Facebook privilégie "le profit à la sûreté", selon une lanceuse d'alerte
L'ancienne ingénieure chef de produit chez Facebook accuse le réseau social de faire passer ses intérêts avant la sûreté du public. Elle sera auditionnée au Sénat américain mardi.
La lanceuse d'alerte qui a fait fuiter des documents internes de Facebook, et dont le contenu a alarmé le public et des élus américains, s'est montrée pour la première fois à visage découvert dimanche.
Lors d'un entretien diffusé par la chaîne américaine CBS, l'ancienne ingénieure chef de produit chez Facebook, Frances Haugen a accusé le groupe de "(choisir) le profit plutôt que la sûreté" de ses utilisateurs.
Cette trentenaire doit être auditionnée mardi par la commission au Commerce du Sénat américain.
Facebook aurait effectué des recherches sur son réseau social Instagram depuis trois ans pour en déterminer les effets sur les adolescents.
Des recherches sur les adolescents
Avant son départ de l'entreprise, en mai, Frances Haugen avait emporté avec elle de nombreux documents issus de recherches internes à l'entreprise, qui avaient notamment été confiés au Wall Street Journal.
Dans un article publié mi-septembre, le quotidien a révélé, sur la base de ces informations, que l'entreprise effectuait des recherches sur son réseau social Instagram depuis trois ans pour en déterminer les effets sur les adolescents.
Les études ont notamment montré que 32% des adolescentes estimaient que l'utilisation d'Instagram leur avait donné une image plus négative de leur corps lorsqu'elles n'en étaient déjà pas satisfaites.
Facebook dément
Plus tôt dimanche, le vice-président de Facebook, Nick Clegg, avait accordé un entretien à la chaîne CNN et tenté de limiter les possibles dégâts qu'allait causer l'interview de la lanceuse d'alerte.
"Nos recherches ou celles de n'importe qui d'autre ne corroborent tout simplement pas le fait qu'Instagram soit mauvais ou toxique pour tous les adolescents", avait déclaré l'ancien vice-Premier ministre britannique dimanche.
"Je ne trouve pas surprenant, de façon intuitive, que si vous ne vous sentez déjà pas bien dans votre peau, aller sur les réseaux sociaux puisse vous faire vous sentir encore un peu moins bien", avait ajouté Nick Clegg.
Sous pression, l'entreprise californienne a annoncé suspendre le développement d'une version d'Instagram pour les moins de 13 ans, mais elle n'y a pas renoncé.
Des algorithmes reconfigurés
Frances Haugen a rejoint Facebook en 2019. Elle avait été assignée, à sa demande, au département "intégrité civique" (Civic Integrity), qui s'intéressait aux risques que pouvaient poser certains utilisateurs ou certains contenus pour le bon déroulement d'élections.
"Il y avait des conflits d'intérêt entre ce qui était bon pour le public, et ce qui était bon pour Facebook."
Avant le scrutin présidentiel américain de novembre 2020, Facebook avait modifié ses algorithmes pour réduire la diffusion de fausses informations. Mais selon la lanceuse d'alerte, "dès que l'élection a été terminée", le groupe les a reconfigurés comme avant, "pour donner la priorité à la croissance plutôt qu'à la sûreté", a-t-elle soutenu dans son entretien à l'émission "60 Minutes", sur CBS.
"Il y avait des conflits d'intérêt entre ce qui était bon pour le public, et ce qui était bon pour Facebook", a insisté Frances Haugen, et le groupe, "une occasion après l'autre, choisissait de privilégier ses intérêts, c'est-à-dire faire plus d'argent". "J'ai vu pas mal de réseaux sociaux, et la situation chez Facebook était sensiblement pire que ce tout ce que j'avais pu voir avant", a ajouté l'ingénieure.
Un lien avec l'attaque du 6 janvier?
Pour Frances Haugen, c'est à la suite du retour aux anciens algorithmes que de nombreux utilisateurs de Facebook, partisans de l'ancien président américain Donald Trump, se sont servis de la plateforme pour se mobiliser en vue des événements qui ont mené à l'assaut du Capitole le 6 janvier dernier.
"Personne chez Facebook n'est malveillant (...) mais les intérêts ne sont pas alignés."
Le vice-président de la plateforme a néanmoins jugé "trop facile de chercher une explication technologique à la polarisation politique aux États-Unis". Il a toutefois reconnu que Facebook devait essayer de "comprendre comment (il) contribue aux contenus négatifs et extrême, aux discours haineux et à la désinformation".
"Personne chez Facebook n'est malveillant", a estimé la lanceuse d'alerte. "Mais les intérêts ne sont pas alignés." Selon elle, Mark Zuckerberg, co-fondateur et PDG de Facebook, n'a jamais cherché à faire de Facebook une plateforme haineuse, "mais il a permis que des choix soient faits", favorisant la diffusion de contenus haineux.
"Les actions de Facebook montrent clairement qu'il ne se réformera pas seul", a réagi le sénateur démocrate Richard Blumenthal dans un communiqué. "Nous devons envisager une régulation plus stricte."
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