Le titulaire d’un compte Facebook est-il responsable des commentaires que les internautes postent sur son mur?
Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme déplace encore le curseur vers une responsabilité qu’il est de plus en plus facile à mettre en cause.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime qu’un candidat à une élection qui a toléré des commentaires de tiers en dessous d’un post polémique sur son mur Facebook peut être condamné pour n’avoir pas promptement supprimé ces propos illicites.
En l’espèce, le requérant était un ressortissant français, maire de sa ville et candidat du Front national aux élections législatives dans la circonscription de Nîmes. Le 24 octobre 2011, il poste sur le mur de son compte Facebook, qu’il gérait personnellement et dont l’accès était ouvert au public, un billet concernant un adversaire politique. De commentaires en commentaires, les internautes se lâchent et l’on aboutit à des propos antimusulmans.
Le requérant et deux auteurs identifiés sont cités à comparaître devant les tribunaux français. Ceux-ci décident de condamner le requérant, en jugeant qu’ayant pris l’initiative de créer un service de communication au public par voie électronique en vue d’échanger des opinions et ayant laissé les commentaires litigieux encore visibles le 6 décembre 2011, le requérant n’avait pas promptement mis fin à cette diffusion et était dès lors coupable en qualité d’auteur principal des faits litigieux.
Liberté d’expression irresponsable
Pour la CEDH, les juges français ont établi que les propos litigieux définissaient clairement le groupe de personnes concernées, à savoir les personnes de confession musulmane, et que l’assimilation de la communauté musulmane avec la délinquance et l’insécurité dans la ville de Nîmes (des propos tels que «dealers et prostituées» qui «règnent en maître» étaient utilisés), tendait à susciter un fort sentiment de rejet et d’hostilité envers le groupe des personnes de confession musulmane, réelle ou supposée.
Les atteintes aux personnes commises en injuriant ou l’incitation à la haine en raison de l’appartenance à une religion, suffisent pour que les autorités privilégient la lutte contre de tels agissements face à une liberté d’expression irresponsable.
Ayant examiné les commentaires figurant sous le post initial, la Cour considère que les conclusions des juridictions internes étaient pleinement justifiées. Le langage employé incitait clairement à la haine et à la violence. Les atteintes aux personnes commises en injuriant, en ridiculisant ou en diffamant certaines parties de la population, ou l’incitation à la haine et à la violence à l’égard d’une personne en raison de l’appartenance à une religion, suffisent pour que les autorités privilégient la lutte contre de tels agissements face à une liberté d’expression irresponsable et portant atteinte à la dignité, voire à la sécurité de ces parties ou groupes de la population.
L’homme politique face aux propos des internautes
Pour la Cour, le requérant, titulaire du compte, avait sciemment rendu public le mur de son compte Facebook et donc autorisé ses «amis» à y publier des commentaires, qu’il se devait donc de contrôler. La Cour relève l’argumentation du juge français selon laquelle le requérant ne pouvait ignorer le fait que son compte était de nature à attirer des commentaires ayant une teneur politique, par essence polémique, dont il devait assurer plus particulièrement encore la surveillance. Par ailleurs, sa qualité de personnage politique lui imposait également une vigilance toute particulière.
Un tel arrêt se positionne dans une série de décisions qui déplacent le curseur, lentement, mais sûrement, vers une responsabilité qu’il est de plus en plus facile à mettre en cause.
Au vu des circonstances spécifiques de l’affaire, la Cour estime que la décision des juridictions françaises de condamner le requérant, faute pour celui-ci d’avoir promptement supprimé les propos illicites publiés par des tiers sur le mur de son compte Facebook utilisé dans le cadre de sa campagne électorale, reposait sur des motifs pertinents et suffisants, eu égard à la marge d’appréciation dont bénéficie l’État défendeur. Dès lors, l’ingérence litigieuse peut passer pour «nécessaire dans une société démocratique». Il n’y a donc pas eu violation de l’article 10 de la Convention.
Limites d'un système
Cet arrêt fait partie de ces décisions qui méritent attention.
Bien sûr que les commentaires soumis à la Cour étaient inacceptables et que les auteurs identifiés ont été poursuivis. La question n’est pas là. Le problème qui se pose en l’espèce est de savoir dans quelle mesure celui qui a rédigé et mis en ligne le post initial peut se retrouver responsable en raison de commentaires mis en ligne par des tiers.
Un tel arrêt se positionne dans une série de décisions qui déplacent le curseur, lentement, mais sûrement, vers une responsabilité qu’il est de plus en plus facile à mettre en cause. Entre liberté d’expression, lutte contre les propos haineux et responsabilité des intermédiaires, il devient extrêmement difficile d’appréhender les limites d’un système qui semble aujourd’hui à bout de souffle.
Etienne Wéry
Avocat associé ULYS
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