Colruyt et le PTB n'ont pas suivi le même cours de comptabilité

Les responsables du groupe Colruyt ont dû avaler leur apéritif de travers dimanche midi, en prenant connaissance des invectives de Raoul Hedebouw, le président du PTB reprochant au distributeur de n'avoir payé que 0,27% de taxes. "Comment se fait-il qu'une femme de ménage paie davantage d'impôts qu'une multinationale?", a-t-il lancé, citant l'exemple de Colruyt.

Formellement, on ne peut pas vraiment lui donner tort. Le premier distributeur belge est effectivement présent dans trois pays: la Belgique, le Grand-Duché et la France, où il possède une filiale de distribution et 95 magasins. De là à l'assimiler à des géants comme Carrefour, Aldi ou Ahold Delhaize, il y a un pas. On parlera plutôt d'une "multirégionale".

Mais cette approximation n'est rien à côté des affirmations du chef du parti d'extrême-gauche sur le montant des impôts payés par le groupe Colruyt. Elles témoignent d'une notion très personnelle de la comptabilité d'entreprise. Raoul Hedebouw soutient ainsi que Colruyt n'a payé que 0,27% d'impôts (5 millions d'euros) sur un bénéfice de 1,8 milliard d'euros. On le sait, les chiffres sont sujets à interprétation. Mais un simple coup d'œil au bilan comptable de l'exercice 2022-2023 permet de dire que ces affirmations sont sujettes à caution. Sur les réseaux sociaux, certains commentateurs n'hésitent d'ailleurs pas à donner au président du PTB un zéro pointé en comptabilité.

Des flux financiers "intra muros"

Les chiffres du PTB se basent sur les comptes annuels des différentes filiales du groupe coté (Colruyt Meilleurs Prix, Bio-Planet, DATS 24, Newpharma...) et sur les plus-values (non taxées mais qui ne rapportent rien en cash) réalisées en interne. Il se fait qu'en 2022-2023, une série de réorganisations, assorties de flux financiers "intra muros" substantiels, ont été opérées pour simplifier la structure du groupe. C'est ainsi, par exemple, que les activités "non-food" (Dreambaby, The Fashion Society...), immobilières et de santé (Jim's, Newpharma) ont été centralisées.

"Pour simplifier, si je vends ma voiture pour 100.000 euros à mon épouse, j'y gagne personnellement. Mais notre ménage n'y gagne rien", résume Johan De Mol, réviseur d'entreprises, interrogé par nos confrères du Tijd.

Les chiffres consolidés du groupe Colruyt donnent effectivement un tout autre éclairage. Le distributeur a bouclé son exercice 2022-2023 sur un bénéfice avant impôts de 242 millions d'euros qui a fait l'objet d'un prélèvement de 62 millions, soit de 25,6%. Les chiffres non consolidés, mais pris au niveau du groupe, vont dans le même sens, avec un bénéfice avant impôts de 270 millions d'euros et une retenue de 69 millions.

Outre les 62 millions d'impôts actés dans ses comptes annuels, Colruyt affirme contribuer à hauteur de 974,5 millions d'euros au trésor public sous forme de taxes sur les produits (douanes, accises) et de charges fiscales et sociales (précomptes professionnels, cotisations de Sécurité sociale) pour les quelque 28.000 salariés belges. Cette somme équivaut quasiment à la moitié (46,8%) de la valeur ajoutée nette générée par le groupe en Belgique, et qui dépasse les 2 milliards d'euros. À ces 974,5 millions, le distributeur ajoute encore 300 millions d'euros de TVA "nette" (la différence entre la TVA déductible et la TVA à payer).

Aussi fallacieuses et simplistes qu'elles soient, les affirmations du président du PTB ne manqueront sans doute pas de faire mouche. On peut en effet présumer que rares sont les Belges qui épluchent les comptes des entreprises.