Publicité

"Depuis trois ans, on carbure à du 150 à l'heure, sans répit" (Marnix Galle, Immobel)

©Dieter Telemans

Patron incontesté et actionnaire majoritaire de la société immobilière cotée Immobel, Marnix Galle était quasi absent des médias depuis plus de trois ans. Il s’exprime en exclusivité pour L’Echo côté cour et côté jardin, en nous ouvrant les grilles rénovées du Stuyvenberg.

Déjà actionnaire majoritaire et président du conseil d’administration, le nouveau CEO d’Immobel nous reçoit dans les jardins du Stuyvenberg, le château qu’il vient de rénover de fond en comble et où il a déménagé avec son épouse Michèle Sioen depuis trois semaines. Entretien côté cour et côté jardin, trois ans après sa joyeuse entrée rue de la Régence.

Il le confie tout de go avant même de se poser vraiment dans les fauteuils de la terrasse avec vue sur les jardins, entièrement redessinés à l’identique. "Avec Alexander (Hodac, le CEO sortant, NDLR), on a tourné durant trois ans à du 150 à l’heure."

Publicité

Physiquement, ça n’a pas été de tout repos non plus, vu les ennuis de santé cumulés cette dernière année par notre hôte. Aujourd’hui, le pilote respire. Un peu mieux, malgré un mal de dos lancinant qui régule toujours son quotidien. La tête, elle, est bien là. L’envie, intacte. La table du petit-déjeuner servi au soleil donne le cadre. "On est vraiment très heureux ici. Tout, tout, tout a été refait. Il y a de bonnes ondes… Thé ou café? À midi, il faut avoir terminé. D’accord?"

ça va dérouler ferme, entre jambon, saumon et fruits frais. On se lance… D’abord côté cour, avec une question pas trop personnelle pour revenir sur la fusion. On tâtera le terrain plus privé plus tard.

Cela fait exactement trois ans que s’est concrétisée la fusion entre Allfin et Immobel. Vous aviez dit que ce ne serait pas simple. Pour certains observateurs, il s’agissait du mariage de la carpe et du lapin. Comment se porte le couple?
C’est une aventure… extraordinaire, de fait, mais dure et complexe en termes de charge de travail au quotidien. Le changement a été énorme. Et aujourd’hui, je peux dire que, grâce à ce travail de titan entrepris, la Belgique va disposer d’un acteur immobilier – sur le marché du développement, mais pas seulement – de dimension européenne. Même si nous restons des nains à échelle européenne, on sera rapidement un petit dans la cour des grands: on a d’abord déployé notre business géographiquement et organiquement; et maintenant, on va le développer en volume, horizontalement. Du jour où on acquiert un terrain jusqu’après l’occupation à 100% du projet développé, il faut qu’on gère tout le processus avec des coûts opérationnels réduits à toutes les étapes du projet.

Quel était le principal challenge ces derniers mois après la fusion entre Allfin, votre société de promotion immobilière familiale, et Immobel?
Il fallait rouvrir les ailes de la nouvelle société fusionnée. Diversifier les projets, les pays, les secteurs où nous étions présents. On devait décentraliser, mais en assurant la gestion, le contrôle financier et le pilotage stratégique de cette expansion. On voulait aussi donner au nouveau groupe mis en place une autonomie par pays, chacun avec son PNL (bilan) et toutes les compétences sur place. Mais quand les projets dépassent un certain seuil financier ou de complexité, la superstructure vient en appui au pays pour renforcer l’expertise.

Et quel est le futur objectif du couple?
Simple: créer une récurrence de revenus solide et constante et diminuer ainsi le risque qui existe dans le métier de développeur. Je garde en tête la crise de 2008. C’était hier. On oublie trop vite qu’autour de nous, des entreprises pourtant profitables étaient alors sur les genoux. C’est meurtrier, une grosse crise. Pour pouvoir passer au travers, il faut construire une machine qui ne se trouve pas limitée dans son développement. On doit encore monter en puissance en termes de projets et dépasser notre capacité de profit actuelle, sans plafonner.

Publicité

Quels pays seront ciblés demain?
On se concentre sur les pays où les grands investisseurs se trouvent. On sort progressivement des autres, comme la Pologne, qui est un pays entrepreneurial fantastique mais où on éprouve quelques difficultés pour faire des affaires en restant en ligne avec notre gouvernance. Donc Belgique, Allemagne, France, Luxembourg… et Espagne sur certains projets précis.

Vous ne parlez pas de l’ADN boursier d’Immobel, mais vous vous focalisez sur son expansion industrielle. Donc votre business model est comparable à celui de Ghelamco ou de Besix RED?
Pas du tout. Je m’inscris à 100% en faux contre cette comparaison. Ces notions de passé historique et de parcours boursier unique de plus de 150 ans pèsent vraiment dans notre gouvernance. C’est vital pour l’ADN et la culture du groupe. C’est justement pour ça que nous faisons des business plans à 10 voire 15 ans. AG, en tant que société d’assurance, fait sans doute de même. Si j’étais un opérateur à court terme, je travaillerais différemment au quotidien, en dégageant immédiatement le maximum de profit et en laissant la machine tourner. Nous, aujourd’hui, c’est tout le contraire d’"après nous, les mouches".

"La polarisation politique actuelle provoque un emballement pervers."

Quel est dès lors votre business model?
C’est une balance – pas facile, je le concède – entre entrepreneuriat et gouvernance. Et garder le curseur au milieu n’est pas évident. Nous sommes des entrepreneurs et il faut garder une structure agile et réactive; mais notre gouvernance doit rester à toute épreuve, quoi que nous entreprenions ici et ailleurs, en Espagne, par exemple. Pour exister encore 150 ans, il faut garder cet équilibre. C’est pour cela que j’ai particulièrement soigné le choix des nouveaux CFO, COO et General Counsel: ils sont les gardiens du temple. De l’autre côté, tu as les développeurs, les business drivers, comme Adel Yahia et Alexis Prevot (CIO). Entre les deux, Immobel doit balancer.

Vous supervisez comment?
On fait des contrôles mensuels du bilan et des projets gérés localement. Quand on grandit, une personne dans un pays peut rapidement faire du dégât qui se paie cash à l’échelle du groupe. Nos systèmes de contrôle nous permettent de détecter la moindre dérive. Avant, on faisait une consolidation annuelle. Maintenant, on en fait quatre, une par trimestre. Mais Alexander, dans le partage des tâches, était tellement occupé à faire du business qu’il était devenu Chief Operating Officer à 80% de son temps. Vu la croissance du groupe, il fallait absolument trouver une pointure comme COO pour décharger le CEO de cette partie opérationnelle devenue énorme. Avec Paris, cette année, on va dépasser les 5 milliards d’euros de développements en cours et le demi-milliard de chiffre d’affaires. Et il faut impérativement garder un contrôle strict sur tout ça.

Avec Alexander Hodac, vous avez pédalé en tandem durant trois ans à fond les manettes. Pourquoi stopper ce tandem huilé? Il était demandeur?
Oui. Lors de son engagement, il avait dit vouloir rester 4 ans maximum. Mais il veut aussi maintenant voler de ses propres ailes en tant qu’entrepreneur. On a écrit ensemble une page de l’histoire d’Immobel; maintenant, on se rend compte qu’on doit tourner la page. Next step pour nous et pour lui. À deux, on a remplacé notre tandem par une panoplie de gens qui vont assurer l’expansion d’Immobel durant les dix prochaines années. Mais débaucher des pointures internationales et leur demander de venir s’installer à Bruxelles avec leur famille, ce n’est pas toujours évident.

Dans votre expansion actuelle, un des fers de lance de l’ex-Compagnie immobilière de Belgique – la banque de réserves foncières – semble être mis en veilleuse. C’est un choix stratégique de ne plus investir dans les terrains disponibles?
En fait, le métier est en "run-off". Aujourd’hui, le "landbanking" pur et dur, comme on le pratiquait avant, est de moins en moins défendable sociétalement. Comment justifier à l’opinion publique et aux actionnaires qu’on va continuer à morceler la terre et à la thésauriser pour nos futurs projets? En dehors des espaces urbains, il faut stopper ce type de fonctionnement. Ca devient un acte incivique.

Donc acquérir des terrains, chez Immobel, est devenu un acte incivique?
Il faut ancrer dans nos principes qu’on doit dorénavant reconstruire sur des parcelles bâties existantes, les densifier sans grignoter encore les espaces verts qui subsistent. Je ne suis pas rabique mais il faut limiter fortement les achats de terrain hors des villes. Avant, on achetait du foncier, on le morcelait et on le revendait à la pièce, avec une réelle plus-value limitée. Maintenant, on développe au maximum sur les fonciers dont nous sommes propriétaires. C’est pour cela que je dis qu’on est en "run-off". Il faut oser tourner cette page-là aussi.

Il y a cinq ans déjà, lors d’un débat entre patrons de l’immobilier et Didier Reynders, vous aviez insisté sur l’urgence à combler les clivages grandissants entre les gens au sein de la société belge. C’était bien avant les gilets jaunes… Quelle est votre analyse aujourd’hui?
Ce que je pensais il y a cinq ans est évidemment toujours crucial en Europe et ailleurs. Et je reste très préoccupé sociétalement à l’échelle mondiale. Aux Etats-Unis notamment, l’écart entre riches et pauvres est plus important qu’il y a un siècle, du temps des milliardaires à la Vanderbilt. C’est très préoccupant si on veut défendre une société inclusive.

"Si j’étais un opérateur à court terme, je dégagerais immédiatement un maximum de profit et je laisserais la machine tourner."

Heureusement pour nous, on a aujourd’hui en Belgique cette chance que l’écart entre les plus hauts revenus et les plus bas est un des plus réduits d’Europe, avec les pays scandinaves et l’Allemagne. Si un pays a réussi à maîtriser un tant soit peu les excès du capitalisme en termes de redistribution des richesses, c’est la Belgique; et on peut en être fiers. On doit tout faire pour préserver ce système de redistribution. En termes de cohésion sociale, c’est bien sûr loin d’être parfait, mais c’est en tout cas bien moins violent et difficile à gérer que chez nos voisins français, par exemple, où les écarts se sont dangereusement creusés.

Et votre appréciation du climat politique belge au lendemain des élections?
Là aussi, on constate un renforcement des extrêmes. On ne peut pas juste dire que c’est un signe de mécontentement et ne pas en tirer les leçons en termes de vote démocratique. C’est trop facile: les gens ont voté. Je suis un centriste convaincu et donc je me sens un peu mal à l’aise avec ce qui se passe.

Cette polarisation provoque un emballement pervers. C’est du kérosène explosif. Entre 1870 et 1930, toutes les révolutions ont été provoquées par des insurgences sociales qu’on n’a pas voulu entendre. Il faut pouvoir analyser et réagir démocratiquement aux choix de l’électeur, en Flandre comme en Wallonie.

Que pensez-vous du maître architecte bruxellois? La fonction, et celui qui l’occupe et espère encore l’occuper demain?
Ce n’est pas à nous de porter un jugement sur les instances publiques qui nous gouvernent. On critique toujours les procédures à Bruxelles, mais je peux vous garantir que ça ne va pas plus vite ailleurs et que ce n’est facile nulle part. En outre, notre système institutionnel ne facilite pas la tâche des responsables qui doivent opérer. Je suis un pragmatique éternel; je ne crache jamais dans la soupe et je suis bien ici, en essayant d’améliorer ce que nous avons. Ceux qui disent autour de moi qu’ils fuiront la Belgique si un gouvernement de gauche la dirige reviendront rapidement quand il leur faudra des soins médicaux, par exemple… Partir, mais où ça? Se cacher sous quelle pierre?

Publicité
Messages sponsorisés