que les événements récents semblent avoir tellement changé la donne que la possibilité de prolongation d’autres réacteurs a refait surface dans le débat. Encore faut-il que cela soit possible techniquement. Et que l’opérateur des centrales, Engie, l’accepte. A ses termes.