Surchargés de travail, les experts-comptables doivent refuser des clients
Près de la moitié des cabinets comptables de notre pays envisagent de réduire la voilure, tant leur volume de travail a augmenté. Avec le risque de voir nombre de starters et sociétés unipersonnelles se retrouver sans comptable, prévient le secteur.
Des experts-comptables confrontés à un effet ciseaux: un afflux de nouveaux clients et une complexification des réglementations synonyme de surcroît de travail pour chaque client.
Résultat: près de la moitié des cabinets déclarent ne plus vouloir grandir ou même réduire leur taille, révèle l'enquête menée auprès de 600 experts-comptables de notre pays par l'ITAA, l'institut des conseillers fiscaux et des experts-comptables, et le fournisseur de données Wolters Kluwer. Chez les experts-comptables indépendants, c'est même le souhait de plus de la moitié d’entre eux, parce qu'ils éprouvent encore plus de difficultés à trouver de nouveaux collaborateurs.
Le mois dernier, pour la troisième année consécutive, ce "métier du chiffre" a été classé parmi les dix professions les plus en pénurie dans notre pays. Là aussi, l’effet ciseaux joue à plein: de plus en plus d’experts-comptables prennent leur retraite alors que la relève ne suit pas. Les inscriptions aux cours de comptabilité sont trop peu nombreuses pour répondre à la demande croissante.
"Nous n'acceptons plus les sociétés unipersonnelles, les indépendants à titre complémentaire ou les starters. Ces clients ne rapportent rien."
De petits clients pas rentables
Les experts-comptables qui ont participé à l’enquête se fixent donc pour priorité absolue la réduction de leur charge de travail, en se montrant beaucoup plus sélectifs dans le choix de leurs (catégories de) clients.
"Nous avons décrété un gel de la clientèle pour une durée d'au moins six mois", déclare ainsi un expert-comptable d'Anvers, qui a préféré rester anonyme. "Notre cabinet, qui compte trois employés, a besoin de cette période pour clôturer tous les dossiers en cours. Certes, nous ne claquerons pas la porte au nez d’un client important venu nous demander les conseils financiers et fiscaux. Mais nous n’acceptons plus de petits clients – les starters, indépendants à titre complémentaire. Ils nous occasionnent autant de travail que les clients plus importants - pensez au traitement des factures ou aux aspects réglementaires - mais ils nous rapportent moins. »
Plus de tâches administratives
Les grands cabinets sont également devenus plus sélectifs, explique Johan Jacobs, qui emploie plus de 100 experts-comptables dans sa société Konsilanto. "Nous voulons maintenir un niveau correct de charge de travail. C'est pourquoi nous n'acceptons plus les sociétés unipersonnelles, les indépendants à titre complémentaire ou les starters. Pour dire les choses crûment: ces clients ne rapportent rien. En cause: la multiplication des obligations administratives. Pensez aux contrôles anti-blanchiment ou aux formalités pour le registre UBO. Nous facturons un montant de base pour cela, mais beaucoup de ces petits indépendants ne peuvent pas se permettre de tels frais."
Les experts-comptables leur ferment la porte – que ce soit temporairement ou non – à un moment où de plus en plus d'entreprises sont créées en Belgique. Rien qu'en 2022, plus de 120.000 nouvelles sociétés ont été enregistrées à la TVA. Pour ces nouveaux venus, la recherche d'un expert-comptable devient ainsi de plus en plus difficile. Et elle devient même très compliquée pour un nombre croissant d'indépendants à titre principal et complémentaire.
Consolidation dans le secteur
"Cette tendance s’observe à peu près partout", note Johan Jacobs. "La technologie aide les sociétés de ce type à tenir leur propre comptabilité. Des logiciels comme Dexxter sont même spécialisés dans les services destinés aux indépendants exerçant une activité principale ou secondaire. Nous pouvons encore leur fournir une assistance fiscale par la suite, mais nous ne fournissons plus de services purement comptables."
Cette charge de travail croissante, combinée aux besoins considérables de numérisation de la profession, a nourri également un mouvement de consolidation dans le secteur. Financés par des opérateurs du monde du private equity, de grands cabinets tels que Moore et PIA ont enchaîné les rachats de confrères plus petits ces derniers mois. SBB, un cabinet comptable de Louvain, a également exprimé récemment sa volonté de se développer par croissance externe.
Près de la moitié des cabinets d'experts-comptables déclarent ne plus vouloir se développer, voire réduire leurs activités, en raison de la charge de travail élevée.
Les petits indépendants, les indépendants en activité complémentaire et les start-ups ne sont plus les bienvenus dans nombre de cabinets qui préfèrent se consacrer aux plus gros clients qui leur rapportent davantage.
Cette évolution s’explique aussi par la pénurie de personnel dans le secteur.