Spéculer sur le démantèlement des centrales nucléaires? Possible en théorie
Aux Etats-Unis, des groupes technologiques se spécialisent dans la reprise d’anciennes centrales nucléaires à démanteler en récupérant au passage les provisions. Même si cela fait débat, ce nouveau marché est validé par le régulateur NRC. Reste à voir si pareil schéma pourrait voir le jour dans nos contrées: "oui, mais", répond l’AFCN.
Étonnant: aux Etats-Unis, le démantèlement des centrales nucléaires est en train de faire naître un marché secondaire, où des tiers reprennent des centrales aux électriciens afin de "terminer" eux-mêmes le travail. Ces derniers mois, trois groupes se sont signalés sur ce front en acquérant des centrales électriques en fin de vie afin de les démonter en reprenant, au passage, les fonds provisionnés pour leur démantèlement. Le journal français Les Echos, qui analyse ces opérations dans son édition de vendredi, parle à ce sujet d’une nouvelle tendance qui, même si elle fait l’objet de certaines contestations au niveau politique, est d’ores et déjà validée par la Nuclear Regulatory Commission (NRC), le régulateur du secteur nucléaire US.
En théorie, ce serait possible de le faire en Belgique, mais c’est très peu probable.
Un de ces investisseurs d’un nouveau type s’appelle Holtec. Basé à Jupiter, en Floride, ce groupe fondé en 1986 s’est spécialisé dans les technologies de production d’énergie sans carbone, le nucléaire et le solaire pour l’essentiel. Il s’est aussi investi dans le stockage souterrain de combustible nucléaire irradié: il a développé sa propre technologie dans ce domaine, ce qui devrait lui être très utile dans un avenir proche. Car il a racheté récemment deux centrales nucléaires en fin de vie, l’une qu’opérait l’exploitant électrique Exelon à Oyster Creek (New Jersey), l’autre exploitée par Entergy à Pilgrim, dans le Massachusetts. Il est par ailleurs entré en négociation avec le même Entergy dans l’espoir de lui reprendre trois autres réacteurs nucléaires à Indian Point, près de New York.
Le groupe EnergySolutions s’active également dans ce nouveau "créneau". Il va reprendre et démanteler le réacteur numéro 2 de Three Mile Island, en Pennsylvanie (là même où avait eu lieu un grave accident nucléaire en 1979). Un troisième acteur, NorthStar, va faire de même avec une centrale établie à Vermont Yankee (Vermont), qu’il a rachetée à Entergy. Le même NorthStar a formé un consortium avec le français Orano pour démanteler la centrale de Crystal River, en Floride, selon des termes un peu différents: il a conclu un accord avec son propriétaire, Duke Energy, qui prévoit qu’il démontera le site à des conditions prédéterminées, de sorte qu’il assumera le risque financier si l’addition finale se révèle plus élevée.
On comprend bien la logique qui sous-tend l’apparition de ce nouveau marché: l’avantage pour les exploitants initiaux est de limiter les risques, tandis que les repreneurs spéculent sur leur aptitude à faire le travail à moindre coût.
Risques et compétences
Si la NRC a approuvé ces opérations, des questions ont néanmoins été soulevées aux Etats-Unis par des magistrats et des parlementaires. L’un d’eux s’est inquiété des capacités financières et techniques du groupe Holtec: sera-t-il capable de mener à bien le déclassement et l’assainissement des sites dans des conditions de sécurité satisfaisantes? D’autres ont pointé les provisions de démantèlement, en insistant sur la nécessité de savoir comment celles-ci seront utilisées par ces nouveaux acteurs.
Et qu’en est-il sous nos latitudes? Nos électriciens pourraient-ils un jour se tourner également vers des tiers spécialisés, qui leur reprendraient leurs centrales en fin de vie ainsi que les obligations et les provisions de démantèlement? En Belgique, l’assainissement puis le déclassement des centrales doivent être faits sous le contrôle de l’Ondraf (Organisme national des déchets radioactifs), ce qui n’exclut pas, a priori, un transfert de propriété. Si personne n’était disponible ce lundi au cabinet de la ministre fédérale de l’Énergie, un porte-parole à l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) a pu nous répondre: "En théorie, ce serait possible, mais c’est très peu probable", dit-il, "en raison du nombre d’instances impliquées ici, et des permis à transmettre". Il ajoute qu’à ce jour, aucun dossier de ce type n’est jamais apparu chez nous…