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"A l'avenir, on changera de plus en plus d'emploi au long d'une carrière"

©Tim Dirven

Le Suédois Jonas Prising dirige depuis décembre 2015 le groupe de services en ressources humaines ManpowerGroup. Pour lui, la compétitivité des entreprises passera notamment par l’accès à une main-d’œuvre qualifiée.

Manpower est un authentique géant: fondée il y a 70 ans, cette multinationale, qui pèse 21 milliards de dollars de chiffre d’affaires et emploie 29.000 salariés dans 80 pays (dont 600 en Belgique) se frotte tous les jours aux réalités de la digitalisation et de l’ubérisation de l’économie.

De passage à Bruxelles où il a notamment participé à une réunion du Forum économique mondial consacrée au "Droit Universel d’apprendre" (URL dans son acronyme anglais), le CEO de ManpowerGroup nous a accordé un entretien.

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Comment résumeriez-vous les principaux défis de la 4e révolution industrielle?

L’accès à une main-d’œuvre qualifiée sera un atout compétitif primordial pour les entreprises et les nations. Il faut un nouveau contrat social. La société évoluera vers un modèle dans lequel on travaille tout en se formant pour se remettre à niveau. Aujourd’hui, ceux qui ne travaillent pas sont pris en charge. Demain, le soutien que l’on recevra devra aussi servir à remettre à jour et à accroître son niveau de qualification.

Nous passons trop de temps à nous effrayer de la disparition de certains emplois.

Le plus grand défi auquel nous devons faire face, c’est de cibler la catégorie la moins qualifiée de la population. Avec la digitalisation, le niveau de qualification requis va croissant. Motiver ces individus et leur donner la foi dans le futur, c’est l’idée qui se trouve derrière l’URL, un système d’allocation destiné à l’apprentissage.

Qui va payer ces mises à jour?

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Il n’y a pas de réponse à ce stade. Les entreprises? Les gouvernements? Les individus? Ce qui est sûr, c’est que quand on regarde les systèmes pratiqués dans le monde, la formation est aujourd’hui inefficace. La connexion avec l’emploi n’est pas suffisamment forte.

Quid des peu qualifiés?

Le taux moyen est en recul, y compris en Belgique, où l’on revient à un niveau plus jamais vu depuis 1975. Mais si la moyenne est bonne, elle ne dit pas tout. Dans certaines catégories de la population, ce taux est encore de 10 ou 12%, parmi les jeunes par exemple, ou dans certaines régions défavorisées.

Le taux moyen des peu qualifiés est en recul, y compris en Belgique.

La réalité du marché du travail, en Belgique comme ailleurs, c’est que les gens qualifiés ont des perspectives et bénéficient d’un taux de chômage réduit, alors que les peu ou non-qualifiés doivent faire face à un chômage plus important et s’inquiètent davantage des perspectives futures et des changements qui arrivent. Ce problème n’a rien de local: nous sommes présents dans 80 pays, et nous voyons que ce genre de situation se produit partout, que ce soit aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, au Portugal ou en Belgique.

Beaucoup d’entreprises belges ont aussi des problèmes de recrutement de profils techniques qualifiés. Est-ce uniquement un problème lié au système scolaire?

Une partie du problème commence à l’école parce que l’objectif de l’institution scolaire, dans la plupart des pays, est d’achever le cursus, et pas de finir l’école pour trouver un emploi. On peut considérer qu’on est scolarisé pour enrichir sa vie, mais une bonne partie de celle-ci sera consacrée au travail. Il n’y a donc pas de contradiction entre la scolarité et le travail, les deux se renforcent mutuellement.

La sécurité d’emploi n’est plus une priorité?

En Europe, quasiment tout le schéma actuel tourne autour de la sécurité d’emploi. Mais les sans-emploi éprouvent des difficultés croissantes à revenir dans le circuit du travail faute d’avoir les qualifications requises, ce qui peut poser des problèmes de compétitivité aux entreprises qui ne trouvent pas les bons profils. À l’avenir, on changera de plus en plus d’emploi au long d’une carrière. Il faut donc faciliter cette évolution, tout en protégeant les gens, ce qui passe par une formation et une remise à jour régulière.

Le problème fondamental ne réside-t-il pas dans une évolution trop rapide de la digitalisation par rapport à la société?

©Tim Dirven

Je ne pense pas que l’impact des technologies soit si déterminant. Nous passons beaucoup trop de temps à nous effrayer de la perspective de la disparition de certains emplois, et pas assez à chercher les moyens d’aider les gens à acquérir de nouvelles qualifications. Effectivement, des fonctions vont disparaître. Mais ce n’est pas nouveau. Et dans d’autres périodes de l’histoire, nous avons été en mesure de générer davantage d’emplois dans d’autres industries.

L’enjeu, pour les postes menacés par les technologies, c’est de réorienter les qualifications des travailleurs?

Oui. Un conducteur de clark qui s’inquiète de l’arrivée de robots dans son entrepôt ne se voit pas reconverti en encodeur de logiciels. Mais il doit alors se demander ce qu’il peut faire d’autre, en examinant les qualifications qui lui donneront accès à un autre poste d’avenir.

On peut considérer qu’on est scolarisé pour enrichir sa vie, mais une bonne partie de celle-ci sera consacrée au travail.

Le plus compliqué n’est-il pas d’éviter de décourager les moins qualifiés?

Effectivement. Le message ‘faites-le ou vous êtes foutus’ ne fonctionnera pas. Il faut pouvoir formuler tout cela d’une manière qui donne aux gens la motivation et l’espoir face aux changements, en leur faisant comprendre que l’on sait comment les aider à y faire face et que leur participation est nécessaire.

Dans quelle mesure la digitalisation de l’économie va-t-elle changer notre modèle social?

Il changera beaucoup. Pour les consommateurs, les conditions d’accès à des services ou à des produits sont totalement différentes.

Parfois, la technologie est en avance sur la société, les nouveaux modèles de travail aussi. Prenez l’exemple d’Uber. Est-ce une société de taxis, une société de location de limousines, rien du tout? Ses collaborateurs sont-ils des employés, des free-lances? C’est un parfait d’exemple de l’évolution de la société. En tant que consommateurs, nous apprécions le service, la technologie est disponible, mais la régulation est absente.

Il n’y a pas de contradiction entre la scolarité et le travail, les deux se renforcent mutuellement.

Quel rôle peut jouer un Manpower?

ManpowerGroup met chaque année au travail et offre des formations à des millions de personnes. La capacité de jouer les intermédiaires entre l’offre et la demande d’emplois, pas seulement en ajustant les qualifications à ce que requièrent les entreprises mais aussi en contribuant à créer des qualifications nouvelles, sera pour nous une tâche de plus en plus importante. Les employeurs savent ce qu’ils veulent, mais beaucoup de gens ne savent pas ce qu’ils peuvent faire. Révéler leur potentiel sera pour nous une des grandes opportunités prochaines de développement de nos activités.

il faudra payer pour avoir des techniciens

De nombreuses offres d’emploi ne trouvent pas preneur, surtout dans les métiers techniques. Le taux de vacance d’emploi au premier trimestre 2018 s’élevait à 3,5% en Belgique (Eurostat). C’est le taux le plus élevé de la zone euro. Pour 100 emplois occupés, il y en a 3,5 qui sont vacants. À politique inchangée, on devrait passer à 7% pour les profils techniques en 2020 et à 11% en 2025. Une telle évolution ne sera pas sans conséquence sur les salaires, prévient la société de consultance Korn Ferry Hay Group dans son étude "Salary surge study".

En Belgique, les salaires pour les profils techniques vont augmenter de 15 à 20% d’ici 2020. Cela conduira à une "prime de marché" de 8.500 euros par an. L’employeur qui veut embaucher un technicien qualifié devra débourser 8.500 euros de plus par rapport à l’évolution normale des salaires (indexation, hausses barémiques…). La Belgique se situe ainsi un peu au-dessus de la moyenne européenne (7.400 euros). Dans le cas de l’Allemagne, cette "prime de marché" pourrait aller jusque 13.900 euros par an.

Les entreprises interrogées par Korn Ferry indiquent que, plutôt que de simplement augmenter les salaires, elles comptent également investir dans la formation de leur personnel"C’est certainement une bonne approche, admet Walter Janssens, expert en rémunération chez Korn Ferry. Mais ne soyons pas naïfs. Un package salarial adapté fera certainement aussi partie de l’approche des entreprises."

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