"Liker" sur Facebook peut vous coûter votre emploi
La cour du travail de Liège a ouvert une brèche suite à un arrêt positif pour l’employeur, en mars, dans une affaire de "like" de contenu antisémite par un comptable d’une ASBL.
Un simple "like" sur Facebook n’a finalement rien d’anodin pour un employé. Un arrêt (récemment publié) rendu le 24 mars 2017 par la cour du travail de Liège souligne en tout cas le "danger croissant pour les travailleurs de s’exprimer sur les réseaux sociaux", nous rapporte Carl Vander Espt, avocat au cabinet Cairn Legal.
Retour sur les faits ayant amené à une telle prise de position. Il y a de cela quelques mois, la cour en question a été amenée à trancher le cas d’un cadre engagé comme comptable par une ASBL bruxelloise active dans "la redynamisation et la valorisation du centre-ville". L’homme publie à plusieurs reprises sur son "mur" Facebook divers liens faisant référence à des mouvements soutenant la "quenelle" du controversé Dieudonné.
"Le travailleur qui aime des publications provenant de sites à l’humour grinçant véhiculant des idées à connotation raciste, s’est effectivement approprié ces idées."
Découverte, l’affaire passe mal du côté de son employeur. Le comptable est alors convoqué par les dirigeants et s’engage solennellement, par écrit, à retirer du réseau social toute publication aux formes d’humour présentant des risques de "heurter l’opinion publique". Quelques mois plus tard, son supérieur hiérarchique constate que le cadre n’a pas respecté l’engagement pris plus tôt. Il a "liké" – action de cliquer sur le bouton "j’aime" situé sous tout contenu transitant sur Facebook – des publications similaires aux précédentes, ce qui amène in fine à son licenciement sec pour motif grave, raconte l’avocat. L’employé saisit la justice.
En degré d’appel, le travailleur maintient entre autres choses qu’il a respecté son engagement puisqu’il n’a rien publié sur son "mur" Facebook et que "le fait de liker ne s’assimile pas à une publication" et que "la liberté d’expression doit être préservée". La cour ne l’entend pas de cette oreille et considère que "le travailleur qui aime des publications provenant de sites à l’humour grinçant véhiculant des idées à connotation raciste, s’est effectivement approprié ces idées", résume Carl Vander Espt.
"Tout travailleur a droit à sa liberté d’expression, mais cette liberté d’expression ne peut en aucun cas ternir l’image de l’ASBL et de ses dirigeants."
Certes, dit la cour, "tout travailleur a droit à sa liberté d’expression, mais cette liberté d’expression ne peut en aucun cas ternir l’image de l’ASBL et de ses dirigeants". En l’espèce, le travailleur a donc abusé de son droit et a risqué de porter atteinte à une institution. En outre, le fait que le travailleur avait été averti qu’il ne pouvait se permettre de véhiculer ce type d’humour antisémite et provocateur constitue une circonstance aggravante, évoque l’avocat. La cour déclare donc le motif grave établi.
Frontière privé-public floue
"Cet arrêt témoigne du danger croissant pour les travailleurs de s’exprimer de manière irréfléchie sur les réseaux sociaux."
Pour Carl Vander Espt, "cet arrêt de la cour témoigne du danger croissant pour les travailleurs de s’exprimer de manière irréfléchie sur internet et les réseaux sociaux, tels Facebook ou Twitter". "La frontière entre sphère privée et publique apparaît en effet de plus en plus poreuse". Et à cet égard, "il est remarquable que la cour du travail n’ait, à aucun moment, jugé bon de justifier sa décision en soulignant le caractère public du compte Facebook de l’intéressé".
Selon lui, c’est qu’en effet, "la jurisprudence considère de manière croissante ces comptes comme publics par nature, sans avoir égard aux options du compte, alors que des nuances pourraient sans doute être faites lorsque l’accès aux informations est limité aux amis ou amis d’amis, ou lorsque le cercle de diffusion apparaît très restreint".
"Par l’assimilation d’un like à une publication à connotation raciste, la décision de la cour du travail ouvre une nouvelle brèche", insiste Carl Vander Espt. "Il est donc utile de rappeler que la prudence est de mise sur les réseaux sociaux".
Pour Etienne Wéry, avocat au cabinet Ulys, il est difficile de savoir si la cour serait arrivée à une telle conclusion s’il n’y avait pas eu un tel engagement de la part de l’employé vis-à-vis de son employeur. "La question ici est véritablement autour de cet engagement plus que du like en tant que tel. De plus, on ne peut pas dire de manière générale que liker un contenu revient à le reprendre à son compte", comme pourrait le suggérer un partage qui s’apparente plus à de la diffusion comme un affaire similaire l’a déterminé en France – là, "on prend véritablement la responsabilité des propos en question".
Par contre, il est vrai qu’"en likant de tels propos, la personne concernée a quelque part donné son assentiment à un courant de pensée incompatible avec la mission de son employeur". En tout cas, "l’ASBL a très bien géré la situation, il est important de le dire", conclut l’avocat.
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