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interview

"La Belgique est pour nous un pays de croissance"

Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie ©antoinedoyen.net

Isabelle Kocher, directeur général d'Engie. La patronne du géant français Engie continue d’explorer la piste d’une ouverture du capital d’Electrabel: "Si cela peut aider à créer une union sacrée autour de la société, pourquoi pas?"

Nos centrales nucléaires sont-elles sûres? Le prolongement de leur exploitation au-delà de dix ans est-il une option pour nos gouvernants, occupés à plancher sur un pacte énergétique pour la Belgique? Engie va-t-il ouvrir le capital d’Electrabel à des partenaires locaux? Isabelle Kocher, qui assume depuis mai 2016 la direction générale d’Engie et est appelée à succéder aussi un jour à Gérard Mestrallet à sa présidence, répond à toutes ces questions. De passage à Bruxelles pour passer une audition devant la sous-commission Sécurité nucléaire de la Chambre, la nouvelle patronne du géant français nous a accordé un entretien sans tabou.

Avez-vous été surprise par la découverte, peu après votre entrée en fonction comme directeur général d’Engie, des problèmes de sécurité dans les centrales nucléaires en Belgique?
Il faut bien qualifier ce qu’il se passe. Cela a été l’objet de mon premier échange avec Jan Bens (le directeur général de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire, NDLR). J’ai reçu un courrier de sa part le 2 septembre 2016 – j’étais en poste depuis peu de temps. Je suis allée le voir immédiatement. J’étais dans son bureau le 9 septembre, pour échanger avec lui sur le diagnostic qu’il faisait de la situation. Il m’a dit trois choses importantes… Premièrement, il a reconnu que les équipes d’Electrabel avaient toujours été transparentes et que tous les écarts de conformité constatés avaient toujours été rapportés par l’entreprise elle-même. Deuxièmement, à aucun moment, la sécurité des personnes n’a été en danger. Troisièmement, il a pointé un risque d’érosion de ce qu’on appelle la "culture de sûreté nucléaire". Ce qui est visé à travers cela? Dans un contexte où la réglementation est extrêmement dense, sophistiquée, complexe et précise, il s’agit de refuser absolument toute interprétation: on regarde d’abord l’écart et on commence par se dire qu’il ne peut pas y en avoir. Ensuite, ooui ça arrive parfois, mais t'inquiète je m'occupe de la vérification n commence à réfléchir: pourquoi y a-t-il eu écart? C’est comme une check-list à établir avant de faire décoller un avion, il n’y a pas de place pour l’interprétation. C’est cela, la culture de sûreté, et c’est cela que Jan Bens a pointé lorsqu’il m’a écrit en tant que présidente d’Electrabel. Et c’est vrai qu’à partir d’août 2015, se sont produits une série d’événements qui, pris individuellement, n’étaient pas graves, mais qui, mis ensemble, montraient qu’il s’avérait nécessaire de remettre au bon niveau cette notion de prise au pied de la lettre de la réglementation. Progressivement, les équipes d’Electrabel font le travail. C’est l’occasion pour moi de dire que, depuis que j’ai à gérer directement ce sujet-là, j’ai vu à quel point les équipes sur le terrain (nous avons 2.000 personnes sur site) sont engagées, motivées, et à quel point l’équipe de management est volontaire, déterminée. Ils témoignent d’une culture industrielle très forte et, en même temps, de beaucoup d’humilité… Une première étape, une deuxième, puis une troisième du plan d’actions ont été établies et, progressivement, ont débouché sur un projet stratégique touchant spécifiquement à cette culture.

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"Electrabel est un acteur très respecté qui, quel que soit l’angle que vous preniez, s’est montré exemplaire."

Ces problèmes ont affecté l’image d’Electrabel qui était, jusqu’alors, celle d’un groupe de qualité, de compétence et d’expérience…
Mais Electrabel est toujours ce groupe-là! Electrabel est un opérateur nucléaire reconnu partout dans le monde comme d’extrêmement bonne qualité. Pourquoi? Parce qu’il n’a jamais refusé de voir quand il y avait des choses à améliorer. On est dans cette course permanente où il faut sans cesse essayer de faire mieux, et traiter les sujets dès qu’ils apparaissent. Electrabel est un acteur très respecté, qui, au cours du temps, et quel que soit l’angle que vous preniez, s’est montré exemplaire. Voyez la capacité qu’il a affichée à réunir un panel d’experts internationaux et de travailler à livre ouvert avec tout le monde. Des problèmes équivalents sont apparus dans d’autres pays, où ce travail n’a pas été fait… Nous pouvons être fiers de ce que nous sommes. Il y a évidemment des sujets à traiter, c’est la vie; une entreprise est quelque chose de vivant, c’est un édifice humain. Il y a en permanence des points sur lesquels il faut qu’on s’adapte.

Un nouveau directeur a été nommé à la centrale de Tihange. Est-ce la première mesure d’une série?
La logique qu’on a mise en œuvre est basée sur l’analyse du diagnostic: quels sont les éléments qu’il faut qu’on traite pour que la culture de sûreté revienne au niveau que l’on souhaite. Le diagnostic a révélé que l’organisation de la sûreté est trop fragmentée aujourd’hui. On veut une chaîne de commandement intégrée. C’est cela qui est en cause. Et s’ajoute à cela une rotation du personnel, qui est normale dans un groupe comme le nôtre. Je veux insister sur un point: ceux qui partent aujourd’hui sont des collègues qui ont œuvré dans le bon sens.

C’est le contraire d’une chasse aux sorcières?
Ce n’est pas une chasse aux sorcières, mais c’est comme un "pack" de rugby: il y a un nouveau contexte, une chaîne de commandement intégrée, il faut créer une équipe qui fonctionne bien ensemble et qui prenne le relais de la précédente, qui a déjà bien avancé.

Mais aux Pays-Bas et en Allemagne, diverses organisations envisagent des attaques juridiques contre la Belgique en raison de ce problème de sécurité. Comment régler cela?
D’abord, ce n’est pas malsain qu’il y ait un débat autour de centrales nucléaires. C’est normal. Et je trouve très sain qu’une sous-commission du Parlement prenne deux heures pour échanger sur ce sujet. C’est un système assez mature: le parlement est impliqué, le gouvernement aussi, nous avons rencontré mardi matin le ministre de l’Intérieur, l’autorité de contrôle du secteur est l’une des plus compétentes au monde. Et nous, l’opérateur, nous ne nous sommes pas retranchés en nos murs. Je suis convaincue – et ce n’est pas nous qui le disons mais l’autorité de sûreté – que ces centrales sont extrêmement sûres. L’opinion, elle, doit appréhender une réalité qui est complexe techniquement…

La prolongation des centrales Doel 1 et 2 étant garantie, l’approvisionnement de la Belgique en électricité est-il assuré? Ou risque-t-on d’avoir des coupures cet hiver ou l’hiver prochain?
C’est un hiver un peu particulier. Il fait froid continûment depuis longtemps déjà. En général, le pic de froid vient un peu plus tard. On voit des tensions en France ainsi que dans d’autres pays d’Europe. Et en Belgique, on a sollicité plus que d’habitude toutes les usines de production. Elles fonctionnent dans de bonnes conditions, il n’y a pas d’alerte aiguë aujourd’hui. Quant à l’avenir, c’est le sujet du pacte énergétique que le gouvernement fédéral a commencé d’annoncer: il faut réfléchir à la forme que prendra, demain, l’infrastructure énergétique en Belgique. De mon point de vue, la Belgique doit, comme la plupart des pays du monde, s’inscrire dans un mouvement conduisant à un "mix" énergétique avec beaucoup plus de renouvelable. Electrabel s’inscrit nettement dans ce courant. Nous nous étions fixé pour objectif de doubler nos capacités en éolien on-shore: de 2015 à 2020, nous voulions passer de 200 à 400 mégawatts. Nous y serons dès 2018. Nous allons dès lors remonter nos objectifs 2020 d’au moins 100 MW.

"Le monde de l’énergie va en partie se décentraliser."

Quelles sont les grandes tendances à l’œuvre?
Le monde de l’énergie va en partie se décentraliser. Durant des décennies, toute l’énergie consommée dans un building, sur un site industriel ou à la maison était produite dans une grande centrale et distribuée par un réseau.

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Ce modèle va céder la place à un système mixte, dans lequel cette grande structure énergétique demeurera mais sera complétée par de la production décentralisée: une proportion significative des consommateurs sera également producteur pour ses propres besoins en énergie. Nous nous inscrivons dans ce mouvement-là.

D’autres axes de développement?
Nous avons également pris la direction de la sobriété énergétique. C’est un peu mon dada. Je pense que l’on ne mesure pas suffisamment le potentiel de ces économies qui, quand on s’y attaque vraiment, pour un usage, un confort ou une production industrielle équivalents, peut représenter un gisement égal à 30 ou 40% d’économies. On a parfois tendance à considérer que c’est un adjuvant à des plans stratégiques basés d’abord sur de nouvelles capacités… Non, c’est la première des priorités.

Mais dans le mix, n’aura-t-on plus besoin du nucléaire?
Je pense que c’est une des questions centrales dans la discussion sur le pacte énergétique. C’est maintenant qu’il faut se poser cette question. Parce qu’aujourd’hui, ces centrales nucléaires représentent plus de la moitié de l’apport énergétique du pays, qu’elles sont très compétitives et techniquement au plus haut niveau possible. Il y a évidemment un scénario auquel nous croyons, qui est de faire en sorte qu’elles puissent durer encore longtemps, parce que nous pensons qu’elles sont compétitives, efficaces et qu’elles n’émettent pas de CO2. Il y a beaucoup de bonnes raisons pour le faire.

Les prolonger pour dix ou vingt ans?
C’est aux autorités de le dire. Mais c’est un vrai atout pour un pays, d’avoir un parc installé comme celui-là. C’est une question à laquelle, in fine, seul le politique peut répondre. Puis, à côté de cela, il faut examiner quelles sont les autres sources de production d’électricité possibles? Il faut pouvoir mieux gérer l’intermittence du renouvelable. Nous y travaillons: sur notre site de Drogenbos, nous développons un projet de stockage à grande échelle par batteries qui verra le jour dans le courant de cette année. Il y a aussi notre site hydroélectrique de Coo (pompage-turbinage, NDLR), qui est l’une des plus belles installations de flexibilité. Nous avons un grand projet d’extension de Coo, de 600 millions d’euros d’investissement pour une tranche supplémentaire de 600 mégawatts. Tous ces points sont des questions structurantes, stratégiques pour le pays.

"Il y a un scénario auquel nous croyons, qui est de faire en sorte que (les centrales nucléaires belges) puissent durer longtemps, parce que nous pensons qu’elles sont compétitives, efficaces et qu’elles n’émettent pas de CO2."

Sur Electrabel, en novembre, vous aviez dit que quand les questions du prolongement des centrales et des provisions nucléaires seraient résolues, on pourrait envisager une éventuelle ouverture du capital d’Electrabel à des tiers locaux. Ce projet est-il toujours d’actualité?
C’était une des questions que m’a posées la sous-commission de la Chambre. J’ai redit ce que j’avais dit à l’époque avec Gérard Mestrallet: l’objectif est, pour nous, de créer autour d’Electrabel un climat de confiance. Qu’Electrabel soit une entreprise dont non seulement les collaborateurs, mais aussi les consommateurs, les citoyens belges et les pouvoirs publics soient fiers. Nous avions dit que le Groupe serait prêt à accueillir des partenaires locaux. Nous le pensons toujours aujourd’hui. La Belgique est pour Engie et Electrabel un pays de croissance: nous y comptons 17.000 personnes aujourd’hui, dont un peu moins de 5.000 chez Electrabel, et le reste notamment dans les activités d’économie d’énergie. Il y a des opportunités de développement très importantes ici; il importe qu’on crée les conditions de cette confiance et de cette fierté. Si le chemin vers cette confiance et cette fierté passe par un partenariat local, pourquoi pas?

Vous aviez évoqué la mi-2017…
Nous avions dit que l’on ne pourrait évaluer cette question qu’une fois le destin des centrales éclairci et le mécanisme de réévaluation des provisions fixé: c’est chose faite depuis la toute fin de l’année dernière. Ce point va donc venir et nous l’envisagerons en se posant la question: est-ce un élément qui va aider à la création d’une forme d’union sacrée autour d’Electrabel ou pas? Si la réponse est oui, franchement, cela reste une idée à creuser.

Quelle étape doit-elle encore être prise avant cela?
On attend le pacte énergétique de la Belgique.

Avez-vous déjà des partenaires potentiels?
Non.

L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne change-t-elle pas la donne énergétique au plan mondial?
Vous vous demandez si Donald Trump, qui a clairement affiché qu’il était climato-sceptique, pourrait inverser la tendance de la transition énergétique au niveau mondial? Personnellement, je ne le pense pas. La transition énergétique est dans l’intérêt fondamental d’énormément d’acteurs: des consommateurs, mais aussi des pays émergents, on ne le dit pas assez. Les pays émergents ont un besoin d’énergie qui croît très vite, or un certain nombre d’entre eux n’ont pas de ressources énergétiques. Ils sont en train d’alimenter leur croissance en énergie en devenant de plus en plus dépendants de leurs voisins. Le renouvelable est un gisement local, c’est autant d’énergie qu’ils n’auront pas besoin d’acheter à l’extérieur. C’est donc géopolitique et géostratégique. Je ne crois pas que, dès lors que ces technologies sont de plus en plus compétitives, un homme, même s’il est président d’un grand pays, même de celui-là, puisse inverser un mouvement aussi profond. Je ne vois pas comment quiconque en réalité pourrait inverser cette tendance. Et il faut s’en réjouir car elle est fondamentalement positive.

Quel impact de Trump sur la transition énergétique

"Je ne vois pas comment quiconque en réalité pourrait inverser cette tendance."

"Vous vous demandez si Donald Trump, qui a clairement affiché qu’il était climato-sceptique, pourrait inverser la tendance de la transition énergétique au niveau mondial? Personnellement, je ne le pense pas. La transition énergétique est dans l’intérêt fondamental d’énormément d’acteurs: des consommateurs, mais aussi des pays émergents, on ne le dit pas assez. Les pays émergents ont un besoin d’énergie qui croît très vite, or un certain nombre d’entre eux n’ont pas de ressources énergétiques. Ils sont en train d’alimenter leur croissance en énergie en devenant de plus en plus dépendants de leurs voisins. Le renouvelable est un gisement local, c’est autant d’énergie qu’ils n’auront pas besoin d’acheter à l’extérieur. C’est donc géopolitique et géostratégique. Je ne crois pas que, dès lors que ces technologies sont de plus en plus compétitives, un homme, même s’il est président d’un grand pays, même de celui-là, puisse inverser un mouvement aussi profond. Je ne vois pas comment quiconque en réalité pourrait inverser cette tendance. Et il faut s’en réjouir car elle est fondamentalement positive."

CV express

Née le 9 décembre 1966

Mariée, cinq enfants

Ancienne élève de l’Ecole normale supérieure (Ulm) et ingénieur diplômé de Mines ParisTech (ingénieur du corps des mines), titulaire d’une maîtrise en optique quantique et d’un certificat d’études supérieures en physique

De 1997 à 1999, en charge des Postes et Télécoms, puis de la Défense au ministère français du Budget

De 1999 à 2002, conseillère pour les affaires industrielles au cabinet du Premier ministre français

Entre en 2002 au service du groupe Suez (Engie aujourd’hui), d’abord comme directeur en charge de la vision stratégique

Directeur général d’Engie depuis mai 2016

Présidente du conseil d’Engie Electrabel


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